Il se dirigea vers son secrétaire, ouvrit un tiroir dont il tira une petite chaîne en or avec un médaillon ovale. Il l'avait déposée là hier. C'était celle qu'il avait prise dans l'appartement de Marlène.
Sur le médaillon figurait cette même croix.
Il secoua la tête, incrédule. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ?
Caterina prit le médaillon des mains de Lukas.
- En concentrant nos recherches sur Gonzaga et sur ces messieurs de la curie, il est fort possible que nous fassions complètement fausse route.
- C'est exactement ce que je pensais, répondit Malberg. Quoi qu'il en soit, il doit y avoir un lien entre la curie et cette confrérie.
- Et un lien avec la mort de Marlène !
- Je n'ose même pas y penser, dit Malberg en enfouissant son visage dans ses mains.
Caterina le regardait.
- Au fait, pourquoi as-tu décidé d'emporter cette chaîne ? finit-elle par lui demander en le regardant droit dans les yeux.
- Je ne le sais pas, dit Malberg avec hésitation. Vraiment pas... En tout cas, ce n'était pas pour conserver un souvenir de Marlène, si c'est ce que tu insinues. J'ai eu comme une drôle d'intuition, une sorte de sixième sens, une voix intérieure qui me disait de prendre cette chaîne, qu'elle avait peut-être une signification particulière. Pourtant, je l'ai découverte par hasard dans ses affaires. Comme quoi !...
Caterina déposa le mystérieux médaillon devant elle sur le bar de la cuisine. Ils fixaient tous les deux en silence le bijou qui brillait.
Et voilà qu'elle était de retour, cette méfiance qui s'installait toujours entre Caterina et Lukas dès qu'ils évoquaient la mort de Marlène.
Caterina avait du mal à croire que Lukas n'ait pas eu une idée derrière la tête lorsqu'il avait emporté la chaîne de Marlène. Durant les semaines écoulées, elle avait pu constater à plusieurs reprises l'attachement que Malberg éprouvait encore pour Marlène. Son comportement relevait même parfois de la névrose obsessionnelle. Caterina n'arrivait pas à le croire lorsqu'il jurait ses grands dieux qu'il n'y avait jamais rien eu entre lui et cette femme.
De son côté, Malberg sentait parfaitement la façon dont Caterina s'éloignait de lui dès qu'il était question de Marlène. Au début, lorsque l'intérêt qu'elle portait à cette affaire était encore d'ordre professionnel, elle avait ressenti une certaine sympathie pour l'amie de classe de Lukas. Mais, maintenant qu'ils avaient une liaison, Caterina n'éprouvait plus que de l'antipathie pour Marlène. Si elle s'intéressait encore au cas, c'était uniquement pour faire plaisir à Lukas et pour pouvoir enfin clore ce chapitre.
Malberg remuait sa cuillère dans sa tasse et observait en silence le tourbillon à la surface du café.
Au bout d'un moment, il leva les yeux.
- J'ai peur.
Caterina posa la main sur la sienne.
- Tu n'as pas à avoir peur !
Elle savait pertinemment que c'était stupide de dire cela compte tenu des événements de ces derniers jours.
- Je t'ai parlé de ce coup de fil anonyme, reprit Malberg. Depuis, ces mots ne me sortent plus de la tête : « Pensez à Soffici ! » Cette nuit, je n'arrivais pas à dormir, et j'ai tout à coup cru comprendre ce que l'inconnu avait voulu me suggérer. Je suis alors descendu dans le parking pour regarder de plus près ma Jaguar qui est garée là depuis plus de dix semaines.
- Mon Dieu, Lukas, je comprends maintenant tes craintes ! Il est possible que Soffici ait été victime du sabotage de sa voiture. Tu n'as pas ouvert la portière, au moins ?
- Non. Mais j'ai la sensation que quelque chose cloche. Je ne peux pas dire ce que c'est, c'est juste une sorte de pressentiment.
- Tu dois immédiatement prévenir la police !
- Ça a été aussi ma première réaction.
- Alors, pourquoi ne l'as-tu pas fait ?
Malberg hocha la tête.
