Robert Harris - Archange

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Archange raconte l'histoire de quatre jours de la vie de Fluke Kelso, ancien professeur d'histoire à Oxford, venu assister à Moscou à une conférence sur les archives soviétiques récemment ouvertes.
Une nuit, Kelso reçoit à son hôtel la visite d'un ancien officier du NKVD, ancien garde du corps de Beria, chef de la police secrète. L'homme prétend avoir été dans la datcha de Staline la nuit où celui-ci eut son attaque fatale, et avoir aidé Beria à subtiliser les documents secrets du dictateur, en particulier un carnet.
Kelso décide de consacrer sa dernière matinée à Moscou à vérifier les dires de cet homme. Mais ce qui débute comme une simple enquête à la bibliothèque Lénine se transforme très vite en une chasse à l'homme meurtrière jusqu'à Archangelsk au nord de la Russie, jusqu'aux vastes forêts au bord de la mer Blanche, où l'ultime, terrible secret de Joseph Staline est resté caché depuis près d'un demi-siècle.
Robert Harris est né en 1957 à Nottingham, en Grande-Bretagne. Après des études à l’université de Cambridge, il entre en 1978 à la BBC en tant que reporter et réalisateur pour des émissions prestigieuses comme « Panorama ». Il quitte la télévision en 1987 pour devenir éditorialiste politique à
puis au
; il est élu « éditorialiste de l’année » en 1992.
Depuis 1984, il a publié trois essais, dont
(1986), sur les carnets intimes d’Hitler, et deux biographies de personnalités politiques britanniques. Il s’oriente ensuite vers la fiction avec
(1992) et
(1995), qui sont rapidement reconnus comme des modèles du thriller historique. Ses romans ont été traduits dans une trentaine de langues et se sont vendus à plus de six millions d’exemplaires dans le monde.
Robert Harris vit actuellement dans le Berkshire, en Grande-Bretagne, avec son épouse et leurs trois enfants. Sur l’auteur

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Il appuya sur le commutateur. Les néons s’allumèrent en crachotant. L’aile des dirigeants donnait sur le lac et les arbres tandis que le bureau de Souvorine était orienté plein nord, vers le périphérique de Moscou et une cité de grands ensembles surpeuplés.

Souvorine se jeta dans son fauteuil, prit sa blague à tabac et projeta ses pieds sur le rebord de la fenêtre. Il vit le reflet de Netto entrer et fermer la porte. Arseniev l’avait allumé, ce qui n’était pas très juste. S’il y avait des reproches à faire à quelqu’un, c’était à Souvorine, pour avoir confié à Bounine la filature de Kelso.

« Combien d’hommes avons-nous à l’appartement de Mamantov pour le moment ?

— Deux, mon commandant.

— Sépare-les. Un à la polyclinique pour surveiller la femme. L’autre reste sur place. Que Bounine continue à suivre Kelso. Il est à quel hôtel ?

— L’Oukraïna.

— Bien. S’il descend la Ceinture des Jardins, c’est sans doute qu’il y retourne. Appelle Gromov à la Seizième et dis-lui que nous voulons une interception complète des communications de Kelso. Il te dira qu’il n’a pas les moyens. Renvoie-le à Arseniev. Apporte-moi les autorisations sur mon bureau dans un quart d’heure.

— Oui, mon commandant.

— Tu me laisses la Dixième.

— La Dixième, commandant ? » La Dixième Section était celle des archives.

« D’après le colonel, il devrait y avoir un dossier sur ce cahier de Staline. » (Légende de la Loubianka, tu parles !) « Je vais devoir inventer une excuse pour le consulter. Renseigne-toi sur cet endroit, rue Vspolnii : qu’est-ce que c’est exactement ? Bon Dieu, il nous faudrait du monde ! » De frustration, Souvorine donna un coup sur son bureau. « Où est Kolossov ?

— Il est parti en Suisse hier.

— Qui y a-t-il d’autre ? Barsoukov ?

— Barsoukov est à Ivanovo avec ses Allemands. »

Souvorine poussa un grognement. Cette opération fonctionnait à la bougie et à l’air pur, voilà le problème. Elle ne disposait ni d’un nom ni d’un budget. D’un point de vue technique, ce n’était même pas légal.

Netto écrivait rapidement. « Qu’est-ce que vous voulez faire de Kelso ?

— Continuez simplement de le surveiller.

— On ne l’arrête pas ?

— L’arrêter pour quel motif exactement ? Et où l’emmènerions-nous ? Nous n’avons pas de cellule. Nous n’avons pas de base légale pour procéder à des arrestations. Depuis combien de temps Mamantov est-il perdu dans la nature ?

— Trois heures, mon commandant. Je suis désolé, je… » Netto semblait au bord des larmes.

