– Je voulais te proposer une bonne affaire, reprit La Veuve, mais je vois que ce n’est pas la peine, tu aurais des remords…
– Dévidez, La Veuve! dit Jean Nib, et l’on verra. Quant à mes idées au sujet du père et de la sœur de Charlot, je vous engage à ne pas vous en mêler.
Et il jeta sur La Veuve un regard tel qu’elle recula en pâlissant.
– Voici l’affaire, dit-elle alors. À Neuilly-Saint-James, près de la Seine, il y a deux propriétés dont l’une est un modeste pavillon qui appartient à un certain Max Pontaives, lequel n’y habite que pendant l’été; l’autre est un riche hôtel dont le propriétaire s’appelle le marquis Robert de Perles.
– Un sale type! dit Zizi.
– Riche à millions, poursuivit La Veuve. L ’hôtel où le marquis vient une fois ou deux par mois est monté sur un grand pied, comme s’il était toujours habité. Les jours ou le marquis s’y transporte, les domestiques y arrivent aussi; mais, le reste du temps, l’hôtel est vide, sauf une femme de chambre et une cuisinière. Vide la villa d’à côté; pas de risques, on joue sur le velours.
– Et alors? demanda Biribi, les yeux enflammés.
– Alors, il y a dans l’hôtel argenterie massive, œuvres d’art, bibelots de grand prix, une rafle d’une centaine de mille francs, outre l’argent liquide que le marquis y dépose toujours pour les besoins du cercle, car il joue grand jeu.
– Ainsi, dit Jean Nib, on peut entrer là dedans sans trouver personne?
– Je n’ai pas dit cela, fit La Veuve. Je dis au contraire qu’il faudra y aller un soir où on sera sûr d’y trouver le marquis.
– La maison sera pleine de monde, observa Biribi.
– Voici ce qui se passe. Il y a des soirs où le marquis sort du cercle les poches vides alors, il rentre dans son hôtel de la rue de l’Université. Il y a des soirs, au contraire, où, en sortant du cercle, le marquis ramasse une pierreuse de la haute et vient passer la nuit à Neuilly. Ces soirs-là, on peut être sûr qu’il a les poches bourrées de billets bleus. Ceux qui feront le coup seront introduits par la femme elle-même; j’ai pris mes petits arrangements pour cela. Il n’y aura qu’à suivre la petite, pendant que le marquis dormira. C’est d’une simplicité enfantine. Zizi ferait cela à lui tout seul…
– Oui! gronda le gamin en lui-même, mais je ne laisserais pas dormir le marquis, moi!
– Donc, reprit La Veuve, voici comment il faudra opérer. D’ici quelques jours, je vous préviendrai. Alors, tous les soirs, vous vous tiendrez prêts à marcher. La nuit où l’opération sera bonne, j’en serai avisée par la petite que le marquis emmène. Nous filons tous. Zizi entre le premier pour s’assurer que tout est en ordre. Puis, vous entrez, vous autre. Quant au marquis… si, par hasard, il se réveille…
– J’en fais mon affaire, dit froidement Biribi. Un de plus, un de moins…
La Veuve continua alors avec une froideur de glace tandis que sa pensée bouillonnait, et qu’elle attendait la réponse de Jean Nib avec une fièvre d’angoisse:
– Eh bien! Biribi, ça te convient-il?
– Ça va! répondit Jean Nib. Dévaliser un richard, ça va! Je serai là; j’attendrai votre signal, La Veuve!
Quelques minutes plus tard, ces divers personnages se retrouvaient sur le boulevard; en face du bastion, se dressaient quelques masures séparées l’une de l’autre par des terrains vagues; l’une d’elles était un hôtel meublé; plus loin, c’était un marchand de vins; entre l’hôtel et le marchand de vins, une bicoque démolie depuis; elle était déserte, ou du moins paraissait inhabitée.
C’est dans cette masure que Biribi venait de transporter celle qui s’appelait Marie Charmant, celle que Lise, dans un cri de son cœur, dans une vision de vérité, appelait Valentine d’Anguerrand!
