— Il y a une bonne raison à ça. La crème des astronomes, depuis des années, disent que si l’humanité veut survivre, il lui faudra quitter cette planète. La Terre a déjà entamé la seconde moitié de son cycle. Le soleil va grossir, se transformer en géant rouge et nous carboniser au passage — si la Terre n’a pas déjà disparu suite à une collision avec un astéroïde géant ou à un jet de rayons gamma ! Pour parer à cette éventualité, nous réfléchissons d’ores et déjà à la construction de bases sur Mars, afin de lancer l’exploration des confins de l’espace à la recherche d’une autre planète. Inutile de préciser qu’il s’agit d’un projet très lourd et que si nous trouvons un moyen plus simple d’assurer notre survie, nous serions preneurs dans l’instant.
Le chercheur marqua une pause avant de poursuivre :
— En fait, il y a un moyen plus simple… Enfermer du génome humain dans des petites capsules et les envoyer par millions dans l’espace avec l’espoir que l’une d’entre elles puisse prendre racine quelque part, et semer la vie humaine sur une lointaine planète. Nous n’avons pas encore cette technologie, mais cela n’en demeure pas moins sur le papier une très bonne option pour la survie humaine. Et si nous, nous imaginons envoyer des germes de vie dans l’espace, pourquoi d’autres êtres vivants plus avancés n’auraient-ils pas déjà fait la même chose ?
Il était facile de deviner où voulait en venir Bennett.
— Partant de cette évidence, reprit le scientifique, je pense qu’Edmond Kirsch a pu découvrir une signature extraterrestre — une trace physique, chimique, numérique… que sais-je — prouvant que la vie a été apportée sur Terre depuis l’espace. Nous avons débattu de ce sujet tous les deux il y a plusieurs années. Il n’aimait pas cette idée de germe venant de l’espace. Il pensait, comme beaucoup de gens, que le matériel génétique ne pouvait survivre au rayonnement et aux températures extrêmes auxquels il serait soumis durant son long voyage jusqu’à la Terre. Personnellement, je crois que l’on pourrait enfermer ces germes dans des enveloppes protectrices et les essaimer dans l’espace, avec l’espoir de coloniser le cosmos, une sorte de panspermie assistée par la technologie.
— D’accord, insista la présentatrice, mais si quelqu’un découvre que les humains proviennent de capsules envoyées dans l’espace, cela signifie non seulement que nous ne sommes pas seuls dans l’univers, mais aussi… et ça, ce serait beaucoup plus surprenant…
— Qu’est-ce qui serait si surprenant ? répéta Bennett en souriant pour la première fois.
— Eh bien, cela signifierait que ceux qui ont envoyé ces capsules sont comme nous… Que ce sont des humains !
— Cela a été aussi ma première conclusion. Mais Kirsch m’a corrigé. Il a vu aussitôt la faille dans ce raisonnement.
La présentatrice était perdue.
— Edmond Kirsch pensait qu’il ne s’agit pas d’humains ? Je ne comprends pas… ces germes sont censés perpétuer l’espèce humaine, non ?
— Il s’agit, pour reprendre l’expression de Kirsch, d’humains « pré-cuisinés », précisa le scientifique.
— Pré-cuisinés ?
— Selon lui, si cette histoire de capsules est vraie, alors le plat génétique qui se trouve à l’intérieur est juste pré-cuisiné, pas finalisé si vous voulez. Cela signifie que les humains ne sont pas le produit final, mais juste une étape dans l’évolution… vers quelque chose d’autre… quelque chose d’inconnu.
La présentatrice de CNN ouvrit de grands yeux.
— Aucune forme de vie avancée, disait Kirsch, n’enverrait une recette pour des humains, pas plus qu’une pour des chimpanzés. (Bennett eut un petit rire.) Kirsch m’a accusé d’être un chrétien refoulé ! Seul un croyant peut penser que l’être humain est le centre de l’univers. Ou que des Aliens enverraient par navette spatiale l’ADN complet d’Adam et Ève !
