Malberg regardait Caterina sans comprendre.
- Pour être franc, dans la situation qui est la mienne aujourd'hui, ce genre de nouvelle ne m'intéresse pas le moins du monde, dit-il sur un ton réprobateur.
- Vous allez tout de suite changer d'avis, rétorqua Caterina froidement.
Sans autre explication, elle posa une photo sur la table, à côté de l'article de journal. On y voyait une douzaine d'hommes, vêtus de noir, qui assistaient à l'enterrement de Marlène.
- Je croyais que vous aviez donné votre carte mémoire au grand type du cimetière ?
Caterina eut un sourire enjoué.
- Oh, vous savez, avec le temps, les reporters finissent par avoir des réflexes très professionnels en pareil cas. Comme d'extraire discrètement une carte mémoire importante de leur appareil photo et de la faire disparaître dans leur poche.
- Je ne vois cependant toujours pas le lien entre les photos et l'article.
- Et maintenant ?
Caterina brandissait à deux mains une photo, de toute évidence un agrandissement, devant le visage de Malberg.
-C'est... c'est... bredouilla Malberg. Mais c'est...
- Le cardinal secrétaire d'État Gonzaga !
- Mais que faisait-il à l'enterrement de Marlène ?
- C'est la question que je me pose aussi.
Malberg repoussa son assiette et passa ses mains sur son visage. Caterina affichait un air triomphant, comme un joueur de cartes qui surprend son adversaire en sortant un as.
- Toujours est-il que la présence du cardinal secrétaire d'État n'était peut-être pas fortuite.
- Bien sûr que non. Il doit y avoir un lien entre Marlène et le cardinal.
- Si vous voulez mon avis... proposa Caterina.
- Je vous en prie !
- Il y avait certes un lien avec le cardinal secrétaire d'État, mais pas uniquement avec lui. Regardez de plus près ces hommes vêtus de noir.
Caterina tendit une autre photo à Malberg.
- Ce que vous insinuez, c'est qu'on imaginerait ces visages cireux légèrement rougeauds sortant d'un col de soutane noire plutôt que du lit d'une femme ?
- C'est exactement cela.
- Mais, enfin, qu'est-ce que Marlène pouvait bien avoir à faire avec le Vatican pour que les hautes autorités envoient toute une délégation à son enterrement ?
- C'est de fait une question dont nous devrions chercher la réponse.
Malberg considéra longuement Caterina.
- À vous entendre, je constate que votre méfiance à mon égard s'est un peu atténuée.
- Oui. On pourrait même faire plus simple dans la formulation, mais... dit-elle en riant. Notez néanmoins au passage que cela ne fait pas disparaître le mandat d'arrêt lancé contre vous.
- Mais nous possédons désormais des preuves du fait que Marlène était mêlée à une drôle d'histoire...
- À une drôle d'histoire ? Le fait que la moitié de la curie soit présente à l'enterrement de Marlène ne constitue pas une preuve en soi. C'est simplement un indice. Une piste qui, après enquête, ne débouchera peut-être nulle part. En revanche, il est étrange que Marlène ait été enterrée de façon anonyme. Quelle était la formule exacte, déjà ? Sconosciuto , inconnue ! Ces étranges enchaînements de circonstances, et la façon dont les événements semblent être intriqués, me paraissent en tout cas hautement suspects.
- En effet.
Malberg tira de sa poche le petit carnet de Marlène.
- Regardez cela.
Caterina le dévisagea, perplexe.
- Qu'est-ce que c'est ? De quoi s'agit-il ?
- Le calepin de Marlène, je l'ai trouvé dans son appartement.
Intriguée, Caterina feuilleta l'agenda.
- Et ces mots incompréhensibles ? Que signifient-ils ?
- Je peux vous le dire. Le premier mot désigne un jour du calendrier liturgique. Prenons par exemple oculi : c'est le premier dimanche de carême.
Caterina était pendue à ses lèvres.
- Et les mots qui suivent ?
