Cette fille archi-brune est dingue de l’archi-blond. Lequel m’ignore délibérément.
— Cette promenade en mer a été formidable, assuré-je, y a rien de meilleur au monde.
Banal, mais je ne suis pas là pour dévisser Hemingway. J’entends seulement, par cette déclaration creuse, relancer l’idée des promenades à bord du Sea Star .
— Ça paraît faire un bien énorme à Abigail, j’ajoute, toujours dans la connerie courante, style Mme Michu chez la boulangère.
— Vous croyez ? dit Dolorosa.
— Sur le bateau, elle paraissait détendue. C’est un truc qui lui réussit. Elle m’a regardé d’une façon presque intelligible…
La Portoricaine saute sur l’occase à pieds joints.
— On pourrait retourner tantôt, après la sieste d’Abigail, ne croyez-vous pas, Sammy ?
Le Sammy qui devait avoir des projets hausse les épaules.
— Il fera du vent tantôt, la météo l’annonce.
— Eh bien, si le vent est trop fort, nous rentrerons. M. Meredith m’a bien recommandé de lui faire faire un maximum de promenades en mer.
Un silence. Le nom de Meredith est venu à propos convaincre le beau Wikinge de mes chères deux qu’il aurait intérêt à remettre son rancard en ville à plus tard.
— O.K., dit-il avec un maximum de sobriété.
On écluse un moka sélectionné spécialement au Brazil pour Fredd Meredith, selon Dolorosa, et puis on grimpe se dodofier un chouilla, chacun dans sa turne. Avant de quitter Abigail, je lui place un petit bécot sur la joue, entouré des mots suivants :
— Les papiers !
Point à la ligne.
J’ai deux plombes pour m’équiper.
Bien entendu, la voilà qui grimpe auprès de son valeureux loup de mer, Dolorosa. Pimpante dans un bermuda jaune et un bustier de même métal. Faut voir ses rondeurs, la façon trémoussante qu’elles ont d’escalader l’échelle verticale !
Ce qu’il y a de rassurant, dans l’existence cafardeuse, pour un mâle digne de cette appellation contrôlée, c’est ça : les belles frangines carrossées Bertone, avec leurs somptueux accessoires bien lubrifiés, leur charme, leur salinguerie. Les ardentes nous sauvent de la vie. Sauf une que j’ai connue, y a de ça un lustre, et qui avait un mort sur la conscience. Note que sa conscience se situait entre ses cuisses délectables. Mimi : une passionnata grand style, dont la folie consistait à se faire minoucher la galaxie. Elle panardait si fort, les cas échéants, qu’elle en perdait le contrôle de son self, la chérie. Et un jour fatal, qu’elle s’opérait un petit assistant de cinoche, un gentil rouquin blafard, elle s’est tant tellement mise à serrer ses cannes pendant qu’il lui délectait le train des équipages qu’elle se l’est étouffé recta, le gars Etienne. En pleine asphyxie, il luttait désespérément, et plus il lui pompait l’air de la chaglatte, plus elle grimpait aux extases, miss Mimi. Et plus elle extasiait, plus elle crispait des cuissots. Le pauvre biquet tentait de retirer sa tronche de l’étau farouche, mais elle avait des jambeaux qui bloquaient pis que des sabots de Denvers. Quand elle a poussé son grand cri sauvage, style Jane lorsque Tarzan la fourre dans les lianes, elle a rouvert son armoire normande, Mimi. Y avait un cadavre à la place de son slip. L’Etienne était clamsé, tout bleu, la menteuse longue de vingt-cinq centimètres. De profundis ! Victime de l’amour. Le héros de la minette ! Mort au chat d’honneur, l’assistant, faute d’assistance précisément. Va-t’en expliquer ça à la police, after.
Y a des cas qu’on peut pas s’imaginer.
