Jean-Christophe Grangé - Le Сoncile de pierre

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Un enfant venu du bout du monde dont le passé mystérieux resurgit peu à peu. Des tueurs implacables lancés à sa poursuite. Une femme prête à tout pour le sauver.
Même au prix le plus fort.
Un voyage hallucinant jusqu'au cœur de la taïga mongole. Là où règne la loi du Concile de pierre : celle du combat originel, quand l'homme, l'animal et l'esprit ne font plus qu'un. Tous prêts à l'apocalypse.

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— Vous êtes malade, on va…

— Vous lisez l’allemand ?

— Hein ? Mais… oui, je…

Elle lui lança le bouquin :

— Traduisez-moi ça. Le dos de couverture. La présentation de l’auteur.

L’Italien jeta un regard vers la porte. Il régnait un silence complet au-delà du seuil : jamais on n’aurait pu deviner qu’une trentaine de personnes étaient assises là, attendant un hypothétique interrogatoire. Tremblant, Giovanni se concentra sur sa lecture.

Diane continuait ses recherches. Pas une arme, pas même un couteau, rien. L’homme ne se méfiait pas. Et il connaissait le pays : sa valise n’abritait aucun guide ni la moindre carte. Giovanni dit tout à coup :

— C’est incroyable.

Elle se retourna vers lui. C’était le contraire qui l’aurait étonnée. D’un signe, elle l’incita à s’expliquer.

— Il était professeur de géologie à l’Institut polytechnique Charles, à Prague.

— Qu’est-ce qui est incroyable ?

— Il était aussi sourcier. Selon cette note, il était capable de détecter des sources profondes dans la terre. Ils parlent d’un véritable pouvoir surnaturel. En tant que scientifique, Jochum étudiait ces phénomènes sur son propre corps.

Mentalement, Diane compléta la liste des parapsychologues du TK 17 : Eugen Talikh et la bio-astronomie, Rolf van Kaen et l’acupuncture, Philippe Thomas et la psychokinèse. Et maintenant, Hugo jochum et le magnétisme humain.

Une silhouette apparut sur le seuil de la pièce.

Diane n’eut que le temps de refermer la valise, après que Giovanni y eut glissé le livre. Les deux compagnons se retournèrent, les mains dans le dos.

Le nouveau venu était l’homme qui avait supervisé la rafle des moines : un colosse à bonnet noir, drapé dans un manteau de cuir. Le chef de la police, ou quelque chose de ce genre. Il tenait à la main les passeports des deux Européens comme pour signifier qui était le chat et qui étaient les souris.

Il s’adressa directement à Giovanni, en langue mongole, syllabes saccadées et contrepoints gutturaux. L’attaché d’ambassade opina avec empressement. Puis, manipulant ses lunettes sur son nez comme s’il s’agissait d’un instrument de chirurgie fine, il chuchota à l’intention de Diane :

— Il veut que nous allions voir le corps avec lui.

55

Ce n’était pas une morgue, ni même un hôpital.

Diane supposa qu’il s’agissait plutôt de la faculté de médecine ou de l’Académie des sciences d’Ulan Bator. Ils parvinrent dans un amphithéâtre violemment éclairé. Le sol était en terre battue. Les travées de sièges surmontés de pupitres s’étageaient en arc de cercle, jusqu’au plafond. Sur la gauche, au-dessus d’un tableau noir, de vastes panneaux peints affichaient encore les profils de Karl Marx, Friedrich Engels et Vladimir Ilitch Lénine.

Au centre du parterre, il y avait une table de fer, assujettie au sol.

Et sur cette table, il y avait le corps.

De part et d’autre, deux infirmiers se tenaient immobiles. Ils portaient de longs tabliers de plastique couvrant leur robe traditionnelle. A leurs côtés, des policiers en manteau matelassé, à la mode chinoise, casquette brodée d’or et de rouge, piétinaient la terre gelée, soufflant dans leurs mains pour se réchauffer.

Le chef de la police s’approcha, suivi par Diane et Giovanni. Elle ne comprenait pas pourquoi le Mongol les avait emmenés ici. Ils ne pouvaient être considérés comme des suspects dans cette affaire, ni même comme des témoins — elle n’avait rien dit de son affrontement avec le tueur. Elle supposait que le flic de cuir les associait à la victime, pour la simple raison qu’ils étaient les seuls autres occupants d’origine caucasienne du monastère.

