Michel Zévaco - Les Pardaillan – Livre IV – Fausta Vaincue

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Fausta vaincue est la suite de La Fausta, la subdivision en deux tomes ayant été faite lors de la publication en volume, en 1908. Nous sommes donc toujours en 1588, sous le règne d'Henri III, en lutte contre le duc de Guise et la Sainte ligue, le premier soutenu par Pardaillan, et le second par Fausta… Sans vous dévoiler les péripéties multiples et passionnantes de cette histoire, nous pouvons vous dire que le duc de Guise et Henri III mourront tous deux (Zévaco, malgré son imagination, ne peut changer l'Histoire…), et que Pardaillan vaincra Fausta…

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Michel Zévaco Les Pardaillan Livre IV Fausta Vaincue 24 juin 1903 16 - фото 1

Michel Zévaco

Les Pardaillan – Livre IV – Fausta Vaincue

24 juin 1903 – 16 mars 1904 – La Petite République socialiste

1908 – Fayard, Le Livre populaire

I LA FLAGELLATION DE JÉSUS

Une foule immense était rassemblée sur la Grève, non plus cette fois pour y voir un beau spectacle de pendaison, une jolie estrapade [1]ou une intéressante grillade d’hérétiques, mais simplement pour assister au départ de la grande procession organisée pour porter au roi Henri III les doléances de la bonne ville de Paris.

Pour la grande majorité des Parisiens, il s’agissait de réconcilier le roi avec sa capitale, en obtenant bien entendu un certain nombre d’avantages parmi lesquels on plaçait au premier rang le renvoi du duc d’Épernon et du Seigneur d’O qui avaient quelque peu abusé du droit de pressurer les bourgeois.

Pour une autre catégorie moins nombreuse et initiée à certains projets de Mgr de Guise, il s’agissait d’imposer à Henri III une terreur salutaire et d’obtenir de lui, moyennant la soumission de Paris et son repentir de la journée des Barricades, une guerre à outrance contre les huguenots, c’est-à-dire leur extermination.

Pour une troisième catégorie, moins nombreuse encore et initiée plus avant dans les projets des chefs de la Ligue, il s’agissait de s’emparer du roi, de l’enfermer en quelque bon couvent, et de le déposer après l’avoir préalablement tondu.

Enfin, pour une quatrième catégorie réduite à une douzaine d’initiés, il s’agissait de tuer Henri III.

Tout le monde était donc content.

Non seulement la Grève était noire de monde, mais encore les rues avoisinantes regorgeaient de bourgeois qui, la salade [2]en tête, la pertuisane d’une main, un cierge de l’autre et le chapelet autour du cou, se disposaient à processionner jusqu’à Chartres. Ajoutons qu’en dehors des ligueurs qui, pour une des raisons énumérées plus haut, voulaient pénétrer dans la ville où s’était réfugié Valois, en dehors de ces étranges processionneurs armés jusqu’aux dents, un nombre considérable de mendiants s’étaient mis de la partie.

En effet, le voyage à Chartres, en tenant compte des lenteurs d’un pareil exode, devait durer quatre jours. Le duc de Guise avait fait crier qu’il avait disposé trois gîtes d’étapes le long du chemin, et qu’à chacun de ces gîtes on tuerait cinquante bœufs et deux cents moutons pour nourrir le peuple en marche. Tout ce qu’il y avait de mendiant à Paris avait donc vu dans cette procession une rare occasion à ripaille et franche lippée.

Ce jour-là, donc, vers huit heures du matin, les cloches des innombrables paroisses de Paris se mirent à carillonner. Sur la place de Grève vinrent se ranger successivement les délégués de l’Hôtel de Ville, les représentants des diverses églises, curés ou vicaires, puis les confréries, les théories de moines tels que Feuillants, Capucins, et enfin les Pénitents blancs qu’on remarquait spécialement. En effet, c’était Henri III lui-même qui un lendemain de débauche avait fondé la confrérie des Pénitents blancs.

Enfin, vers huit heures, le Te Deum ayant été chanté à Notre-Dame en présence du lieutenant général de la Ligue, c’est-à-dire d’Henri le Saint, la procession s’ébranla parmi d’immenses acclamations, des cris frénétiques de «Vive la Ligue! Vive le Grand Henri!» et dans le tumulte des bombardes éclatant sur les remparts.

