Il salua de loin une voisine qui tondait sa pelouse sur un petit tracteur, déverrouilla la boîte aux lettres cylindrique, sur un piquet, à l’américaine — à dix mètres de leur très belle maison qui jouxtait le Golf-Club de Toulouse : la propriété faisait face au neuvième trou. Retira le courrier. Eut immédiatement l’œil attiré par une enveloppe marron à son nom, sans timbre ni adresse. Il déplia la feuille à l’intérieur. Des lettres découpées dans un journal… collées ensemble pour former des mots…
Tu vas te suicider… Tu ne le sais pas encore mais tu vas le faire.
La lettre n’était pas signée.
Elle vint en personne lui annoncer le résultat. Elle ne téléphona pas, elle se déplaça jusqu’à son bureau. Il ne s’y trouvait pas. Catherine Larchet, chef de l’unité bio du labo de police scientifique, le chercha partout et finit par le trouver dans celui d’Espérandieu, penché par-dessus l’épaule de son adjoint, fixant un écran. Elle cogna brièvement. Il se retourna et — avant même qu’elle eût prononcé un mot — il comprit.
Ce n’était pas le sien. Ce n’était pas elle.
La bouche de Servaz s’ouvrit : il avait eu raison.
— Tu avais raison, confirma-t-elle. C’était bien son sang — mais c’était le cœur d’une autre femme… Il y a même un trou minuscule — là où il a injecté le sang de Marianne…
Il resta un long moment immobile, stupide. Sans savoir quoi faire, quoi dire, ni comment réagir. Quelque chose gonflait dans sa poitrine — qui n’était pas de la joie, ni même du soulagement — mais peut-être bien de l’espoir … Un infime, mais réel espoir.
Hirtmann, espèce d’ignoble salopard…
Il passa en trombe devant elle et fila vers les ascenseurs, traversa le hall, jaillit dans la chaude et crémeuse lumière de l’été. Il avait besoin d’être seul. Il se mit en marche le long du canal, sous les arbres poussiéreux. Instinctivement, sa main retrouva le paquet de cigarettes au fond de sa poche. Le sortit. Il en extirpa une, la coinça entre ses lèvres et, cette fois, il l’alluma.
Le poison descendit lentement, délicieusement dans ses poumons. L’espoir — il en avait conscience — était un poison tout aussi mortel.
Il pensa à l’homme qui lui avait envoyé ce cadeau — l’ex-procureur de Genève, l’ancien pensionnaire de l’Institut Wargnier. « Il ne se montre pas mais il est là, quelque part, peut-être à des milliers de kilomètres, peut-être pas loin d’ici, mais une chose est sûre, Martin : ta pensée ne le quitte pas . Il porte un déguisement parfait, il ne connaît pas la pitié mais il connaît l’amour, à sa façon. Et il t’aime . Sans quoi, il aurait mis son vrai cœur à la place. Ce cadeau, cette offrande — c’est une invitation. »
Il marchait sans rien voir de ce qui se passait autour de lui, le soleil et les ombres glissaient sur son visage, il avait le front en sueur, la bouche sèche, le cerveau en feu.
« Il est comme un frère non désiré, un frère aîné, un Caïn. Il fait des choses horribles, et il a Marianne… Car elle est vivante. Tu sais qu’elle est vivante. Un jour, un matin, tu te lèveras et tu trouveras dans ta boîte aux lettres un autre signe : il ne te laissera pas en paix. Elle t’attend — car elle n’a que toi. Sept milliards d’êtres humains et un seul qui puisse la sauver… »
Un timbre de bicyclette le tira de sa rêverie. Il s’éveilla, tourna sur lui-même en regardant, ému, la lumière éblouissante qui traversait les feuillages, faillit renverser le cycliste qui l’évita de justesse, sentit les ondes de chaleur, entendit le vrombissement du boulevard… Il avait le visage tordu par un rire muet. Ses yeux brillaient. Le miracle de la vie, une fois de plus.
Marianne…
Remerciements et sources principales
Tous mes remerciements vont à MM. Christoph Guillaumot, Yves Le Hir, José Mariet et Pascal Pasamonti, du Service régional de police judiciaire de Toulouse ; et à André Adobes, sparring-partner, jamais avares de leur temps. Aucun d’eux ne peut être tenu pour responsable de mes erreurs et de mes opinions.
Dans mes recherches pour donner à cette fiction une certaine réalité, j’ai trouvé une aide précieuse dans les livres suivants : Femmes sous emprise et Le Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien de Marie-France Hirigoyen ; Les manipulateurs sont parmi nous de Isabelle Nazare-Aga ; La Perversité à l’œuvre. Le harcèlement moral dans l’entreprise et le couple de Jean-Paul Guedj ; Une Française dans l’espace de Claudie André-Deshays et Yolaine de La Bigne ; Carnet de bord d’un cosmonaute de Jean-Pierre Haigneré et Simon Allix ; L’Exploration spatiale de Arlène Ammar-Israël et Jean-Louis Fellous ; Almost Heaven, the Story of Women in Space de Bettyan Holtzmann Kevles ; À leur corps défendant. Les femmes à l’épreuve du nouvel ordre moral de Christine Détrez et Anne Simon ; Toulouse hier, aujourd’hui, demain de Fernand Cousteaux et Michel Valdiguié ; L’Opéra ou la Défaite des femmes de Catherine Clément ; Tout l’opéra, de Monteverdi à nos jours de Gustave Kobbé ; Cinq grands opéras d’Henry Barraud ; Dictionnaire amoureux de l’opéra d’Alain Duault ; Russian Criminal Tattoo Encyclopaedia.
Caroline Sers m’a aidé à rendre ce texte meilleur, de même que Gwenaëlle Le Goff et Christelle Guillaumot.
Je remercie chaleureusement pour leur travail remarquable les équipes des éditions XO et Pocket ; à commencer par Bernard, Caroline et Édith — premiers lecteurs.
Toutes les erreurs sont de mon fait. Mes personnages ne sont que pure invention. Ainsi, les présentateurs télé et radio que j’ai rencontrés ne ressemblent en rien à ceux dépeints ici. De même, ni l’Agence spatiale européenne ni le CNES n’ont cherché, à ma connaissance, à étouffer quelque affaire que ce soit. Pour ce qui est des goûts musicaux de Servaz, je suis une fois de plus redevable à Jean-Pierre Schamber de m’avoir guidé sur ces épineux sentiers qu’il parcourt plus souvent que moi ; il faut ajouter ici la contribution de l’éminent Georges Haessig en ce qui concerne ces merveilleux fragments d’enregistrement sur rouleaux interprétés par Mahler lui-même.
Enfin je voudrais préciser que les serrures du Grand hôtel de l’Opéra ne sont très certainement pas aussi faciles à ouvrir qu’il est dit dans le livre. Mais cela ne change rien au fait que des millions de serrures électroniques de grands hôtels de par le monde présentent un niveau de sécurité très limité pour un cambrioleur un tant soit peu averti et équipé.
Et puis il me faut étendre les remerciements à ma famille, à mes amis et à tous ceux — ils se reconnaîtront — qui ont permis un jour que j’aie des lecteurs. Et, last but not least , à ces lecteurs eux-mêmes.
Voir Glacé , Éditions XO, 2011, et Le Cercle , Éditions XO, 2012.