- Ce sont les noms de certains prophètes de l'Ancien Testament.
- En d'autres termes... commença Caterina qui avait tout de suite fait le rapprochement.
- ... les personnes que Marlène a de toute évidence rencontrées doivent avoir quelque chose à faire avec l'Église, termina Malberg.
- Nous ne nous trompons donc pas dans nos suppositions, dit Caterina avant d'observer un instant de réflexion. Je redoute que les investigations nécessaires ne dépassent largement nos modestes capacités.
- Vous avez peur, Caterina ?
- Évidemment que j'ai peur. Il n'y a que les imbéciles qui prétendent n'avoir jamais peur.
- Que dois-je faire ? Aller trouver la police et leur dire : « Me voici, j'étais certes dans l'appartement, mais je n'ai rien à voir avec le meurtre... » ?
- Cela ne nous avancerait guère. On vous arrêterait et vous n'auriez pas la moindre chance de prouver votre innocence. De plus, les prisons romaines n'ont pas vraiment bonne réputation. Voici ma proposition : dans un premier temps, vous allez vous cacher chez moi. Ce sera un peu étroit, mais je ne vois pas d'autre possibilité pour le moment.
- Vous feriez cela pour moi ?
- Vous avez mieux à proposer ? Vous voyez ! Il ne peut pas y avoir d'endroit plus sûr. Allez, venez !
Caterina Lima vivait dans le Trastevere, Via Pascar, non loin de la gare. Les immeubles se ressemblaient tous : dotés de cinq ou six étages, ils dataient du siècle dernier, et certains étaient plus anciens encore, avec leurs encadrements massifs aux fenêtres et leurs porches d'entrée majestueux qui contrastaient nettement avec les murs décrépits des cages d'escaliers.
Quant à la population du Trastevere, dans nulle autre grande ville la richesse et la pauvreté, l'élégance et la déchéance, la vieillesse et la jeunesse ne se côtoyaient de si près. Depuis une cinquantaine d'années, le Trastevere, à l'origine un quartier pauvre de Rome, s'était peu à peu transformé en une zone résidentielle recherchée. Dans le coude du Tibre, à proximité de la basilique Santa Cecilia, se trouvait même une enclave devenue quasiment inabordable.
Mais, entre les anciens immeubles transformés en appartements de luxe et les restaurants chics, il restait encore de la place pour les gens simples et fiers, qui continuaient de célébrer chaque été la Festa de Nuantri , la « Fête des autres ».
Caterina venait d'expliquer tout cela à Malberg dans le taxi qui les emmenait vers le Trastevere. Mais il ne l'avait écoutée que d'une oreille distraite. Conscient d'être plus que jamais dépendant de l'aide que lui apporterait Caterina, il échafaudait des plans pour la suite des événements. La tournure qu'avaient pris les événements l'avait transformé, lui le chasseur des assassins de Marlène, en gibier traqué par la police. Un temps, il avait envisagé de renoncer, d'accepter simplement le fait que Marlène n'était plus de ce monde ; mais à présent, il commençait à comprendre qu'il n'avait pas d'autre choix que de faire la lumière sur ce crime.
- Nous voici arrivés !
La voix de Caterina le fit tressaillir.
Après les descriptions de la jeune femme, Malberg s'attendait au pire. Il ne put cependant s'empêcher d'éprouver une certaine déception lorsqu'il découvrit le vieil immeuble à la façade lépreuse dans lequel vivait Caterina.
- C'est au deuxième étage, lui dit-elle pendant qu'il gravissait les marches dans la cage d'escalier décorée de carreaux de faïence bleue.
À la grande surprise de Malberg, elle sonna à la porte de l'appartement et, peu de temps après, un jeune homme mince, sportif, aux cheveux bruns, leur ouvrit.
Caterina l'embrassa sur la joue.
- Paolo, dit-elle en se tournant vers Malberg.
Puis, à l'adresse de Paolo :
- Voici le signor Malberg, de Monaco di Baviera. Il va habiter chez nous pour quelque temps.
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