Parmi les files interminables de cierges et d’arquebuses, on vit dans cette procession des choses magnifiques. D’abord les douze apôtres en personne, revêtus d’habillements tels qu’on en portait du temps de Jésus-Christ. Seulement ces dignes apôtres, sous leurs tuniques à la romaine, laissaient voir la cuirasse, et ils ne s’étaient pas gênés pour se coiffer de casques à panaches, ce qui les faisait paraître bien plus beaux.

Après les apôtres venaient quelques soldats romains portant les instruments de supplice de Jésus-Christ. L’un agitait une lance; un autre tenait une perche au bout de laquelle était fixée une éponge; un troisième portait un seau. Mais le plus beau venait ensuite.

En effet, Jésus-Christ lui-même était représenté par un personnage qui traînait une immense croix. Ce personnage n’était autre qu’Henri de Bouchage, duc de Joyeuse, lequel, comme on sait, avait pris l’habit de capucin sous le nom de frère Ange, et devait plus tard rejeter le froc pour guerroyer, puis rentrer encore en religion.

Le duc de Joyeuse, donc, ou frère Ange, comme on voudra, portait sur ses épaules une croix qui par bonheur était en carton: sur sa tête, une couronne d’épines également en carton peint, et autour du cou, par un bizarre anachronisme, le chapelet des ligueurs. Il avait la figure barbouillée de rouge pour figurer le sang. Près de lui marchaient deux jeunes capucins dont l’un représentait Madeleine et l’autre la Vierge.

Derrière Joyeuse déguisé en Christ, venaient deux grands gaillards qui le fouettaient ou faisaient semblant de le fouetter, ce qui soulevait dans la foule des cris d’indignation. Et cette indignation, vraie ou feinte comme le reste, prenait des proportions de rage lorsque, par un anachronisme plus bizarre encore (mais on n’y regardait pas de si près), les deux flagellants, tous les quinze ou vingt pas, s’écriaient:

– C’est ainsi que les huguenots ont traité Notre Seigneur Jésus!

– Mort aux parpaillots! reprenait la foule, de très bon cœur cette fois.

Moines, prêtres, ligueurs, cierges, arquebuses, flagellants, apôtres et Jésus, tout ce monde sortit de Paris et prit la route d’Orléans, c’est-à-dire la route de Chartres, parmi les cantiques et les cris de guerre.

À une vingtaine de pas derrière Jésus, ou frère Ange, ou duc de Joyeuse, marchaient côte à côte quatre pénitents qui, se tenant par le bras, tête baissée, capuchon sur le visage, se faisaient remarquer par leurs énormes chapelets et par leur piété extraordinaire. Peu à peu le désordre s’étant mis dans les rangs de la procession, ces quatre pénitents finirent par se trouver derrière Jésus au moment où celui-ci, d’une voix retentissante, criait:

– Mes frères, mort aux huguenots maudits qui m’ont flagellé!…

Une acclamation salua ces paroles du Christ qui, ayant essuyé la sueur qui coulait de son front, continua:

– Puisque nous allons voir Hérode…

– Le roi! interrompit une voix impérieuse. Dites: le roi, messire, puisque Paris se réconcilie avec Sa Majesté!

– C’est juste, sire de Bussi-Leclerc! reprit Jésus-Christ. Donc, mes frères, puisque nous allons voir le roi, nous devons avant tout obtenir qu’il renvoie ses Ordinaires!… Mort aux Ordinaires!

– Très juste, dit Bussi-Leclerc. Mort aux Quarante-Cinq!

– À mort! À mort! reprit la foule des pénitents.

– En route, donc, dit Jésus.

Et la procession, dont la marche s’était trouvée interrompue, reprit son cours. Elle s’étendait sur une longueur d’une bonne lieue. Et quelques heures après avoir quitté Paris, tout se monde marchait à sa convenance, sans ordre arrêté.

Bien en avant de ce troupeau, Guise, Mayenne et leur frère, à cheval, entourés d’une cinquantaine de gentilshommes bien armés, s’entretenaient à voix basse de choses mystérieuses.

Quant aux quatre pénitents que nous avons signalés, ils causaient entre eux sans précautions; en effet, tels étaient les cris, les chants de guerre et les cantiques qu’il leur était difficile de s’entendre.

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