Miles vérifia les fermetures des fenêtres. Puis Belle quitta la pièce et il la suivit. Quelque temps après leur départ, Pete se tut. Je ne sais combien de temps ils demeurèrent absents, le temps ne signifiant rien pour moi.
Belle revint la première. Son maquillage et sa coiffure étaient impeccables. Elle portait une robe à manches longues et à encolure montante. Elle avait remplacé ses bas déchiquetés. A l’exception de quelques petites bandes de sparadrap sur son visage, elle ne gardait nulle trace de la bataille. Sans cette expression dure sur son masque, et en d’autres circonstances, je me serais délecté à la contempler.
Elle se dirigea vers moi et m’ordonna de me lever. J’obéis. D’une main experte, elle me fouilla sans oublier la poche gousset, les poches de chemise, et une poche en diagonale à gauche dans la doublure de la veste. Ses trouvailles ne furent pas brillantes. Mon portefeuille et un peu d’argent, mes papiers d’identité, mon permis de conduire, diverses clefs, un peu de monnaie, un petit inhalateur et le bric-à-brac qu’on trouve dans toute poche masculine. Elle trouva également le chèque barré qu’elle m’avait expédié elle-même. Elle le retourna, lut l’endossement que j’y avais fait et eut l’air étonnée.
— Qu’est-ce que c’est que ça, Dan ? Tu contractes des assurances ?
— Non.
J’aurais été disposé à lui en dire davantage, mais répondre à la dernière question posée était tout ce dont j’étais capable.
Elle fronça les sourcils et posa le chèque auprès de mes autres affaires. A ce moment-là, elle vit le sac de Pete et se souvint probablement de la poche intérieure. Elle le ramassa et l’ouvrit.
Immédiatement, elle découvrit les duplicata des formulaires que j’avais signés pour la Mutual Assurance Co. Elle s’assit et se mit à les lire. Je demeurai là où elle m’avait laissé, tel un mannequin de vitrine attendant d’être rangé.
Bientôt Miles fit son entrée, en pantoufles, vêtu d’un peignoir de bain et d’une respectable quantité de gaze maintenue par du sparadrap. Il avait l’air d’un poids moyen de quatrième catégorie dont le manager a accepté un match où son poulain est voué à la « pile ». Sur son crâne chauve, il portait un pansement circulaire. Pete l’avait probablement atteint pendant sa chute.
Belle leva les yeux et lui fit signe de se taire en indiquant la liasse de papiers qu’elle parcourait. Il s’installa et se mit à lire. Il l’eut vite rattrapée et termina sa lecture par-dessus son épaule.
— Ça change tout, dit-elle enfin.
— Pire que ça ! Cet engagement est pour le 4 décembre, c’est-à-dire demain. Ce type est aussi brûlant que le désert de Mojave à midi. Il faut nous en débarrasser ! (Il jeta un coup d’œil à la pendule :) Ils vont le faire rechercher dès demain matin.
— Décidément tu trembles à la moindre alerte ! Au contraire, c’est une veine ! Oui, c’est le meilleur coup de veine que nous puissions espérer.
— Explique-toi, je ne comprends pas.
— La drogue des zombis, malgré ses qualités, a ses limites. Suppose que tu endormes quelqu’un à l’aide de cette drogue et que tu lui imposes ce qu’il doit faire. Bon. Il s’exécute. Mais que sais-tu de l’hypnotisme ?
— Pas grand-chose.
— Connais-tu quelque chose en dehors de la loi, mon pauvre chou ? Tu n’as vraiment aucune curiosité. Un commandement post-hypnotique (c’est à cela que ceci correspond) peut entrer et entre pour ainsi dire toujours en contradiction avec les envies réelles du sujet. Cela peut éventuellement le mener aux mains des psychiatres. S’il a affaire à un bon psychiatre, il y a de fortes chances pour que celui-ci découvre le pot aux roses. Il y a donc une possibilité que Dan aille chez un psychiatre et se trouve délivré des ordres que je lui aurai transmis. Si cela se produisait, il ne manquerait pas de nous causer de graves ennuis.
— Mais bon sang ! Tu m’as affirmé que cette drogue était tout à fait sûre !
