Le cigare de Miles s’était éteint, depuis déjà pas mal de temps ; il le sortit de sa bouche, le contempla et dit en pesant ses mots :
— Dan, mon vieux, si tu espères nous faire faire des aveux spécieux, tu délires.
— Oh ! Assez de tergiversations ! Nous sommes seuls ! Vous êtes tous les deux coupables. Pourtant, j’aimerais croire que c’est cette Dalila qui est venue te trouver avec toute l’affaire dûment empaquetée et qui t’a tenté dans un moment de faiblesse. Mais je sais bien que ce n’est pas vrai. A moins que Belle ne soit elle-même avocate, vous êtes tous deux coupables, complices avant et après. Toi, Miles, tu as rédigé les documents, et Belle les a tapés et a manœuvré pour que je les signe. C’est ça ?
— Ne réponds pas, Miles !
— Évidemment, que je ne répondrai pas ! Il y a peut-être un magnétophone caché dans ce sac.
— Voilà, en effet, ce que je devrais avoir, mais ce n’est pas le cas.
J’ouvris le haut du sac, et Pete sortit la tête.
— Tu notes tout, Pete ? Attention à ce que vous dites, messieurs et mesdames, Pete est doté d’une mémoire d’éléphant. Non, je n’ai pas apporté de magnétophone, je ne suis que Dan Davis, crâne de piaf, qui ne prévoit jamais rien. J’avance cahin-caha en faisant confiance à mes amis… Comme je vous ai fait confiance à vous deux. Belle est-elle avocate, Miles ? Ou est-ce toi qui as un beau jour réfléchi à tête reposée sur la façon de m’embobiner dans cette escroquerie aux apparences légales ?
— Miles, interrompit Belle, il est assez adroit pour avoir fabriqué un magnétophone de la taille d’un paquet de cigarettes. Il n’est peut-être pas dans le sac, il l’a peut-être sur lui.
— Voilà une excellente idée, Belle ! La prochaine fois, j’en aurai un.
— Je m’en rends parfaitement compte, ma chère, répondit Miles. Et s’il le possède, tu parles bien légèrement. Tiens ta langue.
Belle répondit d’un mot dont j’ignorais qu’elle fît usage. Mes sourcils se soulevèrent.
— Vous en êtes déjà aux amabilités ? Déjà la brouille entre les voleurs ?
Je fus ravi de voir que Miles commençait à perdre sa belle humeur.
— Toi aussi, surveille ta langue, Dan, si tu tiens à ta santé.
— Tch, tch ! Je suis plus jeune que toi, et je me suis entraîné très récemment au judo. Non, tu n’es pas homme à tirer sur un autre… tu es plutôt un type à fabriquer de faux documents. Voleurs, ai-je dit, et je répète, voleurs ! Voleurs et menteurs, tous les deux.
Je me tournai vers Belle :
— Chère ange, mon père m’a appris à ne jamais traiter une dame de menteuse. Mais tu n’es pas une dame. Tu es une menteuse, une voleuse et une putain.
Belle devint rouge vif et me lança un regard d’où toute beauté avait disparu. Elle ne ressemblait plus qu’à une bête de proie.
— Miles, siffla-t-elle, vas-tu rester là sans bouger et tolérer qu’il…
— Doucement, dit Miles, ses grossièretés sont calculées pour nous énerver et nous faire dire des choses que nous regretterions. Ce que tu as failli faire, d’ailleurs. Tais-toi donc.
Belle se tut, mais son visage garda un air farouche.
— J’ai toujours été un homme pratique, Dan, du moins je l’espère. Avant que tu ne quittes la firme, j’ai essayé de te faire entendre raison ; dans notre arrangement, j’ai tenté d’agir de manière que tu acceptes l’inévitable sans te rebiffer.
— Tu veux dire : que j’accepte de me laisser violenter sans protester.
— Soit. Je reste partisan d’un arrangement à l’amiable. Tu seras dans l’incapacité de gagner quoi que ce soit devant les tribunaux. Cependant, comme avocat, je sais qu’il vaut toujours mieux rester hors des tribunaux plutôt même que de gagner. Quand la chose est possible. Tu as dit, il y a un moment, qu’il y a une chose susceptible de te calmer ? Si tu veux bien me dire de quoi il s’agit, peut-être sera-t-il possible de trouver un terrain d’entente.
