— Hé attention !
Rosario basculait sur le côté. Il se traîna aussi rapidement que possible mais ne put l’empêcher de tomber lourdement sur le sol. De ses pieds il écarta la chaise qui les gênait, toujours incapable de se mettre debout. Il ramassa le mouchoir de Rosario roulé en boule, lui essuya maladroitement le visage.
— Nous sommes seuls… Vous n’avez plus rien à craindre.
Il y avait des chaises partout, celles qu’il avait lancées sur les six personnes.
— Comment vous sentez-vous ? murmura-t-il inquiet.
Tout en courant protégé par la Jeep qui continuait de tourner inlassablement Kovask tira en direction de l’homme à l’affût. Mais il manqua son but de près d’un mètre et la seringue se perdit dans les herbes. Par chance l’inconnu ne se douta de rien. Le moteur faisait beaucoup de bruit et il croyait toujours Kovask tapi en face de lui. Le Commander souhaita que le chauffeur évanoui continue encore un peu d’appuyer de son pied sur l’accélérateur. Il suivit la Jeep jusqu’à ce qu’elle se trouve complètement à l’opposé de l’autre individu et l’abandonna. Il fonça accroupi dans les hautes herbes.
Lorsque la Jeep passa près du tireur embusqué ce dernier lui jeta un coup d’œil puis haussa les épaules. Kovask n’était plus qu’à une cinquantaine de mètres de lui. Il espérait que l’homme allait rester sur place et ne put laisser échapper un juron lorsqu’il vit qu’il progressait sur les coudes avec lenteur.
Profitant d’un autre passage de la Jeep il se leva carrément et parcourut une trentaine de mètres d’un seul coup. Juste à ce moment-là l’homme devina sa présence et tourna la tête. Comme Kovask épaulait sa carabine pneumatique il fit un saut de carpe, mais la seringue l’atteignit à la hanche gauche. Lâchant son arme il l’arracha. L’ennui avec cette carabine était que seuls les animaux ne se doutaient de rien. Un homme averti pouvait empêcher l’action du soporifique en arrachant tout de suite la seringue mais néanmoins il restait assez de liquide dans son organisme pour agir à la longue.
Kovask se jeta sur le côté et s’éloigna en rampant, tandis que l’homme arrosait d’un tir systématique ses abris successifs, renseigné par le mouvement des hautes herbes. Jusqu’à l’épuisement du chargeur. Alors le Commander en profita pour recharger son arme et pour ramper droit devant lui. Une grosse balle magnum s’enfonça dans le sol à vingt centimètres de son visage et projeta sur lui une motte de terre. A moitié aveuglé, il s’essuya de sa manche mais ne bougea plus. Maintenant le manège de la Jeep devenait harcelant, le bruit du moteur couvrant tous les autres bruits, il ne pouvait plus situer son adversaire. Il ne pensait en tirer qu’un seul avantage, c’est qu’il étouffe les bruits des détonations de la carabine pour gros gibier.
Un peu plus loin, il aperçut une sorte de sente. S’il pouvait l’atteindre, il se faufilerait dans les hautes herbes sans les faire frémir, mais il devait encore parcourir cinq mètres parmi elles. Fouillant dans ses poches il y prit une seringue et la jeta sur le côté. La carabine claqua deux fois dans cette direction et il put franchir ses cinq mètres.
Bien entendu la sente l’éloignait de son objectif mais en oblique. Plus loin, il pourrait se redresser pour essayer de repérer le garde et peut-être réussir à l’endormir. Combien de chargeurs pouvait-il bien posséder ? Se baladait-il avec tout un arsenal ou simplement avec deux chargeurs de quatre balles ?
