Tonino Benacquista - Malavita

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Malavita: краткое содержание, описание и аннотация

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« Ils prirent possession de la maison au milieu de la nuit.
Une autre famille y aurait vu un commencement. Le premier matin de tous les autres. Une nouvelle vie dans une nouvelle ville. Un moment rare qu’on ne vit jamais dans le noir. »
Une famille d'Américains s'installe à Cholong-sur-Avre, en Normandie. Fred, le père, se prétend écrivain et prépare un livre sur le Débarquement. Maggie, la mère, est bénévole dans une association caritative et se surpasse dans la préparation des barbecues. Belle, la fille, fait honneur à son prénom. Warren enfin a su se rendre indispensable pour tout et auprès de tous.
Une famille apparemment comme les autres, en somme.
Une chose est sûre, s'ils emménagent dans votre quartier, fuyez sans vous retourner…

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À Newark, elle ne lisait jamais la presse, locale ou nationale. Le fait même d’ouvrir un journal était une sorte de défi qu’elle ne relevait jamais : trop peur de ce qui pouvait lui sauter à la figure ou de tomber nez à nez avec un visage connu, de lire des noms familiers. Hantée par le souvenir de son ancienne vie, elle feuilleta nerveusement ses journaux, s’arrêta sur la météo et les manifestations prévues dans le coin, foires, brocantes, une petite exposition de peinture dans la salle des fêtes. Un sentiment d’oppression la gagnait maintenant, accentué par une ombre colossale qui venait assombrir la place à mesure que le soleil tournait. C’était celle de Sainte-Cécile, une église décrite comme un joyau de l’art gothique normand. Maggie avait feint de l’ignorer et se retourna pour lui faire face.

* * *

La Brother 900 était posée au milieu de la table de ping-pong, elle-même au centre de la véranda, une géométrie solennelle mise en scène par Frederick. Assis devant la machine, recueilli, le soleil en arrière-plan, il glissa dans le chariot une feuille de papier : la surface la plus blanche qu’il eût jamais vue. Il vérifia une à une les touches de nacre, dépoussiérées, nickelées au liquide vaisselle, superbes. Il avait même réussi à donner un regain d’humidité à un ruban sec comme les foins en l’exposant à la vapeur d’une casserole d’eau bouillante. Prêt à établir le contact, il se retrouvait seul face à cet engin, lui qui n’avait peut-être jamais ouvert un seul livre, lui qui parlait une langue directe et sans fioritures, et qui, de toute sa vie, n’avait rien écrit d’autre que des adresses sur des pochettes d’allumettes. Cette machine-là permet-elle de tout dire ? se demanda-t-il sans quitter les touches des yeux.

Fred n’avait jamais trouvé d’interlocuteur à sa mesure. Le mensonge est déjà dans l’oreille de celui qui écoute, pensait-il. Le désir de faire entendre sa vérité ne le quittait plus depuis l’issue du procès qui l’avait obligé à fuir en Europe. Ni les psychiatres, ni les avocats, ni ses amis perdus, ni aucun de ces types pleins de bonnes intentions n’avait essayé de comprendre son témoignage : on l’avait pris pour un monstre et personne n’avait pu s’empêcher de le juger. La machine, elle, ne ferait pas le tri, elle prendrait le tout, en vrac, le bon et le mauvais, l’inavouable et l’indicible, l’injuste et l’odieux, car tous les événements étaient vrais, c’était bien ça le plus incroyable, ces blocs de vérité dont personne ne voulait étaient tous authentiques. Si un mot en appelle un autre, il devait pouvoir les choisir tous, sans qu’on lui en suggère un seul. Sans qu’on lui en interdise un seul.

Au commencement était le verbe, lui avait-on dit, il y a bien longtemps. Quarante ans plus tard, le hasard lui donnait l’occasion de le vérifier. Au commencement il y avait sûrement un mot, un seul ; tous les autres suivraient.

Il leva son index droit et frappa un g, bleu clair, tout juste visible, puis un i, il chercha des yeux la touche o, la touche v, ensuite, histoire de s’enhardir, il parvint à obtenir un a de son annulaire gauche, puis frappa deux n à la suite, de deux doigts différents, et termina, de l’index, par un i. Il relut le tout, heureux de n’avoir fait aucune faute.

