— Ouh ! petite sœur ! Ça brûle ! Qu’est-ce que c’était ?
— Quelque chose qui te fera du bien. Tu as été malade.
— Oui, j’ai été malade. Où est Miles ?
— Il va venir tout de suite. Maintenant, donne-moi ton autre bras.
— Pour quoi faire ? demandai-je en soulevant ma manche et en lui tendant le bras.
Je sursautai.
— Ça n’a pas vraiment fait mal, hein ? dit-elle en souriant.
— Non, pas vraiment. C’est pour quoi faire ?
— Ça va te faire sommeiller pendant le trajet. Quand nous arriverons, tu te réveilleras.
— O.K. J’aimerais bien dormir. Je voudrais prendre un Long Sommeil. (Je me sentis intrigué et jetai un regard circulaire :) Où est Pete ? Pete devait faire sa cure de Long Sommeil avec moi.
— Pete ? Voyons, Danny, tu ne te souviens pas ? Tu as envoyé Pete auprès de Ricky. Elle va s’occuper de lui.
— Ah oui !
Je souris avec soulagement. J’avais expédié Pete auprès de Ricky, je m’en souvenais. Tout allait donc pour le mieux. Ricky aimait bien Pete et elle en prendrait soin.
Ils m’ont emmené au Consolidated Sanctuary à Satwell, l’un de ceux qu’utilisaient de nombreuses compagnies d’assurances de moindre importance qui ne possédaient pas leurs sanctuaires privés. Je dormis pendant tout le trajet. Cependant, je m’éveillai une fois parce que Belle me parlait. Miles resta dans la voiture et Belle m’accompagna. La réceptionniste leva les yeux et dit :
— Davis ?
— Oui, répondit Belle. Je suis sa sœur. Est-ce que le représentant de la Master est ici ?
— Vous le trouverez dans la salle de traitement n°9. Tout est prêt, on vous attend. Vous pourrez remettre tous les papiers au représentant de la Master. (Elle me regarda avec intérêt :) Il a subi l’examen médical ?
— Bien sûr, répondit Belle. Mon frère est en cours de traitement. Il est sous l’influence d’un calmant. Contre la douleur…
La réceptionniste émit un gloussement de sympathie.
— Eh bien, allez vite, dit-elle. Par cette porte-là, et tournez à gauche.
Dans la salie n°9 se trouvaient un homme en civil, un autre en blouse blanche et une infirmière en uniforme. Ils m’aidèrent à me déshabiller et me traitèrent comme un enfant demeuré, tandis que Belle expliquait à nouveau que j’étais sous l’effet d’un sédatif contre la douleur. Quand je fus débarrassé de mes vêtements et étendu sur la table, l’homme en blanc me massa le ventre, enfonçant profondément ses doigts.
— Pas d’ennuis avec celui-ci, souffla-t-il, il a l’estomac vide.
— Il n’a rien mangé ni bu depuis hier soir, déclara Belle.
— Voilà qui est parfait. Quelquefois ils s’amènent ici bourrés comme une dinde de Noël. Il y a des gens qui n’ont pas le sens commun.
— C’est bien vrai.
— Bon. O.K. Fils, serrez votre poing pendant que j’enfonce cette aiguille.
J’obéis, et tout devint alors vague. Subitement, je me rappelai quelque chose et essayai de me redresser.
Belle me prit la tête et m’embrassa.
— Là, là, mon petit ! Pete n’a pas pu venir, tu te souviens ? Pete est parti chez Ricky.
Je m’apaisai et elle dit aux autres :
— Notre frère Pete a une petite fille malade à la maison…
Je m’endormis…
J’éprouvais à présent un froid particulièrement intense. Mais je n’arrivais pas à atteindre les couvertures.
