Le gardien regarda autour de lui. Kowask était invisible de l’autre côté de la barrière.
— C’est bon, allez chercher le truc, mais revenez tout de suite, hein ! Ne vous barricadez pas dans votre roulotte sinon il pourrait vous en cuire.
L’Espagnol murmura quelque chose et fila vers l’intérieur du camp. Le gardien le rappela :
— Hé, Rabazin ? L’homme revint lentement :
— Quoi donc ?
— Ceci.
Il lui jeta quelque chose.
— La clé du cadenas que j’ai posé cette après-midi. J’ai passé une chaîne entre la poignée de la porte et la grille de la fenêtre. Vous n’auriez pas pu ouvrir.
Kowask patienta une bonne minute avant de se montrer. Le gardien installé devant un magazine et un verre de bière sursauta.
— Bonsoir, monsieur, vous m’avez surpris.
— Je veux voir le señor Rabazin.
À ce nom l’autre fronça le sourcil, et son visage devint méfiant. Il ne devait pas aimer ce genre de coïncidence.
— Il vient de rentrer. Il vous attend ?
— Certainement.
Le ton ferme ne supportait aucune réplique.
— Allée E, vous verrez la vieille Pacific à la peinture grise écaillée.
Il suivit l’allée principale jusqu’à l’embranchement où la E débutait, tout au fond du camp, loin de l’ombre des pins, et très près de l’arroyo marécageux qui cernait le nord-est de remplacement.
La roulotte de Rabazin était la dernière, et elle ne paraissait pas en bon état. Aucune voiture ne stationnait auprès. L’homme avait dû la vendre depuis longtemps. Une faible lumière venait de la porte ouverte.
Le marin escalada le petit escalier aux marches branlantes, vit son homme en train de glisser un transistor dans son étui en imitation crocodile.
— Bonsoir, Rabazin.
L’Espagnol se retourna vivement, le visage apeuré, les bras écartés du corps, doigts ouverts, en homme habitué à ce genre de situation.
— Je crois que nous avons plusieurs choses à nous dire.
Rabazin avala sa salive et reprit un peu de sang-froid.
— Vous devez confondre, señor. Je ne vous connais pas.
Le sourire de Kowask l’inquiéta à nouveau. Le lieutenant de vaisseau désigna le transistor.
— Le gardien doit l’attendre. J’ai cru comprendre qu’il vous manquait la somme de treize dollars 25 pour être d’accord avec lui.
Il sortit deux billets de dix dollars de son portefeuille.
— Vous feriez mieux d’aller régler cette dette sur-le-champ. Mais évitez de dépasser sa loge pour votre sécurité.
Rabazin prit les billets.
— Revenez tout de suite, dit Kowask grand seigneur en allant s’asseoir sur la couchette de la caravane.
Cinq minutes plus tard l’homme était de retour avec une bouteille de bourbon. Le geste plut à Kowask. Il restait dans cette épave une certaine générosité, un goût bien latin du faste. Il plaça deux verres sur la table rabattante et les remplit.
— À votre santé, señor !
Kowask but une gorgée, regarda l’homme.
— Mexicain n’est-ce pas ? Depuis quand connaissez-vous Peter Quinsey ?
Le Mexicain reposa son verre :
— Six mois environ.
— Vous travailliez pour lui ? L’homme baissa les paupières.
— Jusqu’alors je travaillais pour moi.
Kowask comprit en regardant ses doigts agiles.
— Flambeur, hein ?
— Professionnel, mais ça devient de plus en plus difficile. J’ai eu l’occasion de gagner quelques dollars avec le señor Quinsey.
— Et pour le meurtre de Thomas Ford, combien vous a-t-il donné ?
Le Mexicain pâlit encore et son front se couvrit de gouttelettes de transpiration. Pourtant il continua de regarder le lieutenant dans les yeux :
— Je ne comprends pas.
Le visage du marin se durcit :
— Vous aviez l’habitude de le rencontrer dans un bistrot du côté de Melbourne. Le patron et la serveuse vous connaissent bien.