Giovanni

* * *

Les jeunes Blake obtinrent la permission de déjeuner ensemble. Belle chercha son frère dans la cour et finit par le trouver sous le préau, au milieu de ses nouveaux copains de classe. On aurait pu croire que Warren faisait leur connaissance ; en fait, il les interrogeait.

— J’ai faim, dit-elle.

Il suivit sa sœur jusqu’à une table où les attendaient deux pleines assiettes de crudités variées. Le réfectoire ressemblait en tout point à celle de Cagnes et ne leur inspira aucun commentaire.

— On n’est pas si loin de la maison, dit-il, on pourrait rentrer le midi.

— Maman, la tête dans le frigo, qui va se demander quoi nous faire à bouffer, et papa en pyjama devant la télé ? Très peu pour moi.

Warren commença son assiette par ce qu’il aimait le plus, les concombres, et Belle par ce qu’elle aimait le moins, les betteraves. Elle remarqua une trace bleutée sur l’arcade sourcilière de son frère.

— Qu’est-ce que t’as autour de l’œil ?

— Oh, ça, rien, j’ai voulu frimer sur le terrain de basket. Les tiens, comment ils sont ?

— Les filles sont plutôt cool, les garçons, je sais pas. Il a fallu que je me présente, j’ai…

Et Warren n’entendit plus la suite, de nouveau plongé dans une gamberge qui ne le quittait pas depuis son agression. Il avait enquêté, recoupé des informations, non pas sur ses racketteurs à la petite semaine, mais sur les autres, tous ceux qui pouvaient lui servir à changer le prédateur en proie, le bourreau en victime, comme il l’avait vu faire par tant d’autres avant lui, oncles, cousins, sa famille avait ça dans le sang. Il avait passé le reste de la matinée à poser des questions anodines sur les uns et les autres. Qui était celui-ci ? Comment s’appelait celui-là ? Lequel est le frère de qui ? Puis, il avait cherché à faire connaissance avec certains, leur arrachant des réponses à leur insu. Il avait même pris quelques notes pour se souvenir de toutes les composantes de son équation. Petit à petit, l’arborescence de détails commençait à prendre sens, pour lui et lui seul.

Celui qui boite a un père mécanicien qui travaille dans le garage du père de celui de la troisième C qui va se faire virer. Le capitaine de l’équipe de basket est prêt à n’importe quoi pour avoir une meilleure note en maths, il est copain avec le grand mec de seconde A3 qui est amoureux de la déléguée de classe. La déléguée de classe est la meilleure copine de la sœur de ce fils de pute qui m’a tapé mon billet de dix, et son acolyte a une trouille bleue du prof de travaux manuels, qui est marié à la fille du patron de la boîte où son père travaille. Les quatre types de terminale B toujours fourrés ensemble organisent le spectacle de fin d’année, ils ont besoin du matériel sono de celui qui boite, le plus petit est bon en maths, et c’est l’ennemi mortel du grand con qui m’a tapé dessus.

Le problème semblait résolu, du moins dans sa logique, avant l’arrivée du dessert. Belle n’avait cessé de lui faire des confidences.

* * *

Toujours installée en terrasse, plongée dans son guide, Maggie commandait un second café.

Le tympan s’orne de tableaux de la vie de la Vierge et du martyre de sainte Cécile qui fut décapitée à Rome en 232. Les lourdes portes en bois sculpté représentent les quatre saisons et leurs travaux des champs. Le porche est surmonté d’une tour à double couronne qui se termine en pinacles.

Il lui aurait suffi de se lever et de se diriger vers l’église dont elle connaissait déjà le descriptif complet, pénétrer dans la nef, affronter le Christ en croix, lui parler, se recueillir, prier, toutes choses qu’elle faisait avant de rencontrer Frederick, du temps où il s’appelait encore Giovanni. Après s’être unie à lui, plus question de lever les yeux vers un crucifix ou d’approcher un lieu saint. En embrassant Giovanni à pleine bouche, elle avait craché sur le Christ. En disant oui à l’homme de sa vie, elle avait insulté son Dieu, et son Dieu avait la réputation de ne rien oublier et d’aimer faire payer.

« Tu sais, Giovanni, quand il fait très chaud, en été, j’aime dormir sous une petite couverture, lui disait-elle souvent. On pense ne pas en avoir besoin, mais on ne peut pas s’en passer, elle nous protège durant la nuit. Eh bien, croire en Dieu, pour moi, c’était cette petite couverture. Et tu m’en as privée. »

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