Visiblement, la femme n’appréciait guère la tournure que prenait la conversation.
— Je vous remercie du temps que vous nous avez accordé et de vos explications, monsieur Bennett.
C’était la fin de l’extrait.
Aussitôt, Ambra se tourna vers Langdon.
— Mais si Edmond a découvert la preuve que les humains sont une étape, une espèce inconnue en devenir, cela soulève une grande question. Vers quoi évoluons-nous exactement ?
— Oui. Et d’un coup « Où allons-nous ? » revêt un autre sens.
— C’est ça que laissait entendre Edmond ?
— D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Ce type de la NASA pense que Kirsch a regardé vers le ciel pour trouver la réponse à ces deux questions…
— Vous pensez que c’est le cas, Robert ?
Langdon fronça les sourcils. La théorie de Bennett, toute passionnante qu’elle fût, restait bien trop générale, bien trop « exotique » pour un esprit aussi affûté qu’Edmond. Son ami aimait les choses simples, limpides, et techniques. C’était un informaticien dans l’âme.
Et, plus important, comment prouver une telle théorie ?
En trouvant l’une de ces capsules ? En interceptant une communication extraterrestre ? L’une ou l’autre de ces découvertes aurait fait l’objet d’une annonce immédiate. Or le projet d’Edmond avait pris du temps.
Il y travaillait depuis des mois.
— Je n’en sais rien, avoua-t-il à Ambra. Mais quelque chose me dit que la découverte d’Edmond n’a rien à voir avec une vie extraterrestre. Ce n’est pas par là qu’il faut chercher.
Ambra le regarda un long moment.
— On va bientôt le savoir, dit-elle en désignant derrière le hublot les flèches de la Sagrada Família qui brillaient dans la nuit.
Tandis qu’ils filaient sur la M505, l’archevêque jeta un coup d’œil vers Julián qui regardait toujours par la fenêtre de la voiture.
À quoi pensait-il ?
Le prince n’avait rien dit depuis une demi-heure, ni bougé, excepté pour chercher machinalement son téléphone qui n’était plus dans sa poche.
Il faut que je le garde dans l’ignorance, songea Valdespino. Encore un peu.
À l’avant, son novice roulait en direction de la Casita del Príncipe. Bientôt, le prélat l’informerait que ce n’était pas leur destination.
Julián se tourna brusquement vers le chauffeur.
— Allumez la radio, s’il vous plaît. Je voudrais entendre les infos.
Avant que son novice ait le temps d’obéir, Valdespino l’arrêta en lui mettant la main sur l’épaule.
— Restons plutôt au calme.
Julián regarda l’archevêque, agacé d’être contredit.
— Pardonnez-moi, s’empressa-t-il d’ajouter. Mais il est bien tard, pour tout ce bruit. Si vous n’y voyez pas d’inconvénients, je préfère le silence de la réflexion.
— Justement, j’ai réfléchi. Et j’aimerais savoir ce qui se passe dans mon pays. Nous sommes coupés du monde ce soir. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
— Au contraire, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Et je vous remercie de m’avoir fait confiance. (Valdespino retira sa main de l’épaule du novice et désigna la radio.) Mettez donc les informations. Sur Radio María España, par exemple ?
Il espérait que la radio catholique serait plus mesurée dans ses propos que les autres stations.
La voix du présentateur résonna dans les haut-parleurs bas de gamme de l’Opel, évoquant l’assassinat de Kirsch lors de sa présentation.
Tous les médias ne parlaient donc que de ça ! Valdespino espérait que ses confrères ne citeraient pas son nom.
Par chance, le sujet du moment était les dangers du message antireligieux de Kirsch, en particulier son effet délétère sur la jeunesse espagnole. Pour illustrer le propos, la station diffusa un extrait d’une conférence de Kirsch à l’université de Barcelone.
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