— Pleure pas, s’te plaît…
Mais les sanglots empirent. Le corps de Tama, blotti contre le sien, est en proie à de violentes secousses.
— Je veux pas… que tu me… laisses pour une… autre ! parvient-elle à dire.
— Je m’en fous des autres, murmure Izri. Y a que toi qui comptes, Tama… Que toi, tu comprends ?
Izri caresse son visage tuméfié. Il la serre dans ses bras, elle se calme doucement. Ils restent ainsi pendant de longues minutes. Enfin, Tama a cessé de pleurer.
— Je voulais pas t’insulter. Pardon…
* * *
Tama met du fond de teint sur sa pommette pour tenter de dissimuler l’hématome qui s’éternise sur sa peau. Ce n’est pas la première fois qu’elle voit son visage abîmé et ne s’en émeut guère. Mais elle a compris qu’Izri était gêné de voir s’étaler de façon indécente la preuve de sa violence. Alors, c’est pour lui qu’elle se maquille.
Au fond d’elle, Tama sait qu’il recommencera. Qu’il verra d’autres femmes. Mais pour se rassurer, elle se répète ses paroles en boucle : Y a que toi qui comptes, Tama.
Oui, vraiment, il n’y a que ça qui compte.
Elle espère seulement que la prochaine fois, elle saura se montrer plus intelligente, plus indulgente. Elle s’estime heureuse qu’il n’ait pas cogné plus fort. Parce qu’on n’insulte pas son sauveur, son bienfaiteur. L’homme qu’on aime de toutes ses forces et de tout son cœur.
Quelques jours après le coup de poing, Izri lui a offert un cadeau. Un sublime collier avec de vrais diamants. Un bijou si magnifique que Tama se demande à quelle occasion elle pourra le porter. Sans doute lui a-t-il fait ce présent pour se faire pardonner son accès de violence. Pourtant, ce n’était pas nécessaire.
Car Tama lui avait pardonné depuis longtemps.
Avec des gestes brusques, il dénoua la corde et libéra ses poignets.
Elle était toujours assise par terre, les yeux braqués sur l’excavation qui allait garder son corps prisonnier pour l’éternité.
— Tu as du cran, dit Gabriel en jetant la corde un peu plus loin. Ouais, tu manques pas de courage, je dois dire…
En la prenant sous les aisselles, il la décolla du sol et la traîna plus près de la tombe. Elle se retrouva à genoux, juste au bord du vide.
— Mais tu n’aurais jamais dû me trahir, continua-t-il.
Elle releva la tête et ils se dévisagèrent en silence de longues minutes. Puis il sortit un couteau de sa poche. Le manche était en bois, la lame rétractable. Il se posta devant elle, la lumière baissa encore d’un cran.
Crever, dans cet endroit sinistre.
Mourir, sans savoir qui l’on est, qui l’on a été.
Mourir, sans savoir pourquoi.
Se faire saigner comme un animal, sans savoir si quelque part, quelqu’un l’attendait.
— Je… Je ne sais même pas comment je m’appelle, murmura-t-elle.
En sondant son regard, elle y vit la douleur, immense. La folie, aussi.
— Vous avez mal à cause de Lana ?
— Qui t’a autorisée à prononcer son nom ? rugit Gabriel.
Il tourna autour d’elle, rapace silencieux. Il s’éloignait, se rapprochait. Puis il se mit à chuchoter des mots qu’elle ne pouvait entendre. S’adressait-il à quelqu’un ? À un fantôme, peut-être. À Lana, sans doute.
Fallait-il lui parler ? Se taire ? Si encore, elle connaissait son prénom…
— J’ai froid, murmura-t-elle.
— Ta gueule !
— J’ai froid, répéta-t-elle. J’ai froid et j’ai mal… Aidez-moi, s’il vous plaît.
Longtemps, il continua à chuchoter dans le vide. Il marchait de long en large, tête baissée. Parfois encore, il scrutait le ciel comme si la réponse à ses questions pouvait s’y trouver.
