— Enlève-le-lui, triumvir, avant que ça ne fasse trop de saletés. Je suis sûre que tu vas y arriver.
Hegazi leva l’une de ses mains d’acier et l’inspecta comme pour s’assurer qu’elle n’était plus de chair et d’os.
— Non ! hurla Sajaki. Enlevez-moi ça !
Hegazi approcha son siège de celui de son collègue et se mit à la tâche. L’opération semblait encore plus douloureuse que la constriction proprement dite.
Sylveste ne disait rien.
Lorsque Hegazi eut détaché le bracelet, ses mains d’acier étaient couvertes de sang humain. Il lâcha les débris du bracelet, qui s’écrasèrent vingt mètres plus bas, sur le sol de la salle.
Sajaki regarda avec révulsion, en gémissant toujours, les dégâts que le bracelet avait causés à son poignet. C’était affreux. Sa main ne s’était pas détachée, mais les os et les tendons étaient à nu et le sang jaillissait par spasmes, formant une corde écarlate qui le reliait au sol, tout en bas. Pour réprimer l’hémorragie, il pressa son membre blessé sur son ventre. Il cessa enfin de geindre, tourna son visage livide vers Volyova et dit :
— Tu me le paieras. Ça, je te le jure.
C’est alors que Khouri arriva sur la passerelle et se mit à tirer.
Elle avait un plan en tête avant de mettre les pieds sur la passerelle. Pas très détaillé, mais un plan quand même. Et puis elle avait vu le geyser de ce qui était manifestement du sang, alors elle avait décidé de couper aux vérifications de dernière minute et commencé à tirer en l’air afin d’attirer l’attention de l’assistance.
Ce qui n’avait pas pris longtemps.
Elle avait opté pour le fusil à plasma, réglé à la puissance minimale, le mode tir en rafale neutralisé, de sorte qu’elle devait presser la détente à chaque giclée. La première ouvrit un cratère d’un mètre de diamètre dans le plafond, provoquant une pluie de gravats carbonisés. Lasse de tirer toujours dans le même trou, elle visa un peu plus à gauche, puis à droite. Un bout de faux plafond calciné s’écrasa sur la sphère synoptique. L’image clignota, se déforma et retrouva sa stabilité au bout de quelques secondes. Jugeant qu’on avait dû suffisamment remarquer sa présence, elle remit le cran de sûreté et renvoya son arme par-dessus son épaule. Volyova, qui avait manifestement anticipé la manœuvre, se propulsa vers Khouri. Quand elle ne fut plus qu’à cinq mètres d’elle, Khouri lui lança l’une des armes légères : le pistolet à aiguilles électromagnétiques qu’elle avait trouvé dans l’armothèque.
— Passez ça à Pascale ! s’exclama-t-elle en lui envoyant le blaster à faible portée.
Volyova rattrapa les deux armes au vol et en donna aussitôt une à Pascale.
Khouri, qui avait maintenant assimilé la situation, constata que la pluie de sang émanait de Sajaki. L’hémorragie avait cessé, mais il avait l’air mal en point. Il serrait son bras contre lui comme s’il se l’était cassé, ou comme s’il avait pris une balle.
— Ilia, dit Khouri d’un ton de reproche, vous avez commencé la fête sans moi. Je suis déçue.
— La pression des événements, vous savez ce que c’est…
Khouri regarda l’afficheur en essayant de comprendre ce qui s’était passé à l’extérieur du vaisseau.
— Les armes n’ont pas tiré ?
— Non. Je ne leur en ai pas donné l’ordre.
— Et maintenant, elle ne peut plus, commenta Sylveste. Hegazi vient de détruire son bracelet.
— Ça veut dire qu’il est de notre côté ?
— Non, répondit Volyova. C’est juste qu’il ne supporte pas la vue du sang. Pas celui de Sajaki, du moins.
— Il a besoin de soins, intervint Pascale. Pour l’amour du ciel, vous ne pouvez pas le laisser se vider de son sang comme ça !
