Et, sans attendre la réponse, elle serra dans ses bras la jeune fille, qui tremblait de tous ses membres.
– Êtes-vous bien sûre, au moins, qu’on ne vous a pas vue? demanda Lise avec un accent d’indicible terreur.
– Pas de danger. On ne me la fait pas, à moi. La Veuve est en balade, je ne sais où, chez le diable, sans doute.
– La Veuve?
– Oui. La mégère qui vous a mis dans ce pétrin dont j’espère bien vous tirer, quoi que vous en disiez.
– Oh! fit Lise on joignant les mains, c’est qu’elle nous tuerait toutes deux, voyez-vous! Moi, ça m’est égal de mourir…mais vous, si jeune, si belle et si aimable… Elle me l’a dit: «Si tu appelles, si quelqu’un t’entend ou te voit, malheur à ce quelqu’un!…» Et j’ai compris que cette femme est décidée à tout, même à un meurtre!…»
– Pauvre petite! dit Marie Charmant. Comme elle tremble! Quand je vous dis de ne pas avoir peur, là! C’est juré, comme dit Zizi! Mais voyons, d’abord, je suis là à bavarder comme une pie, et je ne songe pas que je suis montée pour vous inviter à dîner… Vous voulez bien? Oh! mais voilà que vous tournez de l’œil!…
– Je me meurs de faim…
De grosses larmes roulèrent sur les joues de Marie Charmant qui s’écria:
– Oh! la scélérate!… Comment! elle ne vous donne même pas à manger?
– Pas tous les jours, bégaya Lise.
– Comment, pas tous les jours.
– Oui, tous les trois ou quatre jours, elle me monte un morceau de pain, mais jamais assez… Ce ne serait encore trop rien… mais c’est la soif… Je brûle de fièvre, et quelquefois je suis plus d’un jour sans eau… Alors, il me semble que ma tête s’égare; je vais, je viens, je parcours ce misérable grenier, je crois entendre des gémissements et m’aperçois que c’est moi qui pleure.
– Pauvre infortunée!… Mangez, buvez… ne craignez plus rien… à partir de demain, je me charge de vous monter tous les jours le nécessaire…
– Je me sens mieux, dit Lise… Comme vous êtes bonne, mademoiselle!…
– Ah! bien, oui, parlons-en!… Mais ce n’est pas de moi qu’il s’agit. Voyons, comment et pourquoi La Veuve vous en veut-elle au point de vous martyriser ainsi?
– Je ne connais pas cette femme, dit Lise en frémissant. On m’a amenée chez elle après m’avoir enlevée une nuit de la maison qu’habite mon père…
– Mais votre père?…
– Je ne sais pas ce qu’il est devenu…
– Et vous dites que vous ne connaissez pas La Veuve?… Ça, c’est un peu fort, par exemple. Mais alors, elle agirait donc pour le compte de quelqu’un?…
– Oui… je le crois… balbutia Lise, qui pâlit et se reprit à trembler. Et ce quelqu’un… oh! mademoiselle… c’est affreux, voyez-vous!…
– Mais vous le connaissez, ce quelqu’un?… dit Marie Charmant en saisissant une main de Lise.
Lise fit de la tête un signe désespéré.
– Eh bien, voyons! reprit la bouquetière. Vous m’avez défendu jusqu’ici de prévenir la police. Mais pourtant, je ne peux pas vous laisser ainsi assassiner! Il faut que le misérable qui vous a livrée à La Veuve soit arrêté…
Lise se redressa comme galvanisée.
– Arrêté?… Lui?… Vous ne savez, pas! Oh! mais s’il lui arrive malheur, j’en mourrai!… Arrêté par ma faute?… Tenez, j’aime mieux mourir de faim ici!… Je vous en supplie, oubliez-moi, oubliez que vous m’avez vue, oubliez ce que j’ai pu vous dire, mais, par grâce, par pitié, si je vous inspire la moindre sympathie jamais, jamais ne dites un mot à personne de tout cela!…
– Eh bien, je ne dirai rien, je vous le jure! s’écria Marie Charmant, épouvantée de l’exaltation presque délirante où elle voyait la malheureuse. Mais, enfin, il y a pourtant une raison qui vous guide…
– Vous voulez savoir pourquoi je ne veux pas qu’il lui arrive malheur… à lui?…
– À celui qui vous a fait enlever? Que vous soupçonnez de vous avoir fait livrer à La Veuve?…
– Oui!… Eh bien! écoutez c’est affreux, mais ma destinée est ainsi faite… je l’aime!…
– Vous l’aimez! balbutia Marie Charmant avec une sorte d’étonnement et d’effroi.