Et puisqu’on est sur la question, à propos de ce que je t’ai dit du grand cri sylvestre à Mimi (si je t’emmerde avec mes digressions, file plus loin, là qu’il y a du zef dans les voiles et de l’action à s’en cacher sous la table) faut que je t’entretienne d’un truc que j’ai remarqué à force de pratiquer. La réelle beauté de l’amour, c’est ce cri qu’elles poussent en jouissant, les frangines. Bien peu le réussissent. Les plus malignes, les plus rouées, ne parviennent pas à l’imiter car il est inimitable. Pour être réussi, il doit être sincère. C’est une plainte, tu comprends ? Et elle vient du fond des âges, elle fait penser à des halliers inextricables. Une plainte qui ne peut être contenue et qui exprime une espèce de stupeur incrédule. Une souffrance de bonheur indicible. Oui : il y a de la surprise dans ce gémissement. Les truqueuses ont le bonjour pour trouver le la à un air pareil, tellement secret, tellement beau.
Et voilà, c’est tout. Je voulais juste…
Alors la Dolorosa s’installe au côté de son tringleur d’élite. Et le criss-craft crisse et crafte de toute la puissance de ses deux moteurs. Il paraît voler sur les eaux. Pique vers le large qui est d’une largeur dont tu n’as pas idée dans cette contrée.
Le mataf a fini de rentrer les ballons. Il a de plus en plus l’air glandu, ce gnaf.
Abigail est allongée sur le bain de soleil. Moi, assis à la poupe, je visionne le ciel exquis où s’albatrent des albatros.
Lorsque le marin a terminé sa manœuvre, je lui fais signe que j’ai soif.
Il opine.
— Yes, sir : bourbon, bière, eau minérale ?
— Une bière.
Il fait coulisser la porte de l’habitacle et pénètre dans le salon luxueux.
Je l’y suis.
Il est accroupi dans le réduit kitchenette devant le réfrigérateur bien achalandé. Je lui ajuste une manchette virulente sur la nuque et il s’absente de toute urgence. Je referme le frigo et je ligote le gars à l’aide de cordages qui approfusent dans le logement situé à la proue.
Le tout ne m’a pas pris deux minutes.
Je ressors en sifflotant. Abigail me considère du coin de l’œil. Je lui souris pour la rassurer. Après quoi, je grimpe au poste de pilotage. La mère Dolorosa est en train de fourbir la queue du pilote en tenant sa main en conque au-dessous de son glandoche, comme si elle demandait l’aumône. Ma venue jette un froid. Brandon se remise prestement le sifflet à roulettes et me fait la gueule avec sa nuque. Dolorosa s’efforce de cacher sa gêne sous un sourire enjoué.
— Dites donc, fais-je, ça détale drôlement ce machin. On ne voit déjà presque plus la côte !
Je mate en arrière. Effectivement, une ligne sombre moutonne au ras des flots.
— Si on devait regagner le littoral à la nage, dis-je, on mettrait un sacré bout de temps, non ?
— Des heures, admet Dolorosa…
Pendant qu’elle me répond ça, j’administre une seconde manchette au valeureux capitaine. Mister Surcouf pique des naseaux sur son volant. Je saisis les deux manettes des gaz et baisse le jus à l’extrême, puis je mets au point mort. Le bateau tangue sur les flots bleus, où, à partir de neuf heures, ce soir, viendront se mirer les étoiles.
Ce qu’il y a de chouette avec la Portoricaine (c’est portoricaine qu’elle est, ou bien armoricaine ? Je me rappelle plus, mais on s’en branle, hein, car on va se séparer d’elle incessamment et pour toujours). C’est son calme. Ses yeux béent de surprise, pourtant elle ne manifeste pas.
— Vous devriez poser vos fringues, dis-je, vous seriez plus confortable pour nager.
— Mais…
— Oui ?
— C’est infesté de requins, par ici.
Je rigole.
— Et alors ? Les requins sont moins fumiers que les hommes, vous savez : ils n’attaquent pas sans raison. Si vous en rencontrez un, faites-lui un beau sourire.
Ayant dit, je chope le Viking de la Métro par la ceinture de son grimpant et je le fous à la flotte du haut du poste de pilotage. L’eau le réanime instantanément et il se met à barboter comme un triton.
— A vous, ma gosse, invité-je en commençant à déboutonner son bermuda. Posez ce délicieux machin et plongez !
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