Georges-Jean Arnaud - Enfantasme

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Personne ne croyait à l'existence de ce petit garçon vêtu d'une grande cape noire. Ni les gens du pays ni son mari. Seule Charlotte l'avait vu, lui avait parlé, l'avait reçu dans sa maison. D'ailleurs, il devenait parfois envahissant, capricieux. Lorsqu'il n'était pas là elle souffrait de son absence mais prenait peur lorsqu'il revenait. Autour d'elle, on commençait par la trouver vraiment bizarre avec son idée fixe et son mari ne voulait plus qu'elle reste seule.
Les gens pensaient qu'elle devenait folle et elle-même finissait par croire que l'enfant n'était qu'un fantasme. Et puis le chien Truc disparut. Charlotte en le cherchant découvrit un cadavre dans une maison abandonnée.

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G.-J. ARNAUD

Enfantasme

CHAPITRE PREMIER

Quand la couche de neige devenait trop épaisse, Guy laissait sa BMW dans une grange de Chapelle-des-Bois. Charlotte venait le chercher avec le snow-car et pour rentrer chez eux ils coupaient à travers le plateau en direction de la grosse ferme trapue. Ce qui demandait une petite demi-heure. Le dimanche après-midi le scooter réapparaissait dans une poussière de neige, Berthod reprenait sa voiture et la route de Dijon.

— Remonte vite avant la nuit, lui conseilla son mari avant de s’installer au volant.

— Les jours allongent, en janvier, répondit-elle. J’achète du comté, différentes choses et je retourne à La Rousse.

La BMW démarra sur la route sablée et Charlotte pénétra dans la fruitière. Des gens du pays, des propriétaires de résidences secondaires buvaient du vin blanc qu’un Parisien avait apporté. Elle en accepta un verre.

On lui demanda si elle ne s’ennuyait pas trop toute seule à La Rousse.

— Pas du tout. J’en profite pour me reposer.

— Il va encore neiger cette nuit, dit le gérant. S’il y en avait trop on irait vous dégager un peu sinon vous en auriez jusqu’aux fenêtres du premier étage. Et n’hésitez pas à téléphoner s’il y a quoi que ce soit.

On était très gentil avec elle, prévenant. Peut-être inquiet qu’elle reste toute seule la semaine dans cette ferme isolée. On savait qu’elle souffrait de dépression nerveuse, qu’elle ne pouvait plus supporter de vivre à Dijon depuis près de huit mois.

— Au revoir, lança-t-elle.

Le gérant avait raison, il commençait de neiger, de minuscules flocons. Elle coiffa son casque, ajusta sa visière. Le scooter démarra du premier coup et elle roula à faible allure dans le petit village, accéléra plus loin. Au lieu de couper court à travers le plateau, elle préféra suivre le tracé de la petite route. En cas de panne elle aurait plus de chance de rencontrer quelqu’un. Mais les chenilles dérapaient un peu sur le verglas, n’adhéraient pas comme dans la neige profonde.

Elle n’aperçut l’enfant qu’au dernier moment. Avec la vitesse de l’engin les flocons paraissaient se précipiter en plus grand nombre contre sa visière, ne lui permettaient de voir qu’à une dizaine de mètres. Il marchait dans le même sens qu’elle, vêtu de noir, avec une grande cape qui l’enveloppait jusqu’en dessous des genoux et dont le capuchon engloutissait sa tête.

Charlotte ralentit, tourna la tête sur la droite.

— Tu vas loin ? cria-t-elle.

L’enfant continuait à marcher dans la banquette de neige rejetée par le triangle, comme s’il ne l’avait pas entendue. Elle le dépassa, s’arrêta sans couper le moteur.

— Hé ! Tu ne veux pas monter ?

Il avait ramassé une grosse poignée de neige, la pétrissait avec soin, la transformant en boule dure, glacée, dangereuse.

— Tu vas chez Lamy ?

Une autre grosse ferme ancienne qu’occupaient trois couples étrangers à la région. On se demandait dans le pays s’ils ne formaient pas une communauté. Il y avait trois ou quatre gosses et celui-là pouvait bien en faire partie.

Comme le scooter des neiges pétaradait, elle coupa les gaz trop nerveusement, étouffa le moteur. Le gosse venait de s’arrêter, continuant à pétrir sa boule de glace.

— Monte, je te ramène.

Le capuchon se secoua avec méfiance.

— Non. Je ne monterai pas.

— Tu as peur d’une femme ? le blagua-t-elle en tirant sur le démarreur.

