Ayant dit, il débouche une bouteille de beaujolais que vient de lui offrir un commercenaire, transfuge de la glorieuse maison Nicolas.
— Ah, t’es là, se réjouit Marie-Marie. Je commençais à me perler, avec m’n onc’ qui reprend sa folie des grandeurs. Tu crois que ça lui vient de l’âge, ce besoin d’être président ? En France y causait que de ça. Voulait z’être président de son clube de pêche, mais on l’a lessivé. Alors y se venge ici.
Elle hausse ses petites épaules déjà accablées par sa connaissance de l’humain.
— Tu sais que l’Anabelle est vivante ! révèle le Moustique. Figure-toi qu’elle ressemble à une furie. Elle farfouille partout dans les encombres en disant comme quoi elle veut trouver les diamants ! Qu’elle finira de démolir la résidence au besoin, mais qu’elle les aura.
J’opine. Chapeau pour l’énergie de l’indomptable Mélodie.
— Qu’elle cherche ! fais-je. Il est bon d’avoir un objectif dans la vie. C’est la meilleure chose qui puisse arriver aux hommes.
Épuisé, je m’assois sur le sol, près du transat où César Pinaud continue de dormir scientifiquement.
La petite s’accroupit également et pose sa tête contre ma jambe.
— Je veux pas rester ici, dit-elle. Si m’n onc’ est président j’attendrai pas la fin de son chèque postal.
— Quel chèque postal ?
— Je voulais dire, d’ son mandat. Vous pourriez pas me prendre chez vous pendant c’temps-là, ta m’man et toi ? J’fais bien la vaisselle, tu sais. Et aussi les omelettes baveuses, les frites ; la sauce à salade… J’irais à la communale de Saint-Cloud et puis, après mes devoirs, je bêcherais vot’ jardin. Quand j’vivais av’c Mémé, c’était moi que je binais, étant donné ses rhumatisses, à c’t’ pauv’ vieille.
Je caresse ses cheveux flous qui sentent bon l’enfance.
— Pourquoi pas, Moustique…
— On se plairait, ensemble, assure-t-elle. J’ai pas le caractère facile, c’est vrai. Mais quand j’m’surveille j’sus pas plus chiante qu’un’autre. En plus, j’ai une précocité d’pensée assez rare pour une gosse de m’n âge. Av’c moi v’s avez un’ interlocutrice valabe, capable de discuter de tout. De t’aider même au b’soin pour tes enquêtes dont au sujet desquelles d’être un homme t’empêche de psychologer conv’nab’ment quéqu’fois.
Son assurance empreinte de gravité me donne une idée.
– À propos de psychologie féminine, Marie-Marie, tu vas m’aider tout de suite.
— C’est parti, mon kiki, y s’agit de quoi t’est-ce que ?
Je me concentre pour énoncer clairement mon problème.
— La belle Kelmijoré revient d’Europe avec certains documents auxquels elle veut trouver une cachette sûre. Il faut qu’elle puisse les récupérer à tout bout de champ et à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Or, elle considère que cette résidence n’offre pas toutes les garanties de sécurité souhaitables… Tu me suis ?
— Vérivouel ! assure la mômasse.
— Compte tenu de ce que ce pays est primitif, instable, dépourvu d’établissements spécialisés dans la garde d’objets ou de papiers précieux, comment résoudrait-elle ce problème, selon toi ?
Marie-Marie cueille un brin d’herbe sec pour jouer avec un scarabée d’or.
— Y a pas de question, déclare-t-elle, elle s’ séparerait pas des trucs que tu causes, Santonio.
— Idiot, soupiré-je. Elle ne peut garder sans cesse ces documents avec elle. Tiens, pendant qu’elle se baigne, par exemple…
Elle est gentille, Marie-Marie, délurée, certes, vachement avancée pour son âge, effectivement. Nonobstant cela, elle reste une enfant. Et on ne peut pas fonder une opération d’analyse psychologique sur une enfant : à preuve !