Une idée folle qui lui était soudain venue. Si elle s’avérait juste, il y aurait de quoi rire longtemps de Sunn et Hammond à l’O.N.I.
Le regard de Rabazin se troubla :
— Je le rencontrais en effet, mais je ne l’ai pas tué.
— Que veniez-vous faire ce soir chez Quinsey ? L’homme réfléchit quelques secondes :
— Qu’attendez-vous de moi au juste ?
— Tout ce que vous savez, ou bien je vous livre au lieutenant de la police locale.
— Sans aucune compensation pécuniaire ?
— Dix dollars au maximum. C’est tout ce que je peux faire pour vous.
— Vous êtes un flic ?
— Non. Mais je représente le gouvernement fédéral.
Le Mexicain but un peu d’alcool et essuya ses lèvres avec sa pochette. Son costume était élimé, mais le pantalon conservait le pli et l’ensemble avait dû sortir des mains d’un bon faiseur quelques années plus tôt.
— Je comprends et c’est plus grave que je ne le pensais.
— Vous êtes intelligent. Êtes-vous vraiment Mexicain ?
— Oui.
— En relation avec les milieux cubains ?
L’homme secoua la tête :
— Non.
— Que vouliez-vous à Quinsey ?
— Lui demander de l’argent. Kowask s’en doutait :
— Un chantage au sujet de Ford ?
— Oui. J’ai réfléchi depuis la découverte du cadavre. Ce ne peut être que Quinsey.
— Pourquoi ?
— Je l’ignore.
Tranquillement Kowask sortit son spécial police 38. Le Mexicain tressaillit mais resta silencieux.
— Vous aviez une raison de le soupçonner de ce crime.
— Il m’envoyait le rencontrer pour qu’il me remette un paquet assez important.
— Qui contenait ?
— Des rouleaux de papier blanc assez curieux. Une fois j’ai regardé, car les paquets n’étaient jamais faits avec un grand soin. Moi je lui donnais une enveloppe qui devait contenir de l’argent.
Kowask alluma une cigarette sans lâcher son arme.
— Cela ne nécessitait pas de grandes conversations.
Rabazin sourit :
— Bien sûr, mais l’un et l’autre nous étions curieux de savoir ce que manigançait Quinsey, et nous avons fini par devenir sinon amis, du moins copains.
— Et Quinsey ne se doutait pas de vos conciliabules ?
— Si, mais il me payait pour que j’essaye de savoir ce que pensait le marin.
En fait Quinsey encourageait ces longs contacts. Maintenant Kowask était certain que Rabazin ressemblait à Farnia, l’agent cubain dont avait parlé Sunn. Sans être son sosie il pouvait passer facilement pour lui, au regard de gens qui ne le voyaient pas souvent.
Pour plus de certitude il demanda brutalement :
— Connaissez-vous un certain Farnia ?
— C’est la première fois que j’entends ce nom, dit le Mexicain. Qui est-ce ?
D’un geste il éluda la réponse.
— Pourquoi Quinsey aurait-il tué Ford ?
— Quelques jours avant sa mort il m’a dit qu’il n’aurait plus besoin de moi. Il m’a donné dix dollars et m’a conseillé de ne plus m’occuper de cette histoire.
— Mais vous connaissiez son adresse ?
— Je l’ai suivi ce soir-là, et il m’a été facile de le faire sans me faire remarquer.
En supposant que Quinsey ait voulu faire passer Rabazin pour un agent castriste, pourquoi l’avait-il laissé en vie ?
— Il ne vous à pas donné d’autres conseils ?
— Si, celui de filer ailleurs si je ne voulais pas me trouver dans une position difficile. Je lui ai promis de m’en aller le lendemain. Il a pu le croire, car c’est ce jour-là que j’ai amené ma voiture à un garage d’Orlando, pour la vendre. Je suis resté deux jours dans cette ville. S’il est venu se renseigner au camp il a dû apprendre mon absence.
— Et vous êtes revenu pourtant ? Le Mexicain sourit :
— J’ai flambé les deux cents dollars que m’avait rapportés la vente de ma voiture. Je suis donc rentré avec juste de quoi manger, et puis j’ai réfléchi.
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