- Tu as réfléchi aux conséquences ? Je devrais sûrement répondre à une série de questions embarrassantes. Est-ce que j'ai des ennemis ? Qui pourrait être ce correspondant anonyme ? En d'autres termes, l'affaire Marlène Ammer s'étalerait sur la place publique. Ses assassins, qui se sentent jusqu'à présent en sécurité parce qu'ils ont soudoyé, menacé ou tué tous ceux qui savent quelque chose, pourraient disparaître de la circulation et faire de moi la cible d'une nouvelle attaque. Et toi non plus, tu ne serais plus en sécurité.
Caterina se leva d'un bond et s'écria, en colère :
- Alors, prends ta clé de voiture, va au parking, ouvre ta portière et démarre le moteur !
- Non ! s'écria Lukas, tout aussi emporté. Il n'en est pas question.
- Alors, qu'est-ce que tu attends ? demanda Caterina en lui tendant le téléphone.
52
Caterina repartit le soir même pour Rome, soulagée.
Des experts en déminage de la brigade criminelle avaient examiné la Jaguar de Malberg sans y trouver ni bombe ni aucune trace de sabotage.
Lukas avait ensuite dû se soumettre à un interrogatoire délicat. Les recherches entreprises pour découvrir le mystérieux correspondant aboutirent au résultat suivant : l'appel téléphonique avait été effectué d'une cabine située dans la banlieue ouest de Francfort.
Caterina arriva fatiguée et épuisée à l'aéroport de Fiumicino. Mais sa fatigue s'envola tout à coup à la vue d'une bien étrange scène : deux hommes d'allure impeccable emmenaient tranquillement une femme qui se débattait. Ils sortaient avec elle du hall de l'aéroport. La scène était presque passée inaperçue dans la cohue des voyageurs.
Caterina elle-même n'y aurait guère prêté attention si elle n'avait pas vu le regard implorant que la femme lui avait lancé en passant à sa hauteur.
Or, cette femme n'était autre que la signora Fellini !
Sidérée, Caterina s'immobilisa. L'attitude de l'un des ravisseurs laissait deviner qu'il portait sous sa veste une arme braquée sur sa victime. Une Alfa Romeo aux vitres teintées attendait à la sortie. Les ravisseurs poussèrent la femme sur la banquette arrière du véhicule, qui démarra dans un crissement de pneus pour se perdre dans l'obscurité.
Pas besoin d'un grand esprit de déduction pour comprendre que la signora Fellini avait tenté de fuir de Rome. Elle savait qu'on surveillait le moindre de ses mouvements. Mais elle avait sous-estimé, semblait-il, l'étroitesse de cette surveillance.
En arrivant le lendemain au journal, Caterina n'avait pas assez dormi. Son humeur s'en ressentait. De toute manière, elle ne considérait désormais plus ce métier, qu'elle avait autrefois exercé avec enthousiasme, que comme un gagne-pain. Sa secrétaire, une quadragénaire en instance de divorce, qui s'intéressait essentiellement à la recherche d'hommes en mal de relation durable, la reçut avec l'incontournable cigarette du matin au bec et ces quelques mots :
- Le chef a appelé. Vous êtes attendue immédiatement dans la salle de rédaction.
Ce genre d'injonction ne disait rien qui vaille à Caterina, surtout à une heure pareille ; son humeur ne s'améliora pas. Derrière son énorme bureau, Bruno Bafile, le rédacteur en chef du Guardiano , recherchait dans les projets de gros titres étalés sous ses yeux celui qu'il allait choisir pour le prochain numéro.
L'air mauvais, il dévisagea Caterina à travers les verres épais de ses lunettes. C'était sa façon à lui de se faire respecter.
Au bout d'un moment, Bafile aborda le sujet pour lequel il avait fait venir Caterina :
- Si vous le souhaitez, vous pouvez reprendre votre ancien poste, marmonna-t-il avant de se replonger dans ses dossiers.
Caterina s'attendait à tout, sauf à cela. Elle lança un regard sceptique à son chef pour savoir si elle devait prendre ses paroles au sérieux. Mais Bafile ne cilla pas.
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