D’un geste brusque, l’homme dévoila le visage et le torse d’Hugo jochum.

Diane détailla le visage maigre, aux traits saillants, auréolé de cheveux jaunâtres. La chair, tendue sur les os, avait la couleur jaune de l’ambre fossilisé. Mais un détail requérait toute son attention : le cadavre avait la peau constellée de taches brunes. Sur le torse, ces marques de vieillesse se multipliaient. Noires, granulées, dessinant une géographie inlassable sur la chair. Un bref instant, elle songea au pelage d’un léopard.

Puis elle remarqua la légère incision dans l’axe du sternum — la marque de l’assassin. Serrant les poings dans ses poches, elle se pencha et observa la blessure. La poitrine de Jochum était légèrement bombée, comme surélevée de l’intérieur. Ce torse portait encore l’empreinte du bras qui était passé sous les côtes, pour atteindre le cœur à travers la chaleur des organes.

Elle leva les yeux : tous les hommes la regardaient. Elle lut sur leur visage consterné une nouvelle évidence. A Paris, la technique des meurtres ne signifiait rien, sinon la pathologie démente d’un meurtrier. A Ulan Bator, c’était différent. Chacun connaissait cette cicatrice. Chacun était familier avec cette méthode. Le meurtrier tuait, volontairement, ses proies comme il aurait tué des animaux. Il ravalait, par cette blessure, ses victimes au rang de bêtes. Elle songea à Eugen Talikh et à la conviction qui l’avait saisie dans le couloir du monastère. S’il était bien le coupable, comment expliquer qu’un physicien inoffensif se soit transformé en meurtrier sauvage ? Exerçait-il une vengeance ? Quelle pouvait être la faute de ces hommes pour être tués comme des bêtes ?

Le policier fit un pas et se plaça face à Diane. Il tenait toujours les deux passeports dans sa main. Il s’adressa à Giovanni sans la lâcher du regard. L’Italien s’approcha à son tour et parla à voix basse :

— Il veut savoir si vous connaissez cet homme.

Diane fit signe que non. Elle redoutait maintenant que l’homme les retienne ici, au nom de l’enquête ou d’une quelconque procédure. Or elle ne disposait plus que de trois jours pour rejoindre le tokamak. A voix basse, elle expliqua ses craintes à Giovanni. Le diplomate amorça un bref dialogue avec le géant. Contre toute attente, le colosse éclata de rire et conclut par une brève réplique. Elle interrogea :

— Qu’est-ce qu’il dit ?

— Nous avons les autorisations officielles. Il n’a aucune raison de nous retenir.

— Qu’est-ce qui le fait rire ?

— Il pense que, de toute façon, nous n’aurons pas d’occasion de nous échapper.

— Pourquoi ?

L’Italien adressa un sourire courtois à l’intention du policier puis regarda Diane, du coin de l’œil.

— Il a dit, textuellement : « On peut toujours s’échapper d’une prison. Mais de la liberté ? »

56

Le Tupolev ne possédait même plus de sièges ni de cabine. C’était un cargo aux parois grises, long de cent mètres, agrémenté de filets pour se cramponner ou glisser des paquetages. Serrés au coude à coude, plusieurs centaines de Mongols étaient installés, assis par terre, recroquevillés sur leurs sacs, leurs cartons, leurs ballots, tentant de maîtriser enfants et moutons.

Diane s’était accroupie parmi la foule. Elle était d’une fébrilité qui frisait l’hystérie. Elle n’avait pas dormi mais ne ressentait aucune fatigue. Elle n’éprouvait même pas de douleurs après l’affrontement du toit. Les violences de la nuit semblaient l’avoir traversée de part en part sans laisser de trace apparente, sinon une intense nervosité, une vibration à l’intérieur de son corps.

Malgré le meurtre, malgré les mystères du monastère, malgré le fait que Diane, à l’évidence, lui avait révélé un peu moins de dix pour cent de la vérité, Giovanni ne s’était pas esquivé — il voulait conduire ce périple jusqu’à la frontière sibérienne. Le temps de boucler leur sac, de boire un thé brûlant, les deux complices s’étaient mis en route vers l’aéroport afin d’attraper le vol hebdomadaire pour Mörön, bourgade située à cinq cents kilomètres au nord-ouest de la capitale.

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