Murath lui coupa la parole.
- Impossible. Vous croyez qu'un autre chercheur pourrait poursuivre exactement les mêmes recherches ?
- C'est cela même !
- Monsieur le cardinal !
- Je me passe volontiers de ce titre.
- Soit. Monsieur l'ex-cardinal, j'ai passé la moitié de ma vie à bâtir cette démonstration. Et, en toute modestie, j'ai toujours la réputation d'être une sommité en biologie moléculaire et en génétique moléculaire, bien qu'un certain nombre d'années se soient écoulées depuis l'époque où je travaillais à l'Institut Whitehead de Cambridge, dans le Massachusetts. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que cet institut de recherche me doit la réputation dont il jouit aujourd'hui au niveau international.
- Professeur, personne ne se permettrait de nier vos mérites. Et moi, encore moins. Je serais ravi que vous l'emportiez au final. En effet, si d'autres nous devançaient, ce serait une catastrophe pour toute la confrérie.
- Je sais, fit Murath, avec le sourire radieux de l'homme sûr de son fait.
Le professeur enfila sans dire un mot des gants en latex. Avec ses mains ainsi levées, il ressemblait à un cambrioleur pris en flagrant délit. Cet homme, dont la peau blafarde témoignait de son aversion pour la lumière, paraissait encore plus étrange que de coutume. Il ouvrit une armoire vitrée et en sortit le linceul plié dans une boîte en plexiglas.
Il déplia le linge sur la table qui ressemblait à celles sur lesquelles on pratique les autopsies. On discernait vaguement l'image en négatif d'un corps humain. L'endroit où le petit morceau d'étoffe manquait sautait immédiatement aux yeux.
Anicet tendit à Murath le précieux sachet de cellophane. Le professeur sortit l'échantillon de tissu avec des pincettes. La tension se lisait sur son visage.
Un étage plus bas, à tout au plus vingt mètres à vol d'oiseau de l'endroit où se déroulait cette scène, dans la cellule du docteur Dulazek, le cytologue et l'hématologue Ulf Gruna étaient penchés devant un minuscule récepteur guère plus grand qu'un paquet de cigarettes. Dulazek cherchait sans succès à augmenter le volume. Mais, hormis des chuintements et des grésillements, aucun son ne sortait du petit appareil.
- Que se passe-t-il ? chuchota Dulazek qui s'impatientait. Je n'entends rien !
Une semaine auparavant, Gruna avait réussi à fixer sans se faire remarquer un minuscule micro sous la table dans le laboratoire du professeur Murath. Gruna haussa les épaules :
- Je n'en ai aucune idée. Il y a une minute, le matériel fonctionnait encore très bien.
- Mais il ne marche plus. Bon sang, justement au moment où les choses se corsent ! Murath n'a tout de même pas découvert l'engin ?
- Impossible. On entendrait autre chose.
Tout à coup, un craquement sortit du petit haut-parleur.
- Comment avez-vous réussi à vous procurer le morceau manquant, monsieur l'ex-cardinal ?
Long silence. Dulazek et Gruna échangèrent un regard tendu. Le silence durait.
Puis, la même voix reprit :
- Laissez-moi deviner. C'est grâce à Soffici, le secrétaire du cardinal Gonzaga. Mais vous venez de me dire que Gonzaga n'avait pas réussi à l'acheter. Il y a quelque chose que je ne comprends pas.
Et maintenant la voix d'Anicet :
- Il n'est pas nécessaire que vous compreniez, professeur. L'essentiel est de prouver qu'il s'agit bien du morceau original, et non d'un faux.
Murath :
- Certes. Mais, en ce qui concerne Soffici, les rumeurs les plus folles circulent. On dit que l'accident aurait été provoqué.
Anicet :
- Tiens ? On dit cela ? Et quand bien même ce serait exact, est-ce que cela changerait quelque chose à notre situation ?
Pas de réponse.
Anicet, de nouveau :
- Qu'attendez-vous pour placer le morceau de tissu dans l'encoche !
Bruits rapprochés, confus.
Puis, après une minute interminable, Anicet :
- Effectivement. Regardez la trame du tissu !
