— Continue.
— Les départs avaient toujours lieu en camion, vers le Nord.
Kovask sortit son paquet de cigarettes. L’homme refusa d’en prendre une.
— Trois ou quatre semaines? Il faut loger ces jeunes gens. Leur présence ne peut, passer inaperçue.
— Il y a des villages abandonnés dans la Sierra Morena. Certains sont inclus dans ces zones militaires interdites. Vous ne connaissez pas la Sierra. Vous pouvez faire trente, quarante kilomètres sans rencontrer âme qui vive. Il n’y a pas de route. Des chemins difficiles.
Kovask décida de pratiquer le système de la douche écossaise.
— Pourquoi as-tu tué Rivera?
— Ce n’est pas moi.
— Qui alors?
— Ce n’est pas la Phalange.
Kovask se rapprocha menaçant.
— Mais pour sa femme, c’était bien la Phalange?
— J’étais le seul à pouvoir l’approcher sans être remarqué. J’ai reçu l’ordre hier au soir. Tout a été arrêté définitivement cet après-midi.
— L’ordre, d’où venait-il?
Je ne peux pas vous le dire. Vous rapprendrez tôt ou tard.
— Ton chef local?
Cambo se tut.
Il y a collusion entre les Allemands instructeurs de ces jeunes et la Phalange?
— Oui. Ce sont tous d’anciens camarades de combat. Nos chefs sont tous des vétérans de la Division Azul. Je n’ai jamais eu affaire avec les Allemands qui habitent ce pays. Je n’ai guère d’importance à la Phalange.
— Tu fais partie des troupes de choc? Cambo détourna le regard.
— Tu as trente-cinq ans. Trop jeune pour avoir participé à la Révolution. Mais par la suite, ton parti organisa des chasses aux rouges. Longtemps après la fin de la guerre. Pour entretenir le moral, en quelque sorte. Tu es un tueur. Vous arriviez à huit ou neuf chez un pauvre type choisi au hasard, parce qu’il avait été fiché quelque part sur un effectif de l’armée républicaine. Ils t’ont placé chez Rivera pour le surveiller?
— Non, c’est par hasard que je me suis rendu compte de ses activités secrètes. J’ai prévenu mes chefs et nous avons découvert plusieurs choses.
— Lesquelles? Qu’il appartenait à la C.I.A., le nom de son chef direct?
— Oui.
— Et Juan Vico?
Cambo haussa les épaules.
— C’est ensuite qu’on a su qu’ils avaient été en contact.
— Où est Vico?
— Il doit être mort.
— Comment le sais-tu?
Kovask avait compris la psychologie assez sommaire de cet homme. Ne pas exiger de lui le nom de son chef. Tourner en rond, en spirale plutôt, pour se rapprocher de la vérité et la cerner.
— Par hasard.
— Et Miguel Luca? Aussi? Que sont devenus leurs corps?
— Je ne sais pas. On ne m’a pas tenu au courant de cette affaire.
— Ils avaient découvert le camp secret d’entraînement?
— C’est possible.
— Quelle est la femme à la voix geignarde qui se trouvait chez les Rivera en leur absence et qui se faisait passer pour leur servante?
À un signe imperceptible il devina qu’il avait fait mouche. Il fit un geste vers l’Espagnol.
— Une sympathisante, certainement.
— Nous allons partir tous les deux pour la Sierra Morena.
Cambo eut l’air effaré.
— C’est de la folie ! Nous …
— Nous partons immédiatement. Vous avez une voiture?
L’autre ne répondait pas. Kovask écrasa sa cigarette dans un cendrier.
— Écoute-moi, Cambo. Dona Isabel meurt d’envie de venger son mari. J’ai eu beaucoup de mal à l’empêcher de porter plainte. Il va bientôt être une heure. Que choisis-tu?
Il précisa ses intentions :
— Si tu préfères cette solution, voici ce que je ferai. Je t’assomme et je téléphone à mon tour à la police qu’elle pourra te trouver ici. Ne compte pas avoir le temps de t’échapper.
— Jamais elle ne pourra prouver que j’ai essayer de la tuer.
