Brusquement, dans un fracas assourdissant, l’hélicoptère descendit à sa hauteur. Les portes étaient ouvertes. Elle reconnut immédiatement les deux hommes qui la regardaient. Díaz et Fonseca.
Fonseca avait quelque chose à la main, et il visait la tête de la jeune femme. Elle frémit d’épouvante.
Julián veut me tuer ! songea-t-elle. Je suis stérile. Je ne peux lui donner de descendance. Me tuer est la seule manière de se désengager.
Ambra recula pour mettre le plus de distance possible entre elle et cette chose dans les mains de l’agent. Mais son pied derrière elle ne rencontra que du vide. Elle battit des bras pour garder l’équilibre. En vain. Elle tomba à la renverse dans un escalier.
Son coude gauche heurta violemment le ciment. Puis le reste de son corps. Mais Ambra n’eut pas le temps de sentir la douleur. Elle ne pensait qu’à l’objet qui venait de s’échapper de ses mains :
Le téléphone d’Edmond.
Elle vit avec horreur l’appareil rebondir sur les marches et dévaler la pente vers le bord du toit. Elle plongea pour le rattraper, mais celui-ci glissa sous la barrière et disparut dans l’abîme.
Non !
Quand Ambra atteignit le garde-fou, le téléphone terminait sa chute et se brisait dans la cour.
Winston !
*
Langdon déboucha sur le toit de la Casa Milà. Il se retrouva en plein chaos. Un hélicoptère survolait les terrasses et Ambra n’était nulle part.
Affolé, il jeta un regard circulaire. Il avait oublié la configuration étrange de ce toit — des parapets de travers… des marches partout… des soldats de ciment… des gouffres…
— Ambra !
Quand il la repéra, elle était prostrée au sol, au bas d’un escalier, au bord d’un des deux puits.
Alors que Langdon se précipitait vers elle, une balle siffla près de son oreille arrachant un bout de mur derrière lui.
Seigneur !
Langdon se baissa et rampa pour se mettre à couvert tandis que deux autres balles filaient au-dessus de sa tête. Il crut d’abord que les tirs provenaient de l’hélicoptère, mais une nuée de policiers armés jaillit d’une tourelle de l’autre côté du toit.
Ils croient toujours que j’ai kidnappé la future reine !
En s’approchant, il constata avec horreur que le bras de la jeune femme saignait.
Elle est touchée ! songea-t-il. Alors qu’il rejoignait Ambra qui tentait de se relever, une autre balle le frôla.
— Restez couchée ! lui ordonna-t-il en la protégeant de son corps.
Il releva les yeux vers les silhouettes de ciment qui se dressaient tout autour d’eux, telles des sentinelles.
En soulevant une mini-tornade, l’hélicoptère descendit à leur hauteur, à l’aplomb du puits, se plaçant entre eux et les policiers.
— ¡ Dejen de disparar ! lança une voix, amplifiée par un mégaphone, sortant de l’hélicoptère. ¡ Enfunden las armas ! Arrêtez de tirer ! Rangez vos armes !
Díaz était accroupi devant les portes ouvertes, un pied sur un patin, et leur tendait la main.
— Montez ! cria-t-il.
Langdon perçut la frayeur d’Ambra.
— Vite ! insista l’agent.
Il désignait le garde-fou au bord du puits. Il voulait qu’ils montent dessus, attrapent sa main et sautent à bord.
Comme Langdon hésitait trop longtemps, Díaz prit le porte-voix des mains de Fonseca et le dirigea droit sur les oreilles de Langdon.
— PROFESSEUR, MONTEZ DANS L’HÉLICO ! La police a l’ordre de vous abattre ! On sait que vous n’avez pas kidnappé Mlle Vidal ! Montez à bord tout de suite ! Avant que quelqu’un ne se fasse tuer !
Dans le vent tourbillonnant, Ambra sentit les bras de Langdon la soulever de terre et la guider vers la main tendue de Díaz.
Elle était trop étourdie pour protester.
— Elle est blessée ! cria Langdon en montant derrière elle.
Aussitôt, l’hélicoptère s’éleva dans le ciel, et s’éloigna de la Casa Milà sous le regard médusé des policiers.