Murath :
- Vous avez raison. Il n'y a aucun doute possible.
Anicet :
- Le motif de l'étoffe du petit morceau s'emboîte parfaitement dans le celui du linge. On ne peut pas falsifier ce genre de chose ! Gonzaga nous a donc bien apporté l'original.
Murath :
- Mais alors, je ne comprends pas pourquoi mes analyses n'aboutissent à aucun résultat.
Dulazek et Gruna échangèrent un sourire complice.
Anicet :
- C'est bizarre, en effet, mais une nouvelle chance s'offre désormais à vous.
Murath :
- Ce n'est pas moi qui vais vous contredire. Si les traces de sang présentes sur l'échantillon sont analysables, alors... Je n'ose y croire !
Au bout d'un long moment de silence, Gruna reprit, inquiet :
- Et que va-t-il se passer maintenant ?
- Ils se tombent dans les bras et ils s'embrassent ! remarqua Dulazek d'un ton sec avant de plaquer la main devant sa bouche pour réprimer un grand éclat de rire.
Une voix se fit à nouveau entendre dans le haut-parleur. C'était celle d'Anicet :
- De combien de temps avez-vous besoin pour obtenir les premières informations ?
- Donnez-moi trois à quatre jours. En attendant, je garderai la précieuse relique dans ma cellule.
Dulazek lança à Gruna un regard plein de sous-entendus. Emploi du temps de la nuit : tir au pigeon.
51
Malberg était allé chercher Caterina à l'aéroport en taxi. Il avait acheté des petits pains frais, du jambon, du fromage et de la gelée de coings pour leur petit-déjeuner. Ils étaient maintenant installés au bar de sa cuisine américaine. Caterina reposa sa tasse en grimaçant.
- Je sais ce que tu vas me dire, dit Lukas. Que mon café est de la lavasse !
- Je n'ai jamais dit cela !
- Mais tu l'as pensé si fort que je l'ai entendu ! Tu n'as d'ailleurs pas tort, la préparation du café n'est pas mon fort.
Caterina étalait avec un plaisir non dissimulé de la gelée de coings sur un petit pain :
- Bon, pour ce qui est du café, je peux encore m'en occuper, dit-elle avec un sourire malicieux.
- Et pour le reste ?
- Euh... Là, il faudra négocier.
Lukas saisit la main de la jeune femme. Caterina rougit, pensant que Lukas était sur le point de lui faire une demande en mariage, là, entre le jambon et la gelée de coings. Les Allemands n'ont pas toujours l'art et la manière de faire les choses, dans ce domaine. Cependant, elle déchanta assez vite.
- Tu me disais qu'il y avait dans l'article sur Soffici un indice concernant l'assassinat de Marlène, dit Malberg.
Caterina n'en croyait pas ses oreilles, mais elle parvint à cacher sa déception.
- Oui, répondit-elle en fouillant dans son sac de voyage dont elle sortit une feuille de journal. L'article est paru dans le Messagero d'hier.
Malberg parcourut rapidement l'article qui relatait sur quatre colonnes l'accident de Soffici. Le journaliste concluait en se demandant pourquoi le secrétaire de Gonzaga s'était trouvé à cet endroit, dans le véhicule de fonction du cardinal secrétaire d'État dont les plaques minéralogiques avaient été remplacées par de fausses plaques allemandes.
Pour le journal, les circonstances dans lesquelles Soffici avait trouvé la mort alors qu'il se rendait au château de Layenfels, le siège d'une confrérie hostile à l'Église, étaient particulièrement mystérieuses. Pas un seul mot qui renvoyait à Marlène. L'article n'apportait rien de nouveau. Déçu, Malberg se tourna vers Caterina.
- La photo, dit-elle en montrant le cliché reproduit au-dessus de l'article, où l'on voyait le porche du château de Layenfels. Regarde le blason, au-dessus de l'entrée !
Malberg fronça les sourcils : il venait de distinguer sur le blason une croix ressemblant à une croix russe dont la branche inférieure serait inclinée. Il avait déjà vu ce symbole runique quelque part. Oui, naturellement.
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