Et puis soudain la Jeep cessa de ronronner et cala. Un silence extraordinaire s’abattit sur cette petite savane ensoleillée où même les insectes se terraient. Kovask venait d’arriver au bout de la sente, après de nouveau s’étendaient les herbes. Il s’arrêta, se retourna pour évaluer le chemin parcouru, puis se redressa lentement, certain que l’homme allait essayer de rejoindre le véhicule arrêté. Il vit la Jeep au sud-est et perçut une ondulation continue non loin de là. L’homme négligeait sa surveillance pour atteindre au plus vite la mécanique. Dès lors, sans hésiter il en fit autant. Par de rapides coups d’œil il se rendit compte que le chauffeur avait à moitié basculé en-dehors du véhicule et que pour monter le garde devrait achever de le sortir de son siège. Il lui faudrait profiter de cet instant-là et viser au milieu du dos de façon que l’homme ait quelques difficultés à retirer la seringue.
Alors qu’il n’était plus qu’à une trentaine de mètres de la Jeep, il vit l’homme qui se redressait et marchait en titubant, ne put s’empêcher d’exulter. La première seringue avait eu largement le temps d’injecter dans son corps quelques milligrammes de drogue qui l’affaiblissaient. Le garde faisait visiblement un effort surhumain pour atteindre le véhicule. Ainsi s’expliquait son changement de tactique. Ne pouvant plus lutter contre la mainmise du sommeil sur son organisme, il voulait fuir pour aller donner l’alerte.
Dès lors Kovask n’eut qu’à se précipiter derrière lui. Il le vit qui essayait de retirer le corps du chauffeur et visa avec soin entre les deux omoplates.
Il fit mouche. Le garde tordit son bras pour essayer d’arracher le dard fatal mais jamais sa main ne put l’atteindre. Il coula le long de la carrosserie et resta ainsi à genoux, inerte.
Kovask approcha avec prudence, commença par saisir la carabine, ôta le chargeur et le jeta. Il fouilla dans les poches de l’homme, trouva un autre chargeur et le lança aussi dans les herbes. Il y avait une autre carabine à l’arrière. Mais aussi une gourde pansue. Il en flaira le contenu. Un mélange d’eau et de café sucré dont il avala une grosse quantité.
Tout en surveillant la savane, il chargea les deux corps à l’arrière avant de remettre la Jeep en route. Lentement et toujours sur ses gardes il roula vers le bois qu’il avait quitté tout à l’heure. Il pensait que les deux hommes endormis ne seraient jamais retrouvés dans cette mini-jungle. Toujours méfiants il les attacha avec des sangles trouvées dans le véhicule et les abandonna sous un chêne énorme croulant sous des draperies de mousse espagnole.
Revenu à l’orée du bois, dissimulé dans l’ombre végétale, il se mit debout sur le capot, une paire de jumelles à la main. Il commença par repérer un troupeau de gazelles qui broutaient près d’un groupe d’arbres, peut-être celui-là même qu’il avait surpris et qui dans sa fuite avait signalé sa présence aux deux hommes de patrouille. Il ne regrettait rien. Désormais il disposait d’un véhicule tout-terrain, de boisson et de jumelles. Il pouvait se déplacer rapidement d’un point à l’autre de cette savane inattendue et intervenir en cas de besoin. Mais d’un autre côté l’absence des deux gardes finirait par alerter leurs camarades qui partiraient bientôt à leur recherche. A moins que la mission de ces deux-là ne couvre toute la journée.
Toujours sur son capot, il repéra un autre troupeau de gazelles, endormies celles-là. Puis des masses rouges qu’il prit d’abord pour des amas de roches, lorsqu’il découvrit un mufle épais de buffle. La couleur l’avait trompé. Il se demandait comment il pouvait se trouver des animaux de cette teinte. Il n’avait jamais entendu parler de buffles rouges, presque vermillon, que ce soit en Afrique ou en Asie et lorsqu’on disait rouge il s’agissait plutôt d’une teinte tirant sur le marron. Rien de tel dans le cas présent.
Il décompta une vingtaine d’animaux, mais savait qu’il y avait d’autres troupeaux alentour. Ceux-là, malgré leur attitude de grand farniente, étaient formidables. Une bête pareille chargeant à grande vitesse devait paralyser sur place à moins d’avoir une grande expérience des safaris.
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