Camille est sorti précipitamment de la voiture et s’est mis à courir, d’un coup.
En quelques secondes, le voilà à la grille, il a juste hurlé à toutes les équipes de ne rien faire, les dés sont jetés, combien de bombes vont exploser ? Où et quand ?
Déjà, Rosie et Jean s’enfoncent dans l’ombre du square, vaguement baignée de lumière jaune. À l’instant où Camille y entre à son tour, ils sont arrêtés devant l’aire de jeux. Jean laisse Rosie, fait quelques pas et disparaît.
Des secondes lourdes s’égrènent avec une lenteur de bombe à retardement, Camille hésite à foncer, mais il n’en a pas le temps, voici Jean qui revient. Il sort d’un fourré, il tient un téléphone portable et se tourne du côté de Camille.
C’est curieux, cette scène, comme suspendue.
Dans la lumière diffuse du square, là-bas Rosie, qui serre dans ses mains son sac de vieille fille, à côté d’elle Jean, son grand fils, avec son téléphone à la main, qui regarde le commandant Verhœven, et Camille, stoppé net dans son élan, qui se demande ce qui va se passer.
Jean alors se penche sur son téléphone et presque aussitôt une musique se met à chuinter dans l’appareil, Jean monte le son du haut-parleur.
Camille tend l’oreille, il voit Jean tendre sa paume ouverte à Rosie, comme pour l’inviter à une danse, et c’est bien ça, une danse, Jean et Rosie sont dans les bras l’un de l’autre.
Ils dansent. Elle le regarde comme un amoureux, lui garde le regard fixe, plongé dans le vide, mais il serre Rosie fort, très fort… Ils n’ont fait que deux ou trois tours lorsque Jean, tout en continuant de valser lentement, plonge la main dans la poche de sa veste.
Maintenant, Camille reconnaît la musique, une chanson, chantée par Gilbert Bécaud :
On s’aimait comme personne.
C’était bon, Rosy and John ,
Mais la vie, c’est la vie. Et la vie [2] Rosy and John Paroles : Maurice Vidalin Musique : Gilbert Becaud © 1967 Universal Music Publishing (catalogue Le Rideau Rouge) Avec l’aimable autorisation d’Universal Music Publishing
…
Jean, en tournant, est placé face à Camille.
Par-dessus la tête de sa mère, qu’il domine de beaucoup et semble même aussi menue et fragile qu’une enfant, Jean regarde fixement dans la direction de Camille qui sent alors son téléphone vibrer.
Il l’arrache précipitamment de sa poche.
C’est un sms de Jean :
« Il n’y a plus de bombes. Merci pour tout. »
Camille relève la tête vers le couple. Il lui revient soudain la phrase de Basin :
— Pour le déclenchement d’une bombe, tout ce qui produit une impulsion peut servir, un téléphone portable…
Camille se jette au sol à la seconde exacte où la bombe explose sous les pas des danseurs.
Le souffle surpuissant le cueille en plein ventre, le projette en arrière et le fait rouler sur le chemin de terre.
Le bruit de la déflagration est assourdissant, à vous faire jaillir les yeux de la tête. Les fenêtres des immeubles de la place volent en éclats, on entend aussitôt le vacarme d’un torrent de débris de verre. L’aire de jeux s’est volatilisée, ce n’est plus maintenant qu’un vaste cratère de trois mètres de large sur environ un mètre de profondeur.
Louis arrive en courant, se précipite vers Camille.
Allongé dans l’allée, immobile, une joue contre terre, les yeux écarquillés, Camille porte, sur son visage en sang, l’air hébété d’un petit garçon.
À quelques mètres d’eux, les arbres du square ont commencé à flamber.
Alex , Le Livre de Poche n° 32580, 2011.
Rosy and John
Paroles : Maurice Vidalin
Musique : Gilbert Becaud
© 1967 Universal Music Publishing (catalogue Le Rideau Rouge)
Avec l’aimable autorisation d’Universal Music Publishing