— Ça, je n’en sais rien, madame. Je ne suis pas médecin.
— Il faut que je le retrouve !
— Écoutez, il va certainement revenir de lui-même, dans quelques jours. Inutile de vous lancer à sa poursuite, il vous sera difficile de le retrouver… Même si nous pouvons le localiser, c’est avec un temps de retard. Je pense qu’il vaut mieux que vous l’attendiez chez vous. Par contre, vous pouvez toujours lui laisser un message en lui disant que vous connaissez la vérité. Ça l’incitera peut-être à vous contacter.
— Je vais devenir folle à attendre !
— Je comprends, madame. Mais au moins, vous savez maintenant qu’il n’a pas été enlevé ou assassiné.
Florence marche lentement jusqu’à la porte.
— Je sais seulement qu’il va mourir, murmure-t-elle.
— On pourrait aller à Nice, suggère François.
Il garde un excellent souvenir de cette ville. Il y a passé de si bons moments en compagnie de Florence…
— Ouais, pourquoi pas.
L’après-midi touche à sa fin. Les deux hommes sont restés dans le souterrain pendant près de trois heures. Comme le gibier traqué se planque au fond du terrier. Puis la BMW a enfin mis le museau dehors.
François conduit nerveusement, les yeux englués dans le rétroviseur. À chaque fois qu’il aperçoit la calandre d’une Mercedes, son cœur joue au yo-yo.
— Vous connaissez ? demande Paul, beaucoup plus calme.
— Quoi ?
— Nice…
— Évidemment !
Pourquoi évidemment ? songe Paul. On peut très bien passer une vie sans mettre les pieds à Nice. Pas quand on est bourré de pognon, évidemment ! Mais bientôt, lui aussi ira dans les endroits les plus chics de la planète. La présence des frères Pelizzari à Marseille retarde seulement de quelques jours ses projets.
— Pourquoi refusez-vous de témoigner contre ces truands ? reprend François.
— J’aime pas les flics.
— Vous préférez les truands ?
Paul soupire.
— Auriez-vous quelque chose à vous reprocher ? insiste l’avocat.
— Rien du tout. J’étais juste là quand fallait pas.
— Ce trafic, c’est quoi exactement ?
— Came.
— Ma parole, vous êtes givré de ne pas aller chez les flics ! s’étrangle Davin en le dévisageant d’un œil soupçonneux.
— Pour vous, quelqu’un qui connaît des trafiquants de drogue, c’est forcément quelqu’un qui se drogue, c’est ça ? ricane Paul. Je touche pas à ça ! J’ai la tronche d’un tox, peut-être ?
Il n’y a pas vraiment de visage pour ça. La drogue, François l’a côtoyée de près. Dans son milieu, la toxicomanie est même un fléau. Du simple pétard à la dose quotidienne de cocaïne ou d’amphétamines, il a tout vu sans jamais avoir la faiblesse d’y toucher. C’est vrai, ce gamin n’a pas l’air d’un junkie en manque. Il a peut-être simplement mis les pieds où il n’aurait pas dû…
Ils affrontent les embouteillages de la fin d’après-midi, finalement rassurés par cette promiscuité semblant à même de les protéger.
Ils sont un peu perdus et finissent par s’engager sur l’autoroute en direction de Toulon. Voilà une ville dans laquelle François n’a jamais mis les pieds. Il connaît Monaco, Nice, Cannes, Saint-Tropez, mais pas Toulon. De toute façon, ils ne feront que la traverser.
La circulation est particulièrement ralentie et, à chaque péage, un bouchon les attend.
— On va prendre du retard, soupire Davin.
Mais du retard sur quoi ?
François n’a ni destination précise, ni horaire à respecter. Plus d’emploi du temps surchargé ni d’agenda trop étroit pour contenir tous les rendez-vous. Plus rien.
Si.
Un étrange sentiment de liberté.
* * *
Florence est rentrée juste après sa visite à la gendarmerie. Espérant trouver François dans le salon. Mais la grande maison sonne désespérément vide. Elle se sert un scotch, s’effondre sur le sofa. Elle avale le contenu de son verre d’un trait, une grimace déforme son visage délicat mais fatigué.
