Garzón se leva, se dirigea vers lui et se mit à le secouer. Je le retins par le bras, le forçai à revenir s’asseoir.
– Pas de violences, s’il vous plaît.
Je me raclai la gorge et lui demandai sur un ton très doux :
– Comment t’appelles-tu ?
– Tomás, répondit-il.
J’allumai une cigarette en essayant d’empêcher ma main de trembler.
– Très bien, je ne te poserai plus de questions. Maintenant, tu vas te déshabiller :
Il fut stupéfait, eut un sourire.
– Vous déconnez ?
– Non. On doit effectuer des vérifications. Déshabille-toi.
– Pas question, vous n’avez pas le droit…
– Déshabille-toi, s’il te plaît.
– Putain, non, je ne me déshabillerai pas, il y a des lois, vous ne pouvez pas…
Je me levai, me dirigeai vers la porte, poussai la targette. Le garçon me regardait d’un air nerveux. Je m’approchai de lui et, avec une colère au ralenti qui me donnait une grande force, je le pris par le revers de la chemise et le tirai vers moi.
– Si tu ne te décides pas tout de suite, je te jure qu’on va te passer à tabac. La voilà, la loi.
Il céda et commença à enlever ses vêtements en silence. Il émanait de Garzón la même chaleur ardente et statique que celle qui se dégage du grill d’un bar. Le garçon garda ses sous-vêtements.
– Le slip aussi, et lève-toi.
Il se retrouva nu. Sa peau jeune et mate contrastait avec les fichiers et les murs, la photo du roi. Il avait un joli sexe, des bourses pleines et violettes comme la vigne. Il ne savait pas quelle posture adopter ni où regarder.
– Bon, on recommence. Tu dis que tu les marquais avec une montre.
– Je peux m’asseoir ?
– Non. Tu les violais et tu les marquais avec une montre.
Il posa les mains sur son sexe.
– Les mains derrière. Continue, on t’écoute.
Tout ce qu’il y avait à faire maintenant, c’était d’attendre. On entendait l’horloge murale. Il déchargea le poids de son corps sur une jambe, puis sur l’autre.
– Dites, ça va durer longtemps ?
– Tais-toi.
L’inspecteur adjoint finit par allumer une cigarette, lança les signaux de fumée qui révélaient sa nervosité, toussa. Je ne quittais pas l’homme des yeux, regardais directement son sexe avec une impudeur totale. Il haussa les épaules. À chaque minute qui passait, il contractait davantage son corps.
– Ce n’est pas légal, dit-il.
– Violer les filles et les marquer avec une montre non plus.
Il hésita.
– Ce n’est pas moi, lâcha-t-il enfin.
– Ce n’est pas ce que tu disais il y a un instant.
Il mit la main sur son pantalon.
– Je l’avais juste lu dans le journal, après vous m’avez appelé, et j’ai pensé…
Je l’interrompis :
– Tiens-toi tranquille, laisse ton pantalon, dis ce que tu as à dire comme tu es.
Il s’agita, sa voix adopta un ton nerveux et implorant.
– Ce n’est pas moi, vous ne voyez pas ? Mais vous n’arrêtez pas de m’embêter depuis que je suis en liberté conditionnelle.
– Tu voulais nous donner une leçon ?
– Je voulais juste que vous compreniez que vous perdiez votre temps avec moi. J’ai changé, je ne suis pas un délinquant. Je travaille comme livreur dans une entreprise, j’ai le numéro, vous pouvez les appeler pour vérifier.
Garzón se leva. Je lui lançai un regard et lui fis signe que non de la tête.
– On ne va rien vérifier. La seule chose qu’on va faire, c’est de continuer comme ça. Pourquoi est-ce qu’on t’a condamné ? Qu’est-ce que tu as fait ?
Il baissa la tête.
– J’ai peloté une gamine qui sortait du collège.
Il parlait très lentement.
– Comment ? Je ne t’entends pas très bien.
– Laissez-moi me rhabiller !
– Non.
– S’il vous plaît !
– Reste où tu es.
