Volyova sélectionna quelques armes secrètes parmi les plus anodines, à ce qu’elle supposait et espérait, du moins. Leur potentiel destructeur recouvrait celui de l’armement originel du vaisseau. Six armes sous tension annoncèrent qu’elles étaient parées par l’envoi, sur le voyant de son bracelet, d’icônes pulsatiles, morbides, représentant des crânes. Les engins de mort sortirent lentement de la chambre secrète en suivant le réseau de pistes, s’engagèrent dans la petite chambre de transfert et se positionnèrent de l’autre côté de la coque, se changeant, de fait, en vaisseaux spatiaux robotisés, monstrueusement surarmés. Les six armes ne se ressemblaient guère, si ce n’est par le design, commun à toutes les armes de classe infernale. Il y avait deux lance-missiles relativistes, qui présentaient une certaine similitude, comme s’il s’agissait de prototypes conçus par des équipes concurrentes qui auraient répondu au même cahier des charges. On aurait dit d’antiques obusiers howitzer avec leurs canons démesurés sur lesquels étaient greffés des protubérances tubulaires et des systèmes ancillaires évoquant des tumeurs malignes. Les quatre autres armes, plus effroyables les unes que les autres, se composaient d’un laser à rayon gamma (dix fois plus gros que les unités du vaisseau proprement dites), d’un rayon à super-symétrie, d’un blaster à répétition et d’un ensemble de déconfinement des quarks. Rien à voir avec les capacités destructrices de l’arme folle, qui aurait pu atomiser une planète, mais ce n’était quand même pas le genre de chose qu’on avait envie de voir braquer sur soi, ou sur la planète où on avait grandi. Et puis, se rappela Volyova, le but n’était pas d’infliger des dégâts arbitraires à Cerbère ou de l’anéantir ; juste de faire un trou dans la croûte, et cela exigeait un certain doigté.
Du doigté… c’était tout à fait ça.
— Maintenant, je voudrais une arme utilisable par un novice, dit Khouri, plantée devant le distributeur de l’armothèque. Mais pas un jouet quand même : il faut qu’elle ait vraiment un pouvoir dissuasif.
— À rayon ou à projectile, Madame ?
— Disons un rayon à faible portée. Nous ne voulons pas que notre Pascale fasse des trous dans la coque.
— Excellent choix, Madame ! Madame voudrait-elle se reposer les pieds pendant que je cherche une arme susceptible de satisfaire aux exigences de Madame ?
— Madame restera debout, si ça ne te fait rien.
Elle était servie par la persona de niveau gamma du distributeur, une tête holographique plutôt sinistre qui minaudait au niveau de sa poitrine, au-dessus d’un comptoir criblé de fentes. Au départ, elle avait limité son choix aux armes présentées dans les vitrines. De petites plaques lumineuses détaillaient leur pedigree : caractéristiques, ère d’origine et historique. C’était très pratique, et elle trouva très vite les armes légères dont elle avait besoin pour Volyova et elle-même. Elle choisit des pistolets à aiguilles électromagnétiques d’une conception similaire à ceux qu’elle utilisait pour le Jeu de l’Ombre.
Volyova avait aussi mentionné – ce qui n’avait laissé de l’inquiéter – un matériel plus lourd, mais Khouri n’avait pas trouvé tout à fait son affaire parmi les articles exposés. Il y avait un joli fusil à plasma à cycle rapide, muni d’un système de visée à alimentation neurale qui devait le rendre très précieux dans le combat rapproché. D’autant qu’il était léger. Elle le soupesa et sentit qu’elle l’avait bien en main. Il y avait aussi une chose dont l’étui protecteur exerça tout de suite sur elle une attraction presque obscène : une gaine de cuir noir et grenu, huilée au point qu’elle brillait comme un miroir, avec des découpes pour dégager les commandes, les voyants et les points d’attache. L’idéal. Maintenant, qu’allait-elle rapporter à Volyova ? Elle regarda les vitrines pendant cinq bonnes minutes, mais elle n’osait y consacrer plus de temps. Ce n’était pas le matériel étrange et énigmatique qui manquait, et pourtant rien ne correspondait exactement à ce qu’elle avait en tête.