François va mourir.
Double douleur.
Il s’est enfui, l’a abandonnée, mais elle ne peut même pas lui en vouloir. Parce qu’il doit souffrir. Souffrir tellement… Pourquoi cette fuite ? Pourquoi ne pas avoir voulu partager ce drame avec elle ? Comment peut-il la tenir à l’écart de quelque chose d’aussi important, d’aussi grave ? Elle veut l’aider, en a besoin pour supporter le choc. Elle ne pourra pas rester là, les bras croisés. Seule, inutile. Elle empoigne le téléphone, compose le numéro du portable. Bien sûr, elle tombe sur le répondeur. Bonjour, vous êtes bien en communication avec le portable de Maître Davin. Je ne suis pas disponible pour l’instant, mais je me ferai un plaisir de vous rappeler si vous me laissez un message. Merci et à très bientôt. Cette voix si douce, si chaude. Qui lui manque si cruellement… Encore quelques secondes puis un bip atroce.
— François, c’est encore moi… Je t’en prie, rappelle-moi ! Je sais pour… pour les résultats du scanner et ton rendez-vous à l’hôpital… Alors je t’en prie, rappelle-moi, mon amour ! Je t’aime. Et je suis morte d’inquiétude pour toi. Je t’embrasse.
Elle raccroche, se sert un autre verre. Elle qui ne boit jamais…
Je n’aurais peut-être pas dû prononcer le mot morte dans mon message. Quelle conne !
On croit toujours que ce genre d’horreur n’arrive qu’aux autres. Qu’on est à l’abri.
On se trompe.
Mais il y a forcément une solution, François ne peut pas mourir ! Il est en pleine forme, dans la force de l’âge. Ils iront voir un autre toubib, des tas de toubibs, jusqu’à trouver le bon. Ils se battront, ensemble. Dès qu’il reviendra. Dès qu’il retrouvera le chemin de la maison, de la raison.
Florence ingurgite son alcool, repose le verre sur la table basse en pierre de lave. Finalement, cette maison est froide, impersonnelle. Elle ne s’en était jamais aperçue. Avec ces murs blancs, ces sculptures, ces tableaux, ces meubles anciens. Ce marbre gris sur le sol. Trop bien rangée, trop impeccable. Trop grande aussi. Et si silencieuse… Elle n’a pas d’âme. Ou alors, elle n’en a plus.
Le téléphone sonne, elle se jette sur le combiné.
— François ?
— Non, c’est moi.
Camille Béranger. La Reine Mère, comme l’appelle François.
— Bonsoir maman.
— Alors, tu as du nouveau ?
Malheureusement, oui. Mais François n’aimerait pas qu’elle le révèle.
— Pas vraiment, non.
— Qu’entends-tu par là ?
— Eh bien, les gendarmes ont pu retrouver sa trace à Lyon et…
— Lyon ?
— Oui… Apparemment, il est parti.
— Avec une autre femme ?
— Non, maman… Écoute, je crois que François avait besoin de prendre un peu de recul.
— Du recul par rapport à quoi ?
Florence soupire.
— Je n’en sais pas plus pour le moment, tranche-t-elle. Mais il est en vie et va bien… Pour le reste, j’attends qu’il se manifeste.
— Je ne comprends rien ! Je t’ai toujours dit que cet homme n’était pas fiable…
— Il faut que je te laisse, coupe Florence d’une voix cinglante. Si j’apprends quelque chose, je te rappelle. Vaut mieux que la ligne reste libre.
Elle raccroche violemment et contemple son verre vide d’un air hagard. Elle n’a même pas envie de se saouler. De toute manière, le whisky importé directement d’Écosse n’a plus de goût. Plus rien n’a de goût. Parce que François n’est pas là.
Parce que bientôt, il ne sera plus là.
* * *
Après avoir déchiqueté les rails de sécurité, l’énorme poids lourd s’est couché sur le flanc avant de s’échouer au milieu de l’autoroute, telle une gigantesque baleine sur une plage. Deux voitures encastrées dans sa remorque ressemblent désormais à des compressions de César.
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