— Je vous assure que j’avais eu de mauvais renseignements… Ce type emploie quatre-vingts ouvriers et travaille à soixante-dix pour cent pour la K.U.P. Il aurait voulu se suicider qu’il n’aurait pas agi différemment…
— Ouais, répondait H.H. avec une sécheresse inattendue, n’empêche que ce crétin a bien failli semer la merde… Je savais bien qu’avec les Français et les Italiens rien n’est gagné d’avance… Je préfère les Espagnols et les Portugais.
Maxime se retourna et vit pâlir Pierre Montel. Le président dut faire un effort pour avaler la couleuvre. Chose étonnante, il donna l’impression réelle de déglutir.
— Allons, mon cher H.H., vous ne pensez pas ce que vous dites.
L’Américain avait l’art de céder à des colères brutales qu’il rattrapait ensuite habilement. Il éclata de son rire tonitruant et se mit à taper très fort sur l’épaule de Montel.
Lorsque Maxime arriva à l’endroit présumé où il croyait trouver Charvin, le gros homme avait disparu. Il sortit dans les couloirs mais ne l’aperçut nulle part. Il se heurta à un petit Italien qui portait une extraordinaire chemise rose à rayures jaunes qu’il avait déjà repéré dans l’assistance.
— Ça a failli chauffer, lui dit le Transalpin dans un français sans accent. Vous croyez que l’ordre du jour sera modifié pour demain ?
— Je l’ignore. Un Wilde Havana ?
L’Italien regarda ces cigares non terminés avec méfiance, préféra prendre une Dunhill.
— Rosario, dit-il ; Benito… Désolé pour le prénom, mais j’avais une mère folle de Mussolini. Je suis né en 1940…
Maxime le trouva sympathique et ils allèrent au bar.
— Charvin avait raison, disait Rosario. Les Dynamiciens américains ont une méconnaissance totale de la situation de l’Europe. Bien sûr, le Portugal… Ils croient avoir réussi… Soares est un mou… Mais en Italie et en France, ce sera peut-être différent.
Tout de suite, Carel le prit pour un provocateur. Il avait l’impression qu’on essayait vraiment de le sonder, de voir ce qu’il avait dans le ventre. Déjà Marcel Pochet ne cessait de se tenir à proximité. Il était certain qu’on avait flairé l’imposteur dans ses réponses aux tests. Mais pourquoi diable avait-il cherché ces complications ? Uniquement pour ne pas avoir honte devant Patricia ? Il aurait pu tout aussi bien se vanter de n’avoir pas marché dans la combine. Non, il avait voulu jouer au plus fin, montrer qu’il pouvait s’infiltrer dans les arcanes du Club et lui rapporter des révélations extraordinaires.
— Vous le connaissez ce Charvin ? demandait l’Italien.
— Vaguement.
— Il travaille pour la K.U.P. Sous-traitance. Comme moi, mais pour Fiat. C’est courageux, mais dangereux.
Maxime lui demanda si les Dynamic Clubs se développaient en Italie.
— Ça marche assez bien, car contrairement aux autres, ils ne nous considèrent pas, du moins ouvertement, comme des métèques… Vous avez entendu H.H. quand il parle des Latins ? Ce rire Carnivore…
Surpris, Maxime restait sur la réserve. Pourquoi cet homme l’abordait-il aussi franchement pour l’entretenir de choses particulièrement délicates ?
— Vous êtes sélectionné, vous aussi ? Soupçonniez-vous que le Club dépendait aussi étroitement des milieux d’affaires internationaux ?
— Simple interférence, non ? fit Maxime toujours en alerte.
Rosario eut un petit rire sec :
— Vous êtes bien bon. Moi je dirais plutôt mainmise. Je suis quand même curieux d’aller voir ça de près… S’il s’agissait d’une base d’entraînement comme celle de l’U.S. Army à Panama ? Nous serions les nouveaux officiers de l’ordre occidental ou quelque chose dans ce goût-là… Vous avez des qualités pour jouer le conspirateur ?