Et c’est aussi dans cette masure que Jean Nib, depuis près d’un mois, tenait enfermé le baron Hubert d Anguerrand…
Le baron était enfermé au rez-de-chaussée. Marie Charmant était au premier étage, juste au-dessus.
XXI MODERN’ PASSE D’ARMES
À peu prés vers l’heure où, dans le galetas de La Veuve, Marie Charmant racontait son histoire à Lise, deux personnages de ce récit, presque dans le même instant, se livraient à la même occupation: ils écrivaient une lettre. Seulement, la lettre de l’un était un assassinat; la lettre de l’autre était un acte de foi rayonnante. Ces deux personnages, c’étaient le marquis Robert de Perles et Anatole Ségalens…
Très froid, très sûr de la victoire, le marquis n’en prenait pas moins toutes les précautions nécessaires; une vingtaine de lettres adressées à des amis de cercle, à des maîtresses, une note pour son majordome, un volumineux paquet pour son notaire attestaient que Robert de Perles, à la veille d’un duel, admettait toutes les éventualités.
En veston d’intérieur, un sourire sceptique au coin des lèvres, très élégant, il s’était occupé de ces ultimes devoirs en fredonnant des airs qu’il avait entendus dans un bouiboui de quartier où il était alors de très bon ton de se montrer. Il acheva une liste de cadeaux distribués à ses domestiques, écrivit au-dessous: «Pour mon valet de chambre», épingla le feuillet à la liasse qui encombrait sa table, inspecta ces divers papiers d’un dernier coup d’œil satisfait, et murmura:
– C’est tout?… Bonsoir!
Il se leva brusquement, se mit à se promener de son pas régulier, souple et ferme. Ses traits s’étaient contractés. Une pâleur soudaine avait envahi son visage. Une sorte de tic nerveux faisait passer de rapides frissons sur son front.
– Non! ce n’est pas tout! gronda-t-il, sourdement. Cette lettre encore!… Il faut que je l’écrive!… Il le faut!… Quoi? qu’ai-je à dire?… Ce serait une lâcheté! Il haussa violemment les épaules, et, comme dans une explosion de rage:
– Qui le saura?… Une lâcheté?… Et quand même on le saurait… Moi mort, qu’importe?…
Plus sourdement, avec un rictus féroce qui étonnait sur ce visage impassible et qui était peut-être sa véritable expression sous le masque d’homme du monde:
– De lâchetés! Il y en a quelques-unes dans ma vie!… Mais un monsieur qui a eu dix duels heureux ne peut être un lâche… Et puis…, et puis… oh! savoir que, si je mourais, cet homme la tiendrait dans ses bras comme je l’ai tenue, que les baisers d’Adeline seraient pour ce misérable!… Il s’assit, saisit la plume, et, d’un trait, sans s’y reprendre, écrivit:
«Monsieur,
Il est juste que vous sachiez, vous et pas d’autres, pourquoi je me suis battu, pourquoi j’ai été touché et pourquoi suis mort. J’aime la femme qui porte votre nom, et je n’ai pu supporter que de mes bras elle passât à ceux de mon rival et adversaire.»
Il signa et traça la suscription:
« À M. le baron. Gérard d’Anguerrand »
– Baptiste! appela-t-il, sans hausser la voix.
Le valet de chambre apparut.
– Baptiste, dit le marquis, je me bats en duel demain matin. Vous voudrez bien me réveiller à sept heures. Si je suis tué, vous ferez parvenir tout cela dans la journée. Allez.
Le valet de chambre fit un mouvement pour se retirer.
– Attendez! reprit le marquis.
Il eut une dernière hésitation, rapide comme ces flambées d’horizon qui, les soirs d’orage, illuminent tout à coup le ciel noir… et il saisit la lettre destinée à Gérard.
– Celle-ci à part, dit-il. Vous la garderez sur vous, et, si je suis tué, vous la remettrez sur le terrain même au destinataire qui est mon témoin.
* * * * *
Anatole Ségalens, lui aussi, écrivait.
La plume courait sur le papier, tandis qu’une fièvre lui battait les tempes et qu’un sourire très doux illuminait son visage.
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