— Voyons, mon vieux, il faut prendre des risques dans la vie. C’est cela qui la rend amusante ! Voyons, laisse-moi réfléchir. (Au bout d’un moment, elle enchaîna :) La chose la plus sûre est de le laisser mettre à exécution son projet de Long Sommeil. Il ne nous dérangera pas plus que s’il était mort. Et nous ne courrons ainsi aucun risque. Au lieu de lui donner toute une série de commandements compliqués et de nous tracasser à espérer qu’il ne les rejettera pas, tout ce que nous aurons à faire sera de lui ordonner de poursuivre son idée de Long Sommeil, de le ramener à lui et de le faire sortir d’ici. Ou plutôt, de le faire sortir d’ici et de le ramener à lui ensuite.
Elle se tourna vers moi.
— Dan, allez-vous faire une cure de Long Sommeil ?
— Non.
— Comment ? Que signifie alors tout cela ?
Elle désigna les paperasses qu’elle avait sorties du sac.
— Ce sont des papiers pour le Long Sommeil. Des contrats avec la Mutual Assurance Co.
— Il est devenu idiot, dit Miles.
— Bien sûr, qu’il est idiot ! J’oublie toujours qu’on ne peut pas penser quand on est sous l’effet de la drogue. On entend, on peut parler et répondre à des questions posées. Encore faut-il que ce soient les bonnes questions. Il est incapable de penser.
Elle s’approcha et me regarda au fond des yeux.
— Dan, je veux que tu me dises tout au sujet de cette histoire de Long Sommeil. Commence par le commencement, et raconte-moi toute l’affaire. Tu as là tous les papiers nécessaires. Apparemment, ils ont été établis aujourd’hui. Et tu me dis maintenant que tu ne vas pas le faire. Explique-moi pourquoi, après avoir pris cette décision, tu changes tout à coup d’avis ?
Et je le lui dis. A une question posée de cette manière-là, je ne pouvais que répondre. Cela me prit du temps. Elle avait spécifié : tout depuis le commencement. Je lui donnai tous les détails.
— Alors, tu as réfléchi dans ce restaurant et tu as changé d’avis ? Tu as préféré venir nous trouver pour nous créer des ennuis et renoncer au Long Sommeil ?
— Oui.
J’allais enchaîner et lui raconter le trajet avec Pete, ce que je lui avais dit et ce qu’il m’avait répondu, j’allais lui raconter mon arrêt au drugstore, l’envoi à Ricky et comment Pete avait refusé de rester dans la voiture…
Mais elle ne m’en laissa pas le temps.
Elle me dit aussitôt :
— Tu as de nouveau changé tes projets, Dan. Tu désires prendre le Long Sommeil. Tu vas prendre le Long Sommeil. Tu ne permettras à personne de t’empêcher de prendre ce Long Sommeil. Compris ? Alors, que vas-tu faire ?
— Je vais prendre le Long Sommeil dont j’ai envie.
Je chancelai. Je m’avançai vers elle en titubant.
Elle s’écarta vivement et cria :
— Assis !
Je m’assis.
Belle se tourna vers Miles.
— Voilà qui est fait. Je vais continuer à lui enfoncer cette idée dans le crâne jusqu’à ce que je sois bien sûre qu’il n’en change plus.
— Il a dit que ce docteur voulait le voir sur le coup de midi, dit Miles en jetant un coup d’œil sur la pendule.
— On a tout le temps. Pourtant, il vaut mieux que nous le conduisions nous-mêmes pour plus de… Non, zut !
— Qu’y a-t-il ?
— Nous n’aurons pas le temps ! Je lui ai administré une dose de cheval, je voulais qu’il sombre vite, avant qu’il ait le temps de me frapper… Pour midi, il serait suffisamment désintoxiqué pour convaincre des tas de gens ; mais pas un médecin.
— Ce ne sera peut-être qu’un examen superficiel. Il a déjà subi son examen complet, le docteur a signé les papiers.
— Tu as entendu ce qu’il a dit à propos de ce que le docteur lui a recommandé ? Il va lui faire subir un nouvel examen pour contrôler qu’il n’a pas bu d’alcool. Cela signifie qu’il vérifiera ses réflexes, mesurera ses temps de réaction, examinera ses pupilles et… bref, tout ce que nous ne pouvons nous permettre de laisser faire par un médecin. Ça ne marchera pas, Miles.
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