— Aucune, répondit Maxime qui adressa un regard à Clara Mussan qui passait non loin de là.
L’Italien sourit :
— Charmante… Je ne veux pas vous priver de sa compagnie…
— Pas du tout…
On leur apprit le soir-même que le départ aurait lieu le lendemain matin. Commentant cette information avec Clara, il lui dit qu’à son avis l’incident du matin avait certainement hâté les choses.
— Tu crois ?
— H.H. qui est un petit malin a compris que John Matton avait failli faire un bide. Ses recommandations sont tombées presque à plat à cause de Charvin. Demain nous nous retrouverons entre gens plus à même d’apprécier ces propos-là.
Elle le regarda, le front barré d’une ride soucieuse :
— C’était le but de cette sélection ?
— C’était flagrant. Ils ont secoué le sas et ne sont passés que les plus malléables.
— Ils nous prendraient pour des chiffes molles ?
— Pas exactement, mais pour des gens qui ont la frousse et c’est à peu près la même chose.
Le lendemain matin un car les transporta jusqu’à La Guardia où un 707 spécial les attendait.
— On peut savoir où nous allons ? demanda quelqu’un.
— A New Orléans, dit H.H. qui venait d’arriver en voiture et serrait des mains en riant haut.
— On pourra visiter le vieux Carré ?
— Si vous avez du temps de reste, certainement, répondit Hugues Harlington.
Au moment d’embarquer, Clara Mussan marqua une certaine hésitation.
— Je me demande si je ne devrais pas faire demi-tour et rejoindre les autres à l’hôtel, chuchota-t-elle.
Maxime ne répondit pas. Il attendait qu’elle passe devant lui dans un sens ou dans un autre.
— Pas vous ?
— Non, dit-il fermement. J’ai pris mes risques.
Elle le regarda quelques secondes :
— Très bien, je prends les miens.
Ils purent s’asseoir ensemble et il fut satisfait de voir le syndicaliste à trois sièges devant eux. En revanche, Benito Rosario se trouvait de l’autre côté de la travée et leur adressa un petit signe d’amitié.
— Sympathique ? demanda Clara.
— Oui. Du moins il fait tout pour l’être.
A l’arrivée, un autre car les emporta tout de suite dans la direction du nord et à une cinquantaine de kilomètres ils pénétrèrent dans un immense domaine où l’harmonie des paysages, les champs de coton, la mousse espagnole aux arbres rappelaient les décors d’Autant en emporte le vent.
— Je parie qu’on va loger dans une de ces belles demeures à colonnes, fit Clara.
Elle gagna. Le car s’immobilisa devant l’une de ces immenses maisons blanches au milieu des exclamations ravies. Des domestiques noirs en tenue de valet attendaient sous le péristyle pour transporter les bagages.
— C’est insensé, disait Clara auprès de lui. Cette beauté, ce faste, ce retour dans le temps m’oppressent… Cela ne correspond pas du tout à ce que nous représentons.
— Que voulez-vous dire ?
Elle ne put lui préciser et il pensa qu’elle estimait que des chefs d’industrie n’avaient pas besoin de cet apparat en trompe-l’œil. De même il avait toujours été choqué par l’appareil de solennité dont s’entouraient les dirigeants de la Russie soviétique.
Chose curieuse, il fut installé dans la chambre mitoyenne de celle de Clara. Cela ne le préoccupa pas trop mais indisposa la jeune femme. Lorsqu’ils descendirent dans le parc, elle essayait de deviner qui avait pu répartir les chambres.
— Nous sommes plus étroitement surveillés qu’il n’y paraît, dit-elle.
— Nous n’avons pas essayé de nous cacher, lui rétorqua-t-il. Il est facile de conclure que nous ne sommes pas deux indifférents l’un pour l’autre, voilà tout.
Il venait d’allumer un Wilde Havana et elle une Gauloise filtre. Ils marchaient sous les grands arbres.
— Vous aimez votre femme ? demanda-t-elle soudain.
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