— Il ne se videra pas de son sang, répondit Volyova. Ça se voit moins, mais c’est un chimérique, comme Hegazi. Les droggs qu’il a dans les veines ont déjà entrepris la réparation cellulaire à un rythme accéléré. Même si le bracelet lui avait sectionné la main, il s’en serait fait pousser une autre. Pas vrai, Sajaki ?
Il leva sur elle un regard accablé et elle se dit qu’il aurait eu du mal à se faire pousser un nouvel ongle ; alors, une nouvelle main… Mais il finit par hocher la tête.
— On pourrait m’aider à aller à l’infirmerie ? Mes droggs n’ont rien de magique ; elles ont leurs limites. Et mes capteurs de douleur sont actifs et marchent à fond, croyez-moi.
— Il a raison, dit Hegazi. Il ne faut pas surestimer les capacités des droggs. Tu veux qu’il crève, ou quoi ? Tu ferais mieux de te décider en vitesse. Je peux l’emmener à l’infirmerie ?
— Et t’arrêter à l’armothèque en cours de route pour faire ton petit shopping ? fit Volyova en secouant la tête. Non merci, pas question.
— J’y vais, proposa Sylveste. Je vais l’emmener. Vous m’avez fait confiance jusque-là, non ?
— Pas plus que ça, svinoï, rétorqua Volyova. D’un autre côté, vous ne sauriez pas quoi faire à l’armothèque, même si vous y arriviez… Et Sajaki n’est pas en état de vous donner des conseils exploitables.
— Ça veut dire oui ?
— Grouillez-vous, Dan. Si vous n’êtes pas revenu d’ici dix minutes, j’envoie Khouri vous chercher.
Ordre que Volyova souligna en braquant son lance-aiguilles sur lui, le doigt crispé sur la détente.
Une minute plus tard, les deux hommes étaient partis, Sajaki lourdement appuyé sur Sylveste. Il n’aurait probablement pas pu marcher sans son aide. Khouri se demanda si Sajaki serait encore conscient en arrivant à l’infirmerie. Et elle s’aperçut que ça lui était à peu près égal.
— À propos de l’armothèque, dit-elle, ne vous en faites pas : personne ne l’utilisera plus. Je l’ai réduite en mille morceaux après en avoir obtenu ce que je voulais.
Volyova rumina l’information et hocha la tête d’un air appréciateur.
— Excellent raisonnement tactique, Khouri.
— La tactique n’a rien à voir là-dedans. C’était la persona qui tenait la cambuse. Je ne sais pas pourquoi, j’ai eu envie d’allumer cette bâtarde et j’ai défouraillé dedans.
— Ça veut dire que nous avons gagné ? demanda Pascale. Ce que nous avions décidé de faire a marché, c’est ça ?
— Apparemment, répondit Khouri. Sajaki est hors de combat, je doute que notre ami Hegazi décide de s’attirer des ennuis, et on dirait que votre mari ne mettra pas à exécution sa menace de nous tuer s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait.
— Comme c’est décevant, fit Hegazi.
— Je vous l’avais dit, reprit Pascale. Il bluffe depuis le début. Alors, ça y est ? On peut encore rappeler ces armes, non ?
Elle interrogea du regard Volyova qui hocha aussitôt la tête.
— Évidemment. Vous me croyiez assez bête pour ne pas prendre un bracelet de rechange ?
Elle tira, d’une poche intérieure de son blouson, un nouveau bracelet qu’elle passa à son poignet comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
— Voyons, Ilia ! Je n’en attendais pas moins de vous, commenta Khouri.
Volyova porta le bracelet à sa bouche et prononça une séquence d’ordres conçus pour shunter divers niveaux de sécurité. On aurait dit un mantra. Pour finir, quand tous les regards furent braqués sur la sphère synoptique, elle ordonna :
— Retour de toutes les armes secrètes au vaisseau. Je répète : retour de toutes les armes secrètes au vaisseau.
Mais il ne se passa rien ; même après le délai de quelques secondes imposé par la transmission à la vitesse de la lumière. Ou plutôt, les icônes représentant les armes secrètes passèrent du noir au rouge et se mirent à clignoter avec une résolution malsaine, très inquiétante.
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