— Elle vous a laissé ses coordonnées, je suppose ?
— Oui, bien sûr. Une pièce d’identité et un justificatif de domicile sont obligatoires.
Cinq minutes plus tard, les flics détenaient un nom et une adresse : Mélanie Mayeur, Vanves.
Avant de partir, Sharko pointa un index vers l’épagneul.
— Ce chien… Je passerai le rechercher en fin de journée. Je le prends.
De retour de la gare de péage, Nicolas entra dans le bureau d’un coup d’épaule contre la porte, un gobelet de café dans chaque main. Il les posa sur les bureaux de Lucie et de Jacques Levallois, qui était au téléphone.
— T’as trouvé ce que je t’ai demandé dans ses relevés de compte ? murmura-t-il à l’intention de ce dernier.
Jacques lui répondit par l’affirmative d’un mouvement de menton, puis finit par raccrocher.
— Deux choses, auparavant. La première, Manien vient d’arriver, il est furax de ta petite escapade nocturne. Tu devrais faire gaffe, tu sais bien qu’il attend la faille pour te sauter dessus.
— Il ne mord pas bien fort. Deuxième chose ?
— C’était le poste de garde. Guy Demortier, le balisticien, devait te talonner. Il a des infos pour nous. Il monte.
Lucie tendit l’oreille. Le balisticien ? Pourquoi se déplaçait-il ? Qu’avait-il de si important à leur annoncer ? Nicolas fixait la paperasse sur le bureau de son collègue.
— Allez, dis-moi que tu as du concret.
— Oui, j’ai.
Mains moites, Lucie se leva et vint à leurs côtés. Deux heures plus tôt, Jacques l’avait informée que Nicolas avait localisé le véhicule de Ramirez au péage de Sépeaux, la nuit du meurtre du château d’eau, en fouillant dans les clichés des caméras de surveillance. Tout s’accélérait et, à chaque nouvelle, à chaque information qui tombait, Lucie recevait un coup de poignard dans le ventre.
Jacques hocha la tête vers les relevés de compte.
— J’ai trouvé des mouvements bancaires intéressants le 31 août et le 1 er septembre, annonça Levallois. Un règlement a bien été enregistré avec la Carte bleue de Ramirez à 23 h 14, au péage de Sépeaux. Montant de 6 euros.
— Ça correspond à une entrée sur l’A6 au niveau de Massy-Palaiseau, on en a eu pour ce prix-là hier avec Franck. Donc, Ramirez venait de chez lui, du côté de Longjumeau… Quoi d’autre ?
— J’ai trois autres mouvements remarquables, la nuit du 1 er septembre : l’un à 3 h 21, société autoroutière, montant de 31,40 euros. Après vérification, il s’agit du péage de Chalon-sur-Saône, et le montant est celui prélevé pour un trajet Gurgy/Chalon.
— Gurgy ? Où ça se trouve ?
— Gurgy permet une entrée sur l’A6 à environ trente kilomètres au sud de Sépeaux. Après ça, un autre mouvement a été réalisé à 3 h 50 à une station essence de Louhans, une petite ville située à une quarantaine de bornes de Chalon.
Il montra une carte sur l’écran de son ordinateur. Rien autour de la ville de Louhans, hormis des villages, et l’autoroute A6 pas bien loin. Après son meurtre, Ramirez s’était enfoncé toujours plus vers le sud.
— … Et le dernier mouvement, c’est un paiement au péage de Massy, toujours le 1 er septembre, à 8 h 31, correspondant à un trajet retour depuis Chalon.
Nicolas moulina les informations sous son crâne et se dirigea vers la carte murale géante.