– Oui, continua Lise dont la physionomie prit une expression de dévouement et de résignation à faire pleurer, je l’aime!… Malheureuse! après ce que j’ai appris! après ce que je sais!… Je l’aime toujours… je l’aimerai jusqu’à mon dernier souffle!… Oh! continua-t-elle avec une exaltation voisine de la folie, je puis dire cela tout haut, et je ne meurs pas de honte!… J’aime!… J’aime Gérard d’Anguerrand!…
À peine ce nom eut-il jailli de ses lèvres fiévreuses qu’elle eut un cri de douleur affreuse et se couvrit le visage de ses deux mains. Marie Charmant était demeurée interdite, frappée elle-même d’une émotion qu’elle avait peine à maîtriser.
– Gérard d’Anguerrand! murmura-t-elle; mais ne m’avez-vous pas dit que vous vous appeliez Valentine d’Anguerrand?…
– Oui! bégaya Lise.
– Ce Gérard, dit Marie en frissonnant, car elle entrevoyait quelque chose d’effroyable, ce serait donc…
– Le fils du baron d’Anguerrand! dit Lise avec un tel calme, avec une si profonde amertume qu’elle se trouvait comme transportée au delà des limites du désespoir.
– Votre frère! fit Marie Charmant dans un souffle d’épouvante.
Lise laissa retomber ses mains et dit:
– Je dois vous faire horreur, n’est-ce pas?… Je me fais horreur à moi-même… Je souffre, à vous faire un tel aveu, une honte qui me fait mal, voyez-vous, là… Cela me brûle et me glace tout à la fois… Mais, pour le sauver…, pour vous persuader… pour vous prouver que vous ne devez pas le dénoncer, je souffrirais mille morts… Maintenant, mademoiselle, j’espère, oui…, j’espère qu’après tout ce que je viens de dire, vous me mépriserez tant et tant… que vous m’oublierez… et surtout… oh! cela, surtout! que vous garderez le secret de celle que vous appelez La Veuve! Car cette femme n’est que l’instrument… de celui… que j’adore!…
– Pauvre chère mignonne! dit Marie Charmant en pleurant, vous ne me faites pas horreur, et je ne vous méprise pas; il y a dans votre histoire un mystère qui m’effraie, mais je respecterai votre volonté; je vous jure que, par ma volonté du moins, il n’arrivera aucun mal à…
Elle rougit. Et la voyant rougir ainsi, Lise sourit avec une infinie tristesse.
– À mon frère! acheva-t-elle. Soyez bénie, vous qui m’apparaissez comme un ange…
– Ange sans ailes! s’écria Marie Charmant. Mais, pour en revenir à votre affaire, voyons, on peut bien vous tirer des griffes de La Veuve sans risquer de toucher à… celui que vous ne voulez pas dénoncer!… Écoutez-moi bien. Je connais un jeune homme. Quand on dit que je connais, c’est une façon de parler… Mais enfin, je puis vous affirmer que M. Anatole Ségalens… c’est mon jeune homme, une drôle d’idée qu’il a de s’appeler Anatole, hein?… ça ne l’empêche pas d’être le plus fier, le plus loyal, le plus brave jeune homme de Paris…
– Vous l’aimez! dit Lise.
– Moi? fit Marie Charmant stupéfaite et devenue pourpre. Non, non, je ne l’aime pas. il n’est pas pour mes mirettes, celui-là! Pensez donc, ajouta-t-elle, avec une naïve admiration: un licencié! Dites donc, vous qui avez de l’instruction, qu’est-ce que ça peut bien être un licencié? C’est-il plus qu’un capitaine?…
– Oh! sûrement! dit Lise en toute sincérité.
– Je m’en doutais! fit Marie Charmant en étouffant un soupir. Pourtant, il est bien pauvre. Enfin, je crois bien que si je lui disais… Il vous tirerait de là, lui! Voulez-vous?
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