Le moteur eut un hoquet et refusa de partir.

— Ça marche pas, votre truc.

— Ça marche pas ? Tu vas voir.

Mais elle s’énerva et dut noyer les cylindres. Et comme par hasard il neigeait un peu plus fort. Le gosse continuait de marcher tranquillement.

— Hé ! Attends-moi.

— Faut que je rentre.

— Mais si je reste en panne j’aurai besoin de toi pour signaler que je suis ici.

— Signaler, à qui ?

— À tes parents. Ils sont bien à la ferme Lamy ?

Le gosse n’était plus qu’une silhouette dans la neige qui tombait d’autant plus blanche que la nuit venait. Elle l’appela encore une fois mais il ne répondit pas et disparut complètement.

— Quel sale gosse ! dit-elle.

Cette fois le moteur répondit et elle l’emballa rageusement pour être certaine qu’il ne la lâcherait plus, embraya un peu trop sèchement et fit un départ brutal qui la fit zigzaguer sur la route verglacée et non sablée. Mais elle avait trop d’entraînement pour que le contrôle lui échappe.

Bientôt elle rattrapa la petite silhouette noire. L’enfant devait avoir une dizaine d’années.

— Allons, ne fais pas ta tête de mule. Je vais te faire gagner du terrain. J’habite La Rousse. Tu connais ? Tout le monde me connaît sur le plateau. Et je te ferai voir comment il marche, mon truc, comme tu dis.

À nouveau elle s’arrêta mais relançait son moteur d’une poigne nerveuse, essayait de distinguer le petit visage tapi au fond du capuchon. On ne voyait plus beaucoup de capes sur les enfants et celle-ci paraissait taillée dans un gros tissu militaire ou quelque chose de ce genre. Il portait des bottes en caoutchouc dans lesquelles il avait enfoncé son pantalon.

— Il va faire complètement nuit et tu n’y verras rien.

— Je connais mon chemin.

Il avait toujours sa boule de glace entre ses mains protégées du froid par des moufles de laine noire également. Charlotte alluma son phare, se rendit compte que les flocons grossissaient, devenaient plus serrés. Elle avait hâte de se retrouver chez elle, un petit quart d’heure tout au plus, mais ne pouvait laisser ce gosse en pleine solitude. Soudain elle crut comprendre. Il avait fait une fugue, ne rentrait pas chez lui mais fuyait au contraire.

— Tu es de Chapelle-des-Bois ?

En ce moment on rencontrait pas mal d’étrangers, beaucoup moins que pendant les vacances de Noël mais enfin une bonne vingtaine. Le congé de février approchait. L’enfant lui paraissait inconnu ; elle connaissait tous ceux ou presque de la région, surtout ceux de cet âge-là.

— Veux-tu venir chez moi ? Il y fera meilleur qu’ici. Tu pourras y passer la nuit si tu veux.

Ainsi le gosse serait en sécurité et elle pourrait téléphoner à Chapelle-des-Bois pour signaler sa trouvaille et rassurer les parents qui pouvaient s’inquiéter.

— Par là, tu sais, la route devient mauvaise et ne mène nulle part.

— Pas vrai. Il y a Foncine. Le Bas d’un côté et le Haut de l’autre.

— Oui, mais ça représente des kilomètres. Tu ne pourras jamais y parvenir. Allons, monte.

Sinon elle serait obligée de téléphoner au village de toute façon. L’enfant ne pouvait passer toute la nuit dehors car il tomberait peut-être un mètre de neige avant que le jour ne se lève.

— Écoute, je te préparerai un bon repas, tu pourras coucher dans un lit bien chaud. Regarder la télévision si tu veux. Et puis il y a Truc.

— C’est quoi, Truc ?

— Mon chien. Tu verras comme il sera heureux de t’accueillir. Il est grand comme ça.

Elle place sa main à soixante centimètres du sol.

— Un chien-loup.

— Je n’aime pas les chiens-loups. Ils deviennent un jour ou l’autre complètement fous et vous égorgent.

— Mais, fit-elle, interloquée, d’où sors-tu ça ?

— Je le sais, c’est tout, fit-il, maussade.

Il y avait eu une série d’articles sur le comportement des chiens de diverses races, à la suite de plusieurs accidents atroces ayant fait la une des journaux. L’enfant avait dû lire le quotidien local.

— Le mien est très gentil. Il n’attaque que les gens suspects, mais s’il te voit avec moi tu deviendras son ami.

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