— Comment ça?
— Il parle très bien l’espagnol, mais, d’apparence, ce n’en est pas un. Il doit être Allemand. Pour venir ici, il utilisait une camionnette Peugeot. Il était accompagnée de deux hommes, des Allemands aussi.
— Tu serais capable de le reconnaître?
Gracian hésita. Kovask se planta devant lui.
— Si je réussis, tu n’auras plus rien à craindre de la Phalange. Ce que je révélerai au gouvernement à son sujet suffira pour qu’elle soit tenue à l’écart, et peut-être même sérieusement surveillée.
Gracian secoua la tête.
— Il y a plusieurs années que ça dure cette lutte secrète. Seulement, la Phalange contrôle toujours les syndicats et une partie de l’armée.
— Ne faisons pas de politique. Vois-tu une autre issue à ta situation?
L’homme réfléchit à peine.
— Non, reconnut-il.
— Combien de fois as-tu vu cet intendant?
— Une dizaine.
Kovask se tourna vers Brandt.
— Est-il possible de faire établir un portrait robot?
— Certainement, je vais convoquer mes spécialistes.
Une demi-heure plus tard Gracian était entre les mains de trois hommes qui lui passaient des photographies de mentons, de nez, de bouches. Brandt et lui attendaient patiemment à côté.
— La C.I.A. tient un fichier des principaux nazis réfugiés dans ce pays. J’espère que je tiens enfin une piste.
— Est-ce indiscret de vous demander ce que vous comptez faire par la suite?
— Liquider le réseau nazi. Même s’il y a des éclaboussures du côté Phalange. Si je peux avoir une preuve flagrante de sa complicité, encore mieux. Mais de toute façon, après ce coup dur, le Parti restera en veilleuse.
— La Phalange est-elle le seul obstacle à l’entrée de l’Espagne dans L’O.T.A.N.?
Kovask alluma une cigarette avant de répondre.
— Croyez-vous que notre position changera tellement, mon cher Brandt? Nous jouissons dans ce pays d’un meilleur statut que sur le territoire des autres pays membres. Tenez, en France, par exemple, ou au Danemark, nous n’avons pas cette liberté de manœuvre.
— Alors?
— Franco veut entrer dans l’Alliance. Pour consolider sa position intérieure. Il sait qu’un jour ça craquera. Je le crois aussi. On ne peut gouverner impunément dans ces conditions. En vingt et un ans de dictature, rien n’a été fait. Les autres s’étaient un peu mieux débrouillés.
Brandt éclata de rire.
— Pas tellement, puisqu’ils ne sont plus en place. Faut croire qu’il a quand même la méthode pour rester en équilibre.
Une heure plus tard, la photo-robot était en possession de Kovask. Elle représentait un homme d’une cinquantaine d’années, d’allure très jeune. Des cheveux blonds coupés court, un visage bronzé, un sourire un peu cynique qui découvrait une magnifique denture.
— Satisfait, Kovask?
— Parfaitement. Je vais rentrer à Séville et, demain, j’aurai certainement des renseignements plus précis. C’est alors que j’aurai besoin d’une de vos équipes.
Brandt se frotta les mains.
— Entièrement à votre disposition. Qu’allons-nous faire de ce poissonnier?
— Gardez-le encore un peu. Le temps eue tout soit terminé. Il faudrait qu’il puisse rassurer sa femme. Que celle-ci ne prévienne pas la police.
— Ce sera fait. Je peux vous offrir un lit si vous ne voulez pas rejoindre Séville de nuit.
— Il faut que je sois sur place demain matin.
— Vous ne m’en voulez pas trop? À cause du briefing?
Kovask sourit :
— Non, ça m’a permis de trouver Gracian au saut du lit.
Le lendemain matin, le premier soin de Kovask fut de téléphoner à Duke Martel. Ce dernier avait reçu une documentation importante sur les nazis et les Allemands installés en Espagne depuis la fin de la guerre.