Fonseca referma la porte coulissante et alla rejoindre le pilote à l’avant. Díaz s’approcha d’Ambra pour examiner son bras.
— Ce n’est qu’une égratignure, dit-elle.
— Je vais chercher la trousse d’urgence, prévint l’agent avant de se diriger vers les racks au fond de la cabine.
Sitôt qu’ils furent seuls, Langdon adressa un sourire chaleureux à la jeune femme.
— Je suis bien content que vous n’ayez rien.
Sans laisser à Ambra le temps de le remercier pour son aide, il se pencha et lui souffla à l’oreille :
— Je crois avoir trouvé notre mystérieux poète. C’est William Blake ! Non seulement il y avait un exemplaire de ses œuvres complètes dans la bibliothèque… mais beaucoup de ses poèmes sont des prophéties ! (Il tendit la main.) Passez-moi Winston, je vais lui demander de chercher tous les vers de Blake ayant quarante-sept lettres !
Tenaillée par le remords, Ambra regarda la paume ouverte de Langdon. Elle prit sa main et la serra dans la sienne.
— Robert, je n’ai plus le téléphone d’Edmond. Il est tombé du toit.
Langdon pâlit.
Pardon ! Pardon ! se disait-elle en le voyant évaluer les conséquences de cette nouvelle. Ils avaient bel et bien perdu Winston.
Dans le cockpit, Fonseca était en communication :
— Affirmatif ! Nous les avons tous les deux à bord. Préparez l’avion pour Madrid. Je préviens le Palais…
— Inutile ! s’exclama Ambra. Je n’irai pas !
Fonseca couvrit le micro et se tourna vers elle.
— Bien sûr que si ! Mes ordres sont de garantir votre sécurité. Vous n’auriez jamais dû vous échapper comme ça. On a eu beaucoup de chance d’avoir pu vous tirer de là saine et sauve.
— À qui la faute ! Si le Palais n’avait pas annoncé que le professeur Langdon m’avait kidnappée, on n’en serait pas là ! Julián est donc prêt à risquer la vie d’un innocent, et la mienne en passant, juste pour me faire rentrer au bercail ?
Fonseca ne répondit pas et se remit aux commandes.
Díaz revint avec la trousse de premiers soins.
— Mademoiselle Vidal, dit-il en s’asseyant à côté d’elle, c’est un peu la panique à Madrid depuis l’arrestation du commandant Garza. Néanmoins, il faut que vous sachiez que le prince Julián n’a rien à voir avec le communiqué du Palais. En fait, on n’est même pas sûrs qu’il soit au courant de ce qui se passe en ce moment. Cela fait plus d’une heure qu’on est sans nouvelles de lui.
— Où est-il ?
— Pour l’instant, on n’en sait rien. Mais un peu plus tôt dans la soirée, ses ordres étaient clairs. Il voulait qu’on vous protège.
— Si c’est la vérité, intervint Langdon, alors c’est une grosse erreur de la ramener au Palais. Une erreur qui pourrait être fatale.
Fonseca se retourna vers eux.
— Comment ça « fatale » ?
— Je ne sais pas qui vous donne vos ordres à présent, mais si le prince souhaite vraiment que sa fiancée soit en sécurité, je vous conseille de m’écouter attentivement. (Il garda un instant le silence pour être certain d’avoir toute leur attention.) Edmond Kirsch a été assassiné pour l’empêcher de divulguer sa découverte. Et celui qui a fait ça ira jusqu’au bout.
— C’est déjà le cas, répliqua Fonseca. Kirsch n’est plus de ce monde.
— Mais l’enregistrement de sa présentation est intact et peut toujours être diffusé dans le monde entier.
— C’est pour cela que vous êtes allés chez lui ? s’enquit Díaz.
— Tout juste. Et désormais cela fait de nous des cibles. J’ignore qui, au Palais, a eu l’idée d’informer la presse que j’avais kidnappé Ambra, mais c’est visiblement une manœuvre pour nous empêcher de rendre publics ses travaux. Une manœuvre désespérée. Alors si vous faites partie de ces gens — ceux qui veulent étouffer la découverte de Kirsch —, balancez-nous dans le vide tout de suite, ce sera plus simple.
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