Amandine mit ses mains sur son crâne et sentit les larmes monter. Elle fonça dans les couloirs, manquant de se cogner à plusieurs reprises aux vitres. Et se décida à appeler la police.
Un serveur vocal, l’attente interminable, puis une voix humaine, enfin.
— Mon mari a disparu !
On lui demanda de se calmer, de ne pas crier parce qu’on ne comprenait rien. Amandine allait lâcher son identité, son adresse quand elle entendit soudain le bruit d’une clé dans la serrure. Elle se figea, le téléphone collé à l’oreille.
Phong apparut dans l’embrasure, jogging, baskets, petite bouteille d’eau presque vide dans la main. En sueur. Et sans masque.
Il la fixa comme un animal pris au piège et perdit l’expression sereine que le joggeur arbore après sa course.
Amandine en lâcha son téléphone portable qui tomba par terre.
Phong resta là, quelques secondes sans bouger, puis baissa la tête. Lorsqu’il releva les yeux, il avoua :
— J’ai juste besoin de me sentir vivant.
Puis il disparut dans sa salle de bains.
Amandine se mit à trembler. Elle regarda ses doigts, essayant d’une main de contenir l’autre. Trahie… Trompée… Elle tombait des nues.
Pas Phong, pas lui.
Folle de rage, elle se rua vers la porte vitrée, traversa le salon de Phong, arriva dans la salle de bains où son mari était en train de se déshabiller. Amandine découvrit, entassés à côté de la machine à laver, des tee-shirts de sport qu’elle n’avait jamais vus. Elle ne venait jamais ici, Phong nettoyait et faisait ses lessives lui-même. Quand s’était-il acheté toute cette panoplie ? Où ?
— C’est juste un peu de sport. Je cours dans la forêt aux heures du midi, je ne croise jamais personne. Ce n’est pas un crime, quand même ? Et comme tu peux le constater, je suis toujours en vie.
Amandine ouvrait et fermait les poings.
— Depuis combien de temps tu fais ça ?
Elle avait du mal à s’exprimer, les mots peinaient à sortir.
— Depuis qu’on est installés ici. Je suis désolé.
Il s’enferma dans la cabine de douche et fit couler l’eau. Amandine resta là, penaude, incapable de réaliser ce qu’elle venait de découvrir. Ses yeux ne quittaient plus le monceau de linge. Elle finit par sortir d’un pas martial et claqua violemment la porte.
Qu’est-ce qu’il voulait ? Se suicider ?
Amandine explosa en sanglots sur son canapé.
Nicolas, HS.
Lucie, HS.
Pascal Robillard, HS.
Jacques Levallois, HS.
Franck Sharko était là, seul dans l’ open space , comme le dernier oisillon au fond du nid. Il avait le nez plongé dans les notes, les dossiers et les photos des affaires. Essayant de trouver la faille, de faire des recoupements, de progresser, millimètre par millimètre. Mais la masse d’informations était bien trop grande, et les effectifs trop peu nombreux. Les couloirs du 36 ressemblaient à ceux d’un hôtel en basse saison. La bonne ambiance, l’odeur du café, les éclats de voix : tout avait disparu.
Il venait de s’entretenir avec le numéro deux de la PJ, le commissaire divisionnaire Claude Lamordier. Il fallait des hommes. Lamordier fonctionnait avec les moyens du bord et les urgences à gérer, mais il était conscient que la plupart des ressources devaient se concentrer sur ce dossier tentaculaire. En attendant de réorganiser les équipes, il avait mis des policiers sur la liste des égoutiers et envoyé deux officiers de police judiciaire, accompagnés de deux techniciens, chez Nicolas Bellanger, avec l’espoir d’y retrouver des indices sur le kidnappeur de Camille. Des empreintes, de l’ADN, quelque chose qui leur permettrait d’avancer. Mais où chercher ? De plus, l’homme costumé avait sans doute été prudent.
Sharko n’avait encore rien dit à Lucie, elle n’était pas en état, mais il redoutait ce moment.