— Idiot toi-même, hé, pelure ! s’enrogne la gosse. Av’c tes airs supérieurs, t’as bonne mine ! Ton brevet d’ commissaire, tu l’as racheté comme un’ licence de taxi, ou quoi ? C’est tout de suite les piétreries du genre : « et quand è s’ baigne ! » Tu crois donc qu’ tout le monde a la cervelle qui prend l’ jour. C’te Mijorée, mon grand, toute bougnoule qu’elle soye, è t’aurait revendu d’ l’intelligence à la botte, avant son accident.
Marie-Marie cesse de tracasser le scarabée pour s’agenouiller face à moi. La voici qui glisse sa main à l’intérieur de sa combinaison et qui fouille la poche interne du vêtement. Elle en ramène une petite poche de plastique étanche, grande comme la moitié d’une carte postale, et roulée menue.
— Tiens, Duglandoche, rouscaille Miss-Tresses en jetant l’objet entre mes jambes, l’v’là c’que tu cherches !
Hagard, je cramponne la pochette. À travers sa peau glacée, je devine un petit objet rigide, flanqué d’un papelard plié. J’ouvre les lèvres adhérentes et je découvre une minuscule clé chromée portant gravé sur son anneau le numéro 22. Le papier est une procuration en blanc, signée de Kelmijoré et contresignée par le fondé de pouvoir de la Banque internationale-nationale, Agence de Vevey.
Comme à Fatima, le soleil se met à gambader dans le ciel chauffé à blanc ! Des papillons brésiliens chancellent devant mes yeux surmenés partant de prodiges.
— Ou as-tu trouvé ça, moustique ?
Le mépris qui étincelait dans son regard s’éteint lentement pour faire place à la pitié.
— SUR ELLE, précisément, mon pauv’ homme !
— Quand ça ?
— Après sa chute !
— Mais…
— Ouais ?
— Elle était en maillot…
— J’ l’ai pas dégauchi dans le maillot, hé, pomme à l’eau ! Mais dans son chignon. T’as seul’ment remarqué comment elle les entortillait, ses beaux cheveux noirs ? Ce truc se trouvait au milieu des tifs, tenu par des petites agrafes. El’ pouvait se baigner, dormir, faire du sport avec, les gens n’y voyaient qu’ du feu ! Quand elle est venue valdinguer sur les coussins, j’y ai palpé la tronche pour voir si elle se serait cassé la cafetière. C’est en faisant ce dont en question qu’ j’ai senti la poche de plastique. Je m’en ai approprié à tout hasard…
— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?
Elle rougit, ses yeux deviennent pointus comme des clous de tapissier.
— Tu m’en as laissé l’ temps, dis, Bois-scoute ! À peine redescendu de ton ascension, tu l’emportais à l’hosto, parce que toi, Santonio, ton drame, c’est que chaque fois qu’ t’as l’occasion de prendre une jolie fille dans tes bras, tu préfér’rais te laisser déguiser en chair à saucisse plutôt que d’y renoncer. Franchement, tu n’ serais pas le mauvais bougre, mais c’ que t’as, c’est qu’ t’as pas de pudeur !
DIVISION DOUZE [77] Histoire de faire un compte rond.
Le Gros est sublime dans son habit noir.
(Il a dû abandonner l’uniforme de Flambeau, meurtri par les derniers événements.)
Il tient dans la main droite une balayette de chiottes en caoutchouc dont on a décoré le manche avec un ruban de velours bleu.
Toute l’armée est là, sur l’esplanade des Seins Valides, ex-place du marché aux esclaves de Kikadissa, rangée en ordre de parade. Elle rutile, ne se composant que d’officiers supérieurs.
— Ouvrez l’ banc ! mugit un lieutenant-colonel.
Pour lors, un gros capitaine armé d’une cognée de bûcheron s’approche d’un banc de bois provenant de surplus français cédés au Kuwa contre des diamants bruts et, d’un seul coup, d’un seul, le fend en deux.
Béru descend de l’estrade où il trônait et s’approche de son camarade Nhé, figé en un garde-à-vous presque britannique à l’avant des troupes.
— Mon vieux Nhé, déclare le Mahousse avec une emphase nouvelle.
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