Khouri s’était donc tournée vers la mémoire de l’armothèque, qui renfermait plus de quatre millions d’armes personnelles, couvrant douze siècles d’armement, des simples escopettes lance-projectile à mise à feu par étincelle aux plus épouvantables concentrations de technologie mortifère qui se puissent imaginer.
Encore ce vaste assortiment était-il restreint par rapport au potentiel total de l’armothèque, qui savait aussi faire preuve de créativité si nécessaire : elle pouvait faire le tri dans ses plans en fonction des critères requis et collationner les caractéristiques optimales des armes existantes afin d’en tirer quelque chose de nouveau et de très sophistiqué. Dont la synthétise prenait quelques minutes à peine.
Ce fut ce qui se passa pour le petit pistolet que Khouri avait imaginé pour Pascale : une fente s’ouvrit sur le dessus de la table et un petit plateau gainé de feutre apparut avec un bourdonnement, présentant l’arme ainsi fabriquée – éclatante de stérilité, encore toute chaude du ventre de la machine.
Khouri prit l’arme de Pascale, jeta un coup d’œil dans le canon, la soupesa pour en vérifier l’équilibrage et regarda le réglage du rayon, qui s’effectuait grâce à une mollette insérée dans la crosse.
— À votre service, Madame, dit le distributeur.
— Ce n’est pas pour moi, fit Khouri en planquant l’arme dans une poche.
Les propulseurs des six armes secrètes de Volyova se mirent à cracher, et les engins de mort s’éloignèrent rapidement du bâtiment, suivant une trajectoire complexe qui les amènerait à frapper le point d’impact selon un angle oblique. Pendant ce temps, la tête de pont réduisait la distance qui la séparait de la surface, en ralentissant toujours. La planète savait, à présent, qu’elle était approchée par un objet artificiel de vastes dimensions. Elle avait même reconnu que la chose en approche avait naguère été le Lorean , Volyova en aurait mis sa tête à couper. Elle était certaine qu’un débat avait lieu quelque part, dans les profondeurs de cette croûte grouillante de machines. Certains composants devaient arguer qu’il valait mieux riposter tout de suite, abattre la chose avant qu’elle ne pose un vrai problème. D’autres devaient plaider la circonspection, avancer que l’objet était encore loin de Cerbère, que toute attaque devrait être massive afin de l’anéantir avant qu’il n’ait le temps de répliquer, et qu’une telle démonstration de force risquait d’attirer l’attention. Et les systèmes pacifistes ajoutaient probablement que l’objet n’avait encore rien fait d’ostensiblement menaçant. Si ça se trouvait, il ne soupçonnait même pas que Cerbère était un monde artificiel. Il voulait peut-être simplement voir à quoi il ressemblait, après quoi il repartirait sans autre forme de procès.
Volyova ne voulait pas que les pacifistes gagnent. Elle voulait que les avocats d’une frappe massive, préventive, l’emportent, et tout de suite, sans perdre une minute. Elle voulait voir Cerbère se déchaîner et annihiler la tête de pont. Ça mettrait fin à leur problème et ils ne seraient pas plus mal partis que maintenant. Après tout, la même chose était arrivée aux sondes de Sylveste. Le fait de provoquer la réaction de Cerbère ne constituait pas forcément l’interférence que la Demoiselle cherchait à éviter. Au fond, personne ne serait entré dans cet endroit ; ils pourraient admettre leur défaite et rentrer chez eux.
Sauf que rien de tout ça n’arriverait.
— Les armes secrètes, Ilia, dit Sajaki avec un mouvement de menton en direction du synoptique. Tu prévois de les armer et de faire feu d’ici ?
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