A peine m’avait-il réveillé que déjà il voulait de nouveau m’endormir. Je ne sais pas trop ce qu’il advint pendant le laps de temps qui suivit. Je fus étendu un instant sur une table qui vibrait sous mon corps, il y avait des lumières, toute une série d’instruments aux allures de reptiles, et une foule de gens. Pourtant, en me réveillant, je me trouvai sur un lit d’hôpital ; je me serais senti très bien, sans une sensation de demi-flottement, du genre de celle qu’on éprouve après un bain turc. J’avais retrouvé et mes mains et mes pieds, mais personne ne voulait me parler, et chaque fois que j’ouvrais la bouche pour poser une question, une infirmière y fourrait quelque chose. Je subis des tas de massages.
Puis un matin, je me sentis en si bonne forme que je me levai. Ma tête tournait un peu, mais je savais qui j’étais, je savais comment j’en étais arrivé là, et je compris que tout le reste n’avait été que des rêves.
Je me rappelai qui m’avait mis dans cette situation. Si Belle m’avait donné l’ordre d’oublier ses manigances pendant que j’étais sous l’effet de la drogue, de deux choses l’une : ou ses ordres n’avaient pas eu prise sur moi, ou trente ans de sommeil hypnotique en avaient effacé la trace. Si certains détails me paraissaient nébuleux, je savais pourtant comment l’on m’avait filouté.
Je n’en étais pas spécialement fâché. Cela avait eu lieu « hier », puisque c’était hier que je m’étais endormi… Mais j’avais dormi trente ans…
Cette sensation est difficile à définir en raison de son caractère entièrement subjectif, mais, tout en ayant bien en mémoire les événements, d’« hier », je ressentais à leur égard l’espèce de recul que l’on éprouve pour les choses du passé… L’image conservée par ma conscience était au premier plan, celle de ma réaction émotive concernait un souvenir lointain.
J’avais la ferme intention de rendre visite à Miles et Belle et de n’en faire qu’une bouchée, mais rien ne pressait. L’année prochaine, on verrait cela. Pour l’instant, j’étais trop curieux de voir l’an 2000.
Mais où était Pete ? Il devait se trouver quelque part dans le coin ? A moins que le pauvre petit n’ait pas supporté le Sommeil ?
Alors, mais alors seulement, je me souvins que mes projets d’emmener Pete avec moi avaient été contrés.
Belle et Miles furent immédiatement transférés du panier « Affaires à voir » au panier « Affaires urgentes ». Ils avaient essayé de tuer mon chat ? On allait voir ça de près.
Ce qu’ils avaient fait était sans doute encore plus grave que de le tuer : ils l’avaient condamné à la solitude, celles des jours passés à fouiller les poubelles à la recherche de restes de nourriture, l’échine saillant de plus en plus sous la peau, sa douce nature confiante se transformant en amère suspicion vis-à-vis de tout animal à deux pattes.
Ils l’avaient laissé mourir, car il était certainement mort à présent, en lui laissant croire que c’était moi qui l’avais abandonné.
Ils me le paieraient cher… s’ils étaient encore en vie.
Dieu, que je les souhaitais encore vivants ! A un point inimaginable !
* * *
Je découvris que je me tenais au pied du lit, en pyjama, agrippé des deux mains afin de ne pas tomber. Je cherchai le moyen d’appeler quelqu’un à mon aide. Les chambres d’hôpital n’avaient guère changé. La mienne ne comportait pas de fenêtre, et je ne parvenais pas à voir d’où venait la lumière. Le lit était haut et étroit, comme tout lit d’hôpital ; il semblait cependant être plus qu’un simple endroit pour dormir. Entre autres choses, il était muni, par-dessous, d’un réseau de plomberie qui devait constituer le système de refroidissement. La table de chevet était incorporée à la structure même du lit. En temps ordinaire, ces perfectionnements m’eussent passionné, mais pour l’instant, la seule chose qui m’intéressait était de découvrir la poire d’appel qui fait venir l’infirmière… Je voulais mes vêtements.
Cette poire se révéla introuvable, mais je découvris ce qui la remplaçait : une sonnerie sur le côté de cette table de chevet qui n’en était pas tout à fait une. Je l’effleurai de la main dans mes recherches, et un voyant transparent placé face à l’endroit où se serait trouvée ma tête si j’avais été couché s’alluma : Service. Presque aussitôt, ce mot s’effaça et fut remplacé par Un instant, s’il vous plaît.
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