Avec lui, il a la petite merveille et un ordinateur portable de poche avec lequel aspirer les secrets d’Ismaël. À moins que leur Wifi soit éteint et que ce dernier pousse le vice jusqu’à se défendre de toute intrusion informatique, Hichad devrait pouvoir entrer par effraction chez lui sans difficulté majeure. Il lui faudra se magner, quoi qu’il en soit, ne pas rester immobile dans une voiture plus de dix minutes. Surtout en face de chez un Al-Marfa.
Hichad a posé un journal sur le volant pour se donner un alibi et il a repéré une école de danse. Le téléphone magique allumé, il le voit chercher les réseaux autour et les afficher un par un en les localisant. Bingo. Le dernier est le bon, il s’appelle marfa02, ce qui amuse l’agent. Même pas foutu de masquer son nom, ce con de barbu. Sur le miniclavier de l’ordinateur, les doigts d’Hichad s’agitent pour se faufiler dans l’ordinateur d’Al-Marfa, sa boîte mail en particulier. Ailleurs, il le soupçonne de n’avoir laissé aucune trace. En tout cas, pas dans un ordinateur connecté, dans un autre probablement…
Le Delta ne peut se permettre de regarder sur place la correspondance d’Ismaël. D’autant qu’il faut, pour pouvoir la lire, la décrypter d’abord. Alors il emprunte la totalité des mails et récupère trois conversations sur Skype. Il se déconnecte dès qu’il peut, rabat l’écran de son ordi, éteint le téléphone et décampe.
La pêche d’Aymard se révèle, elle, beaucoup moins miraculeuse. Il vient de passer trois heures devant le domicile de Salem et il ne s’est rien passé. Personne n’entre ou sort. Il n’a été distrait que par le passage d’Annie avec un généreux kebab. Sa mission à elle n’est pas tellement plus marrante. Elle doit leur trouver une maison abandonnée en dehors de la ville, en retrait, pour réceptionner le reste de la troupe, Vincent et Henry, dans trois jours. Un genre de maison sûre pour préparer ensemble, en toute sérénité, l’opération. Avec, à proximité, une zone de posé…
Ils ont rendez-vous à l’appartement d’Hichad à l’heure du déjeuner pour avoir le temps de se pencher sur les données saisies chez Al-Marfa. Hichad, lui, doit honorer son ami de l’hôpital et suivre son dossier armement.
Les trois Delta sont assis sur les chaises inconfortables de la garçonnière et font un point sur les investigations de la matinée. Hichad pose des questions sur le dispositif de sécurité de la maison de Salem, ce qui surprend Aymard.
— Dis-moi, l’ami, pourquoi tu t’intéresses comme ça à qui garde la baraque à Salem ?
— Comme ça, au cas où…
— Au cas où quoi ?
— Où il nous échapperait le jour J…
— Ben ouais, mais dans ce cas-là, il faut le prévoir pour tous les gus dont on sait qu’ils seront là-bas. De toute façon, il n’est pas prévu qu’on se rate. Et si on se rate, on s’arrache.
— Et tu les laisses s’organiser pour nous niquer en beauté ?
— C’est pas moi, c’est comme ça, c’est les ordres. Fais pas le con, tu sais très bien que c’est comme ça que ça se passe. On s’organise justement pour pas que ça foire, à partir de là, on se débrouille jusqu’au bout pour atteindre l’objectif, mais si ça part vraiment en sucette, on se tire, point barre.
— OK.
— Ton gars, là, l’unijambiste, il te connecte à l’hosto ?
— Oui, et après on bouge.
— Et si c’est un mauvais plan, un traquenard ?
— Je ferai en sorte de le sentir.
— Tu veux pas Annie en renfort à distance ?
— Si, si, c’est mieux, si ça tourne au vinaigre.
Hichad vient de déposer une cartouche de cigarettes sur le lit d’Ariuc. L’amputé a mauvaise mine, il ne semble pas en forme. Il explique d’entrée qu’il est triste parce que sa femme a disparu. Depuis deux jours, elle ne s’est pas montrée alors qu’elle venait lui rendre visite quotidiennement. Il ne comprend pas. Et comme il est immobilisé, il ne peut rien faire. À peine a-t-il achevé sa phrase qu’il éclate en sanglots. Pas question de le brusquer, alors Hichad commence par le plaindre longuement avant d’oser poser la question. Son ami va-t-il venir ? L’autre se redresse d’un coup et déclare qu’aucune femme ne peut lui faire oublier le business. Une affaire perdue, dit-il, est bien plus dramatique qu’une femme perdue. Rengorgé par ses bons mots, Ariuc assure à Hichad que dans moins d’un quart d’heure son ami sera là, en chair et en os.