Tellement de ténèbres…
6 petits Nègres s’en allèrent à l’école. L’un d’eux mangea des chocolats. Il n’en resta plus que 5. Sharko se rappela ces mots écrits par l’Homme en noir et ce qu’avait raconté le hacker : « Des Nègres qui meurent chaque fois. Il n’aime pas les nègres… » C’était bien évidemment un trop maigre indice pour pouvoir avancer. Pourquoi citait-il ce passage sur les Nègres ? Peut-être parce qu’il avait besoin de mettre sa patte entre ces lignes. De sortir de l’anonymat tout en y restant. Avec ces citations, il signait sa présence.
Conneries !
À bout, il chassa les piles de papiers d’un revers de main. Leva les yeux vers tous les bureaux vides. Ses amis, ses collègues, balayés… Les blagues salaces de Robillard, les rires de Lucie, les petites colères de Jacques Levallois, tout lui manquait. Et Camille…
Il n’avait jamais connu cela dans sa carrière. Une telle hécatombe.
Dans un soupir, il se dirigea vers la fenêtre, se sentant impuissant. C’était le pire moment pour un flic, cette impression d’être un prisonnier entouré de barreaux. À l’extérieur, les gens circulaient, indifférents, et continuaient à vivre leur routine.
Comment tout cela allait-il se terminer ?
Même s’il ne l’avait pas montré devant Nicolas, Sharko avait peur pour Camille. Comment la retrouver saine et sauve, cette fois-ci ? Sharko se rappelait ces griffes en acier apparues sur la vidéo. L’Homme en noir ne leur laisserait pas de deuxième chance, il était en train d’exercer sa vengeance méticuleusement. Camille faisait partie de la mécanique. Elle était une pièce du puzzle.
Sharko reçut un message de Marie Henebelle, qui lui indiquait que tout allait bien. Il lui avait demandé d’envoyer des SMS toutes les heures. Il savait sa famille en sécurité avec la porte blindée, le double-vitrage et les volets fermés.
Il soupira longuement, se disant que, ce soir, ils avaient de bonnes chances de coincer le responsable. De faire définitivement tomber les monstres qui œuvraient pour lui. « Lambart », l’homme aux griffes…
Il était en pleine réflexion quand Bertrand Casu arriva, la fermeture du blouson remontée jusqu’au cou. Il tenait un sandwich. Il se débarrassa de son vêtement, posa son casse-croûte sur son bureau et vint serrer la main de Sharko.
— Je viens d’apprendre pour Nicolas. Comment il va ?
— Pas bien, tu t’en doutes. Personne ne va vraiment bien, en ce moment. T’as des nouvelles, quelque chose qui va nous éviter de devenir dingues ?
Bertrand Casu acquiesça.
— Je reviens à l’instant de la forêt de Meudon. Je suis allé à l’endroit exact où vous avez découvert le cadavre de Félix Blanché et de son chien.
— Qu’est-ce que t’es allé faire là-bas ?
Casu sortit son téléphone portable et montra des photos. On y voyait le symbole des trois cercles gravé dans l’écorce d’un arbre.
— Il était sur un arbre tout proche du corps, à presque quatre mètres de hauteur.
Sharko écarquilla les yeux.
— Vous ne pouviez pas le voir, poursuivit son collègue. Les branches basses font qu’il peut être facilement escaladé, cet arbre. Mais ça confirme le degré de perversion de cet Homme-oiseau armé de ses griffes. Ce signe, il n’était destiné à personne. Juste pour lui, pour son délire personnel. Ce type est dingue.
Sharko imagina ce maudit Homme-oiseau grimper à l’arbre, s’installer sur une branche comme un corbeau de malheur, y inscrire les trois cercles, alors qu’il avait le cadavre d’un homme et de son chien à ses pieds.
— Tu m’expliques comment t’as eu l’idée de retourner là-bas et de chercher ce symbole ?
— Auparavant, faut que je te parle de la requête Interpol. J’ai eu un retour, très tard hier soir. On a une correspondance avec une autre affaire.
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