— Je serai le témoin à charge et je mettrai tout le poids possible. En même temps, je ferai savoir à ton parti que tu t’es en partie déboutonné. Ils te laisseront tomber, trop heureux de trouver un bouc émissaire.
Cambo regarda autour de lui, comme s’il cherchait une issue à cet étau qui se refermait sur lui.
— Si tu réussissais à t’enfuir, en admettant que je sois assez maladroit pour que tu y arrives, n’oublie pas que dona? Isabel n’est pas morte. La Phalange ne va pas te le pardonner.
L’homme se tourna vers un coin du bureau, et désigna une carte du sud de l’Espagne.
— Rivera avait marqué l’emplacement du camp là-dessus.
Mais Kovask ne le quittait pas des yeux.
— Si c’est une astuce pour essayer de t’esquiver, je vais te rouer de coups.
— Non. Regardez.
Il marcha vers la carte, pointa son doigt vers la partie de la Sierra au nord-ouest de Cordoue. Kovask s’approcha et aperçut un petit carré, d’un centimètre de côté environ, tracé sur la carte. Il passa son doigt dessus, mais le dessin était ancien, ne laissait pas de traces.
— Depuis combien de temps l’avez-vous découvert?
— Hier matin. Rivera n’était pas ici. J’ai machinalement regardé la carte et j’ai vu ça.
— Et vous avez compris ce que ça signifiait?
— Oui.
Kovask fronça le sourcil.
— Vous en avez parlé à vos chefs?
— Tout de suite. En leur annonçant que Rivera m’avait annoncé qu’il ne serait pas là l’après-midi.
— C’est à la suite de votre coup de fil qu’ils ont décidé de le supprimer?
— Certainement. Rivera rentrait d’une tournée de quelques jours, et sa voiture était en révision au garage Citroën. Il était facile de la saboter.
— Qu’avez-vous comme voiture?
— Une Volkswagen. Kovask pointa son arme.
— Tournez le dos.
Cambo obéit avec un regard affolé. Kovask feuilleta l’annuaire pour chercher le numéro du Madrid. Quand il l’eut, il frappa l’Espagnol sans trop de violence. Pendant qu’il titubait, il demanda rapidement l’hôtel. Cambo ne pouvait avoir entendu. Il frottait son oreille droite écrasée par la crosse.
Isabel lui répondit tout de suite. Elle parut heureuse de l’entendre.
— Tout va bien, dit-il, mais je m’absente de Séville jusqu’à demain matin.
— Bien, dit-elle.
— Ne bougez pas d’où vous êtes. Je vous téléphonerai demain matin vers sept heures.
— Demain, sept heures, répéta-t-elle.
— Si je ne le faisais pas vous pourrez téléphoner à la police au sujet de José Cambo.
Elle hésita à peine.
— Bien. Je le ferai.
— Merci. À demain. Il raccrocha.
— Je veux bien désormais vous considérer comme un allié plus ou moins sincère. Je serai correct avec vous, mais j’espère que vous avez entendu cette conversation?
Cambo se retourna lentement.
— Donia Isabel tiendra parole. Personne ne peut rien pour vous. Elle ne risque pas d’être découverte.
Il désigna le coffre :
— Refermez-le et partons.
— Je voudrais boire un verre d’eau. Il y a un lavabo dons l’arrière-boutique.
— D’accord. Autre chose. Kovask sourit :
— Je suis bon tireur.
Ils suivirent la Nationale 630 pendant une bonne demi-heure avant de s’engager dans la carretera 421. Cambo conduisait bien, et Kovask assis à côté de lui consultait sa carte de temps en temps. De Séville au camp clandestin, il évaluait la distance à cent vingt kilomètres, dont quatre-vingts de bonnes routes. Ensuite, ils ne pourraient emprunter que des voies communales.
Sur la carte prise dans le bureau de Rivera n’étaient mentionnées que les routes principales. Il devait se reporter à une carte routière. Il contrôlait leur avance grâce au totalisateur. Quand celui-ci indiqua qu’ils se trouvaient à soixante-quinze kilomètres de leur point de départ, il demanda à l’Espagnol de ralentir.
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