Assis sur le rebord du lit, Hichad discute avec le Libyen alité quand il distingue au bout du couloir une silhouette féminine qui lui est, il en est convaincu, familière. Concentré sur son amitié intéressée avec Ariuc, il a oublié Dina. C’est elle qui parle à un malade de l’autre côté de la salle. C’est elle qui va, de patient en patient, arriver jusqu’à eux. Alors qu’Hichad se lève, Ariuc lui annonce : « Ah, bah voilà Mohamed. » L’homme vient de dépasser Dina dans la travée. L’agent s’excuse, il va aux toilettes. Ariuc lui signale qu’il part dans la mauvaise direction. Il baisse la tête pour que sa casquette dissimule au mieux son visage et marche prestement vers l’autre sortie.
Il erre le plus longtemps possible dans les étages supérieurs de l’hôpital. Et décide de se débarrasser de Dina en la faisant demander à l’accueil. L’appel passé dans le micro, Hichad rejoint tranquillement le dortoir d’Ariuc. Son invité a la gueule de l’emploi. Patibulaire, la peau grêlée et les dents pourries, il inspire tout sauf la confiance. Il fait comprendre qu’ils parleront de ce qui les amène dehors. Avec un mouvement de tête, il montre les lits alentours. « Cette ville est peuplée d’oreilles », affirme Mohamed. La phrase d’une grande profondeur fait dire à Hichad que les négociations risquent de ne pas être tristes. Ariuc, pour bien souligner son importance dans la transaction, leur dit : « Pour moi, on s’arrangera après, en fonction du deal, hein ? » Les deux acquiescent. Les deux, sans y croire une seconde.
L’Arsenal
Mai 2011, Benghazi, Libye
Annie finit par s’inquiéter. Les cheveux couverts, des lunettes de soleil, un pantalon beige et une tunique assortie, avec dans son sac une caméra pour le cas où il lui faudrait prétexter quelque chose, Annie attend dans une voiture de location qu’Hichad passe et il aurait dû passer depuis au moins une bonne vingtaine de minutes. Ce n’est pas normal. Et comme tous les Delta, elle déteste les imprévus. Alors qu’elle est sur le point de mettre un pied dans l’hôpital pour se rendre compte de la situation, elle voit enfin son camarade sortir, accompagné d’un type très vilain avec un turban rouge sur la tête et une djellaba crasseuse. Quelques mètres plus loin, ils montent dans une bagnole aussi abîmée que son propriétaire. Elle démarre et se dirige vers l’ouest, vers la mer.
Durant le trajet, Hichad essaie d’en savoir plus sur l’endroit où ils vont et sur ce que le vendeur peut lui proposer. Mais il n’obtient aucune réponse. À chaque fois, l’autre botte en touche. Et, à son tour, interroge : Pourquoi veut-il des armes ? Pour qui ? Hichad se contente d’un : « C’est pour une bonne cause. » À la question « Que voulez-vous exactement ? » : Hichad préfère rester vague, il dit : « Un peu de tout. »
Derrière eux, Annie envoie un message codé à Aymard pour lui donner leur position. Sur son téléphone, elle jette un coup d’œil à la zone vers laquelle ils se dirigent vraisemblablement. Des hangars à bateaux et des baraques de pêcheurs. En effet, des endroits propices pour cacher du matériel de contrebande, pratiques pour stocker et pour exporter rapidement par voie maritime.
Un grand parking neuf borde l’alignement de hangars. C’est là que Mohamed s’est arrêté. Accrochée sur son mollet droit, l’arme d’Hichad se tient prête. L’odeur prend à la gorge. Ici sont conservées dans des bacs de glace toutes sortes de poissons. Le sol, gluant, menace à chaque pas de vous faire tomber et l’obscurité demande un certain effort d’adaptation quand on vient de l’extérieur et d’une luminosité très blanche. L’endroit déplaît à Hichad. Au fond, deux formes qui bougent, des mecs, armés jusqu’aux dents, avec des turbans aussi. Un coin entier du hangar est occupé par des caisses. Celles qui apparaissent sont en polystyrène.
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