Garzón se leva et demanda la permission de sortir. Je la lui accordai et fermai à nouveau la porte au verrou. Le type était tellement nerveux et perturbé que je crus qu’il allait se mettre à pleurer. Mais il n’en fit rien et se retint, les yeux exorbités et les oreilles cramoisies d’humiliation. Je me forçai à tenir vingt minutes de plus dans la même posture, sans cesser de le regarder. Puis je me levai.
– Rhabille-toi, malheureux. Le viol n’est pas un sujet de plaisanterie. Tire-toi et pas un mot de tout ça, ou je ne te raterai pas.
Avant qu’il sorte, je lui demandai à nouveau :
– C’est toi ?
Et lui, brisé, répondit :
– Je vous jure que non, je vous le jure.
Garzón m’attendait dans le couloir. Je lui souris comme s’il ne s’était rien passé.
– Si vous voulez, on fait une pause et on prend un café.
Il me suivit dans le couloir, en marchant deux pas derrière moi. Nous traversâmes la rue et entrâmes dans le bar. Il était resté silencieux, mais, dès la première gorgée, il ne put s’empêcher de dire avec un petit sourire crispé :
– Dites, inspectrice, vous avez réussi à me surprendre ! Je vous avais déjà vue vous comporter durement, mais la méthode que vous avez employée aujourd’hui sortait de l’ordinaire.
Je négligeai le commentaire comme si je n’avais pas entendu.
– Que pensez-vous de la montre, Garzón ? Je crois que c’est une possibilité intéressante. C’est un objet qu’on ne tient pas à la main, mais que l’on peut porter sur soi et approcher de la peau, exactement comme cela a été le cas. Il existe peut-être sur le marché une montre cerclée de pointes, pour la pratique d’un sport, ou de la chasse, que sais-je ! On devrait continuer dans cette direction, cet idiot nous a peut-être servi à quelque chose.
– Vous savez que si quelqu’un était entré pendant qu’on l’interrogeait, on aurait pu passer un mauvais quart d’heure.
– Allons, inspecteur adjoint ! Vous étiez tellement gêné que vous ne vous êtes même pas rendu compte que j’avais poussé le loquet.
– Gêné, moi ?
– Je crois que oui.
Nous nous dévisageâmes. Il avait encore ce petit sourire métallique vibrant.
– Bon, Petra, vous avez peut-être raison, j’étais un peu gêné. Chacun mène l’interrogatoire comme il veut, mais si je peux vous parler franchement, je crois que cette fois vous êtes allée trop loin.
– Pourquoi ?
– Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, inspectrice, un homme exposé nu de cette façon… c’est contraire aux droits des prévenus.
– Et lui donner des baffes, non ?
– Au moins, ça ne porte pas atteinte à sa dignité.
– Je ne vous savais pas si pointilleux sur la dignité.
– Eh bien, je le suis.
– Ce n’est pas plutôt parce que vous vous sentez solidairement blessé dans votre orgueil de mâle ?
Le petit sourire s’effaça.
– Non, pas du tout. Mais puisque vous allez dans cette direction, je pense que ce que vous avez fait dans cette pièce, c’était profiter du fait d’être une femme.
Un nuage de colère m’aveugla. Je lâchai un éclat de rire théâtral, élevai la voix :
– Bon sang, maintenant vous m’emmerdez, Garzón ! Je supporte depuis toujours des affronts historiques et maintenant voilà que je profite du fait d’être une femme.
– Je ne vois pas ce que vous voulez dire.
– Eh bien moi, je vois. Vous auriez trouvé ça plus correct si ça avait été une fille qu’on avait interrogée ? Combien de fois avez-vous vu mettre en cause la dignité sexuelle des prévenues, combien de fois ? Et combien de fois avez-vous entendu prononcer à leur encontre des phrases moqueuses, chargées de sous-entendus et d’allusions méchantes ? Combien de fois avez-vous vu des gestes déplacés ? Plus d’une. Vous croyez que je vais avaler ça, que la police est un country club où tout le monde se soucie de la dignité ? Vous avez vu ou même souvent fait ces choses, inspecteur adjoint, j’en suis sûre, mais cela vous a semblé tellement normal que vous n’y avez même pas prêté attention. Vous savez quoi ? S’il existe une possibilité de profiter du fait d’être une femme, je vais l’utiliser à fond, je vous l’assure.
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