— D’accord, je vous attends à partir d’une heure de l’après-midi, répondit-il à une question de Serge.
Ensuite, il chercha sur l’annuaire le nom de Julio Lagrano, le trouva dans les pages consacrées à Séville et dans celles d’un village voisin. L’homme avait, comme tous les riches propriétaires, un pied-à-terre dans la ville. Il téléphona à la propriété, demanda à parler à l’intendant.
— Je regrette, señor, mais don Camilo est absent pour tout le matin.
— Vous ne savez pas où je pourrais le trouver?
— Je ne sais pas, señor. Peut-être au commissariat central.
Kovask raccrocha après avoir remercié. La disparition de Julio devait commencer d’inquiéter son entourage. On avait certainement trouvé sa Porsche dans le faubourg nord.
Il décida d’aller faire un tour du côté du commissariat central. Sa voiture au parking, il chercha pendant un bon quart d’heure avant de trouver un break 403 Peugeot, avec comme nom de propriétaire Lagrano. Il attendit. Il voulait seulement voir le visage de l’intendant du domaine, don Camilo.
À dix heures, un homme s’approcha du break, ouvrit la portière gauche et s’installa au volant. C’est un Espagnol de petite taille, légèrement bedonnant. Il n’avait rien à voir avec l’homme de la photo-robot.
Satisfait sur ce point, il rejoignit sa voiture. Au moment de démarrer, il aperçut dans son rétroviseur le garçon en blue-jean. Il ne portait plus sa marinière mais une chemise noire. Il ne s’était guère interrogé à son sujet. C’était peut-être un homme de Lagrano. Il n’était pas très inquiétant, et il savait pouvoir le semer aisément. La moto qu’il utilisait plafonnait à quatre-vingts, quatre-vingt-dix. Pour la ville, c’était, d’ailleurs, un moyen excellent de filature.
Il décida de gagner Cordoue et de manger un morceau en route pour être chez Duke Martel à l’heure du rendez-vous. Le garçon à la moto le suivit jusqu’en banlieue. Kovask le lâcha rapidement sur la N.4. Au bout de quelques kilomètres il s’immobilisa sur le bas-côté, attendit. Mais l’inconnu avait complètement renoncé, semblait-il.
À Ecija, il s’arrêta devant un restaurant et déjeuna avec appétit. La veille il avait quelque peu négligé son estomac et il se rattrapa. Quand il remonta dans la Mercedes on le regarda avec inquiétude. C’était une vraie folie que de courir les routes par une chaleur pareille. D’ailleurs, la N.4 était en partie déserte.
À une heure pile, il sonnait à la porte de service de la Compania Internacional de Aceites. Duke Martel, pantalon clair et chemise à manches courtes, vint lui ouvrir.
— Vous êtes à l’heure, dit-il.
Il le laissa dans le bureau pour aller chercher du café et du bourbon. Au retour, il prit une grosse chemise dans son coffre et la lui tendit.
Kovask sortit sa photo-robot.
— Voici notre homme.
Duke Martel examina le montage.
— Drôle de bonhomme s’il existe ! Je n’aimerais pas me trouver en face de lui sans arme.
Kovask lui-même avait éprouvé une sorte de malaise en regardant la photographie.
— Un dur, j’ai l’impression. Son réseau doit être un modèle du genre.
Le café bu, ils commencèrent le travail. Au début ils trouvèrent trois fiches dont les photographies se rapprochaient du montage. Mais pourtant il manquait quelque chose à ces têtes-là, l’air résolu et cynique de l’inconnu décrit par Andrés Gracia.
C’est Kovask qui découvrit la bonne et la ressemblance était si parfaite que Duke Martel se rendit compte de sa stupeur.
— Bon sang ! En plein dans le mille ! Vous avez un sacré informateur.
— Et les techniciens de Cadix sont des champions, murmura Kovask.
Fasciné par l’inconnu, il ne pensait même pas à consulter la fiche. Duke Martel lut par-dessus son épaule :
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