Elle perçut quelques mots mais ne comprit pas grand-chose. Son bourreau était ravagé par le tourment, le doute. À chaque pas, il s’enfonçait plus avant dans la folie.
Bientôt, elle s’allongea sur le sol glacé, prête à accepter son sort. Le froid la possédait entièrement, elle n’avait plus la force de lutter contre lui. Contre son destin.
L’herbe devint bleue, tout comme l’écorce des arbres.
Bercée par la voix de son assassin, elle ferma les yeux.
Izri a rempli la piscine. Assise sur la margelle, les pieds dans l’eau, Tama semble hypnotisée par les jeux sensuels du soleil et de l’eau claire.
Aujourd’hui, il fait si chaud qu’elle rêverait de pouvoir se plonger dans ce bain de fraîcheur. Mais Izri n’a pas eu le temps de lui apprendre à nager.
Il y a quelques jours, elle l’a entendu discuter avec Manu. Ils étaient sur la terrasse, la croyaient endormie. Izri se méfie de quelqu’un. Un homme dont elle ignore s’il travaille pour eux ou s’il est leur concurrent. Manu lui a répondu qu’il devenait paranoïaque, que l’autre homme n’oserait jamais s’en prendre à eux.
Après avoir surpris cette conversation, Tama n’a pas pu dormir, en proie à un mauvais pressentiment.
Depuis, Izri est extrêmement tendu. À chaque seconde, elle a l’impression qu’il va exploser. Alors, elle se fait toute petite pour ne pas le déranger.
À force d’écouter, de capter des mots, des bribes de phrase, Tama a compris certaines choses. Manu a la mainmise sur quelques affaires à Montpellier, mais aussi à Marseille et même à Paris. Il est le propriétaire d’un club privé, d’un bar, d’un restaurant, d’une entreprise de transport… Izri est apparemment son bras droit, une sorte d’associé.
Tama sait que l’homme qu’elle aime joue à des jeux dangereux. Elle voudrait lui dire d’arrêter, de trouver un travail normal, même si ça les obligeait à vivre dans un petit appartement.
Mais Tama n’ose pas lui dire de telles choses.
Parce que Tama se sent insignifiante. Incapable d’influer sur les actes d’un homme tel qu’Izri.
Parce que Tama reste encore et toujours une petite bonniche. Une esclave et rien d’autre.
* * *
Greg passe souvent à la maison depuis que nous sommes à Montpellier.
D’après ce que je sais, il travaille pour Izri. Il s’occupe de l’une des affaires qui appartiennent à Manu et Iz. Une boîte de nuit très chic. Il l’aide aussi à gérer l’entreprise de transport.
Il est adorable avec moi, semble en admiration devant mon homme. Par contre, je sens que Manu ne l’aime pas beaucoup.
Mais Izri me tient à l’écart de tout ça. C’est comme s’il avait deux vies séparées. Celle qu’il mène avec moi et celle qu’il mène dès qu’il met le pied dehors. Telles l’huile et l’eau, elles ont du mal à se mélanger.
Pourtant, j’aimerais tout partager avec lui.
Tout. Même ses crimes.
* * *
C’est le bruit de la porte d’entrée qui me réveille en sursaut. Je m’assois sur le canapé, passe une main sur mon visage.
— Iz ?
Je me lève, allume les lumières et vois Izri dans le hall. Il enlève son blouson, le laisse tomber sur le sol. Il tient à peine debout. Je comprends immédiatement qu’il a trop bu, alors je l’aide à aller jusqu’à la chambre.
— Tu veux que je te fasse un café ?
— Non ! J’vais me coucher…
Il s’affale sur le lit, les bras en croix. Je lui enlève ses chaussures puis son pantalon et place un oreiller sous sa nuque.
— Tama ?
Je m’assois près de lui, caresse son visage.
— Je suis là…
Je sens qu’il a peur. Je ne sais pas de quoi. Dans son regard perdu, je devine le besoin d’être rassuré. Il n’y a que moi, sans doute, qui peux le voir comme ça. Quand il ne porte pas son masque de voyou. Quand il redevient un petit garçon terrifié rêvant de se cacher au fond d’un placard.
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