— OK, OK… Alors pour résumer ce que tu viens de me raconter : Ramirez part de sa maison le 31 août au soir. Il entre sur l’A6 au niveau de Massy, quitte l’autoroute à Sépeaux à 23 h 14 pour torturer et tuer sa victime dans le château d’eau. Ça veut dire qu’elle était déjà enfermée dans sa camionnette quand il a quitté son domicile… Il est malin parce que, après son crime, il ne remprunte pas le même péage : il fait quelques kilomètres dans la campagne et entre de nouveau sur l’A6 à Gurgy, histoire de brouiller les pistes. Mais il ne retourne pas vers le nord, il prend la direction de Chalon, deux cents kilomètres plus au sud. Là il sort de l’autoroute, met de l’essence, reste une ou deux heures dans le coin…
Nicolas pointa la portion de l’autoroute au niveau de Chalon, puis remonta avec son index en direction de la capitale.
— Puis il rentre chez lui par l’A6, tranquillement, le matin… Qu’est-ce qu’il est allé faire du côté de ce bled, là, Louhans ?
— Peut-être que la victime lui a lâché des infos suite aux tortures ? suggéra Jacques.
— J’en ai bien l’impression, oui. Et ça déclenche une action immédiate.
Nicolas aimait ce basculement dans l’enquête où les premières pièces du puzzle commençaient à s’imbriquer.
Le balisticien Guy Demortier frappa deux fois et pénétra dans la pièce. Un type brillant, la cinquantaine, qui faisait partie des meubles du service balistique, capable de déterminer l’origine, la date de fabrication et la composition d’une arme en un clin d’œil. Il tenait des feuilles enroulées dans une main. Nicolas lui adressa un signe amical pour le faire patienter et termina son speech.
— Si Ramirez a tué dans le château d’eau, qui a tué Ramirez ? Et comment cela a-t-il pu se faire avec la même arme ? Ça voudrait dire que Jack a utilisé le flingue de Ramirez pour le tuer ?
Sur ces mots, il pria le balisticien de s’approcher.
— Je vois que vous parlez de la fameuse arme commune aux deux meurtres et que ça vous pose un problème, ça ne m’étonne pas. Moi aussi, j’ai un souci avec elle. Ou plutôt, avec les munitions.
Lucie s’était rassise à sa place, derrière son ordinateur. Une sueur glacée lui coulait dans le dos.
— J’étudie depuis hier les deux rapports : celui que j’ai moi-même dressé à partir de la balle, de la douille et des résidus de tirs tamponnés par le médecin légiste, ainsi que celui établi par la gendarmerie de Dijon pour l’affaire du 31 août. Je me suis mis en rapport avec leur balisticien avant de venir ici vous en parler. On est tous les deux d’accord, il y a quelque chose qui cloche. Un vrai bug.
Demortier tendit deux feuilles à Nicolas.
— Voici une copie des pages intéressantes. Je voulais vous voir parce que c’est difficile à expliquer par téléphone. Je vais essayer de parler clairement. Je peux dessiner dans un coin du tableau ?
— Vas-y…
Il prit le feutre et griffonna. Jacques vint s’asseoir sur le bord de son bureau, intrigué, tandis que Lucie restait en retrait.
— Voilà la vue en coupe d’une munition. Elle est grossièrement constituée de la balle, de la charge propulsive qui va projeter la balle, de la douille qui contient l’ensemble, et de l’amorce qui va mettre le feu à la poudre après percussion par pression sur la queue de détente. Je vous confirme que les deux munitions — balle et douille — trouvées sur les deux lieux différents sont bien issues du même lot de fabrication. Quand on remonte à l’origine, c’est-à-dire à l’usine d’où ces munitions sont sorties, on tombe chez un fabricant néerlandais. Ces cartouches sont des Luger, ou des « Sintox Action Luger », pour être plus précis. Évidemment, vous vous doutez que votre assassin ne se les est pas procurées là-bas directement, on peut retrouver des cartouches néerlandaises dans une arme turque achetée en Russie et utilisée par un New-Yorkais au fin fond de la forêt amazonienne… Vous me suivez ?
— Jusque-là, oui, répliqua Jacques. C’est comme la drogue. Le consommateur lambda ne se fournit pas chez El Chapo.
— On peut dire ça. Donc, on imagine votre homme, avec son même chargeur, et la même arme, le fameux HK P30, qui tire une fois dans la victime de l’Yonne, et une autre, dans celle de l’Essonne, ce à environ trois semaines d’intervalle.
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