— J’allais y venir. Tu ne peux rien faire personnellement mais tu pourras peut-être y aider. C’est simple. Obtiens de Belle qu’elle me rende le stock d’actions que je lui ai cédées comme cadeau de fiançailles.
— Non ! s’écria Belle.
— Je t’ai dit de te tenir tranquille, dit Miles.
Je regardai Belle.
— Pourquoi non, mon ex-chérie ? Comme disent les avocats, j’ai pris avis sur ce point. Et voici ce qu’on m’a dit : puisque ce don fut fait en considération de notre projet de mariage, ce n’est pas moralement mais bien légalement que tu es tenue de me les restituer. Car ce ne fut pas un don « gratuit ». Cela constituait ma part d’un échange dont je n’ai pas eu la contrepartie : à savoir ton agréable personne. Il te faut donc restituer. A moins que tu n’aies encore changé d’idée et que tu sois à présent prête à m’épouser ?
Elle ne me cacha pas ni où ni comment je pouvais m’attendre à l’épouser.
Miles intervint d’un ton las.
— Tu ne fais qu’envenimer les choses, Belle. Ne comprends-tu pas qu’il essaye de nous faire sortir de nos gonds ? Si c’est ce que tu espérais, Dan, il ne te reste qu’à partir. J’admets que si les circonstances étaient telles que tu viens de le dire, tu aurais un argument valable. Mais elles ne le sont pas. Tu as remis ce lot d’actions contre valeur encaissée.
— Hein ? Quelle valeur ? Où est le reçu ?
— Le reçu n’est pas nécessaire. Ce fut un don pour services rendus à la compagnie. Services dépassant son emploi.
Je demeurai bouche bée.
— Quelle merveilleuse théorie ! Voyons, mon vieux, si c’était pour services rendus à la compagnie et non à moi personnellement, tu aurais été au courant et il eût été normal que tu lui donnes le même montant, car enfin, nous partagions les bénéfices par moitié, cela malgré le fait que je détenais, ou croyais détenir la majorité. Ne me dis pas que tu as donné à notre chère amie un lot d’actions d’égale valeur ?
Je les vis échanger un regard, et fus envahi d’une folle certitude.
— Peut-être, en effet, l’as-tu fait ! Je parie que le cher trésor t’en a persuadé. Sans cela, elle n’aurait pas marché dans cette combine. Si oui, tu peux parier qu’elle a aussitôt fait dûment enregistrer le transfert. Les dates prouveront que moi, je lui ai fait ce don le jour même de nos fiançailles. Elles furent annoncées dans le Desert Herald, alors que toi, tu lui as remis ton lot au moment où vous m’avez glissé une peau de banane sous le talon pour me faire tomber. Tout cela sera évident. Peut-être bien qu’un juge me croira finalement… Qu’en dis-tu, Miles ?
Je leur en avais fichu un sale coup. Oui, un sale coup ! En observant la façon dont ils pâlissaient, je sus que je venais de toucher au point faible, de découvrir le seul et unique fait qu’ils ne pourraient expliquer, celui que je n’étais pas censé connaître. Je les pressai donc en faisant une supposition téméraire. Téméraire ? Non, logique.
— Quel est le montant du lot, Belle ? Le même que celui que tu as obtenu de moi lors de nos « fiançailles » ? Tu as fait davantage pour lui, tu devrais avoir touché plus.
Je me tus brusquement.
— Dites donc, il m’avait bien semblé bizarre que Belle fût venue jusqu’ici rien que pour me parler, étant donné qu’elle a ce trajet en horreur. Peut-être n’as-tu pas eu à le faire, ce trajet ? Peut-être étais-tu déjà sur place ? Avez-vous une liaison, tous les deux ? Ou bien devrais-je dire : êtes-vous fiancés ? A moins que vous ne soyez déjà mariés ? (Je réfléchis un moment :) Oui, je parie que c’est ça ! Vous êtes mariés ! Miles n’est pas aussi innocent que moi ! Je parie ma deuxième chemise, Miles, que tu n’aurais jamais fait un don pareil simplement contre une promesse de mariage. Mais tu aurais pu le faire par contre comme cadeau de mariage – à condition de conserver le droit de vote impliqué par la possession de ces actions. Ne vous donnez pas la peine de me répondre. Dès demain je me mets à la recherche des faits précis. Je les trouverai dans les registres officiels.
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