« Ne t’en fais pas, Vissi. Ce n’est pas ta faute. (Il sourit au reflet du jeune homme.) Mamantov faisait déjà ce genre de coups quand nous étions encore dans le ventre de notre mère. Nous le retrouverons, ajouta-t-il avec une confiance qu’il n’éprouvait guère, tôt ou tard. Vas-y maintenant. Il faut que j’appelle ma femme. »

Après le départ de Netto, Souvorine prit la photo de Kelso dans le dossier et la punaisa au panneau d’affichage, à côté de son bureau. Et voilà, c’est alors qu’il avait tant à faire pour résoudre des problèmes autrement plus importants — espionnage économique, biotechnologies, fibres optiques —, qu’il se retrouvait à devoir chercher pourquoi Vladimir Mamantov s’intéressait tant au cahier de Staline. C’était absurde. C’était même pire qu’absurde. C’était honteux. Qu’est-ce que c’était que ce pays ? Il bourra lentement sa pipe de tabac et l’alluma. Puis il resta là pendant toute une minute, les mains serrées derrière le dos, la pipe coincée entre les dents, en train d’examiner l’historien avec une expression de pure aversion.

CHAPITRE 7

Fluke Kelso était allongé sur le dos, sur son lit, dans sa chambre au vingt-troisième étage de l’hôtel Oukraïna, en train de fumer une cigarette et de contempler le plafond, les doigts de la main gauche serrés autour de la forme familière et réconfortante d’une flasque de whisky.

Il n’avait pas pris la peine d’ôter son imperméable ni d’allumer la lampe de chevet. Non qu’il en eût réellement besoin, les puissants projecteurs qui éclairaient le gratte-ciel gothique stalinien inondaient sa chambre d’une lumière fiévreuse. Il entendait par la fenêtre fermée le bruit de la circulation de cette fin d’après-midi sur la chaussée mouillée, tout en bas.

Il trouvait toujours cette heure mélancolique pour un étranger dans une ville étrangère : la tombée de la nuit, les lumières vives, la température qui chutait, les employés de bureau qui se dépêchaient de rentrer chez eux, les hommes d’affaires qui essayaient d’avoir l’air enjoué dans les bars d’hôtel.

Il prit une nouvelle gorgée de scotch puis tendit le bras pour trouver le cendrier et le posa sur sa poitrine pour y secouer sa cigarette. Le récipient n’avait pas été bien vidé, et il subsistait au fond, tel un petit œuf vert dans son nid de cendre grise, une glaire de Papou Rapava.

Il n’avait fallu à Kelso que quelques minutes — le temps d’une courte visite à la galerie commerciale de l’Oukraïna et celui de feuilleter un annuaire téléphonique moscovite — pour établir que la propriété de la rue Vspolnii avait effectivement été une ambassade d’Afrique du Nord. Elle était enregistrée au nom de la république de Tunisie.

Et il lui avait fallu à peine plus longtemps pour obtenir le reste des informations dont il avait besoin ; assis au bord de son lit dur et étroit, en grande conversation téléphonique avec l’ambassade tunisienne, il avait feint un immense intérêt pour l’essor du marché immobilier moscovite et le dessin précis du drapeau tunisien.

D’après l’attaché de presse, c’était le gouvernement soviétique qui avait proposé aux Tunisiens la propriété de la rue Vspolnii en 1956, pour un bail à court terme renouvelable tous les sept ans. Au mois de janvier, au moment des renégociations habituelles, l’ambassadeur avait été informé que le bail ne serait pas renouvelé, et ils avaient déménagé en août. Mais en vérité, il n’avait pas trop regretté de partir, non vraiment pas, après cette malheureuse histoire de 1993, quand des ouvriers avaient déterré douze squelettes humains, des victimes de la répression stalinienne ensevelies sous le dallage, dehors. On n’avait donné aucune explication à ce congé soudain, mais, comme tout le monde le savait, de grandes zones de propriétés publiques étaient à cette époque privatisées dans le centre de Moscou, et vendues à des investisseurs étrangers ; certains réalisaient des fortunes.

Et le drapeau ? Le drapeau de la République tunisienne, cher monsieur, était composé d’un croissant rouge et d’une étoile rouge dans un rond blanc, le tout sur fond rouge.

« Il y avait une lune en faucille rouge, et une seule étoile rouge… »

Le ruban bleuté de fumée de cigarette fit une boucle et se brisa contre le plâtre poussiéreux.

Oh, pensa-t-il, comme tout cela se tenait parfaitement, l’histoire de Rapava, le récit de Iepichev, la demeure de Beria commodément désertée, la terre fraîchement retournée et le bar Robotnik.

Il finit son scotch, écrasa sa cigarette et resta un moment allongé, tournant et retournant la pochette d’allumettes entre ses doigts.

Ne sachant toujours pas très bien ce qu’il convenait de faire, Kelso descendit à la réception et convertit ce qui lui restait de traveller’s chèques en roubles. Quoi qu’il arrive, il aurait besoin de liquide. Il lui fallait absolument de l’argent disponible, et il ne pouvait pas trop se fier à sa carte de crédit, semblait-il — témoin le malheureux incident qui s’était produit à la boutique de l’hôtel, quand il avait voulu payer sa bouteille de scotch par ce moyen.

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