— Qui n’était autre que l’ambassade de Pleurésie à Berne.
— Ce que j’ai cru comprendre, avoue ma brave femme de mère.
Je murmure dans mon absence de barbe :
— Elle est en berne, l’ambassade de Berne, en ce moment.
M’man sourcille :
— Curieux que tu me dises ça !
— Pourquoi ?
— Parce qu’en effet tout est en effervescence, là-bas.
Je commence à piger pourquoi on a libéré Félicie. C’est à cause de l’enquête sur la disparition de l’Excellence. Les bandits se sont dit que ça la ficherait mal si la police helvétique, à qui on ne fait pas prendre l’Helvétie pour des lanternes (vous la connaissiez, celle-là, mais je vous la ressors pour vous apprendre à avoir des trombines aussi affligeantes) si la police suisse, ne disais-je pas, met son blaze dans l’établissement pleurésien, ce serait mauvais qu’elle y trouvât une dame séquestrée.
— Alors Ils t’ont relâchée ?
— Oui. Ils m’ont dit : votre fils est à tel hôtel, qui vous attend, allez le rejoindre et remettez-lui…
M’man pousse un cri et porte la main à son corsage.
— Oh ! oui, j’oubliais, quelle tête en l’air !
« Ils m’ont chargée de te remettre ce pli.
Je décachète presto et je lis ces lignes, tapées sur la même machine que la bafouille de la noye :
« Nous avons fait le premier pas ; faites le second en nous remettant ce que vous savez. Sinon nous ferons le troisième et ce troisième pas pourrait conduire la police jusqu’à un certain cimetière pour chiens. Rendez-vous à quatorze heures fosse aux ours. »
Les vaches ! Ils nous ont filés, cette nuit, après l’histoire du parc. Ils ont tout pigé.
Sans doute, quand ils ont apporté le message à l’hôtel nous ont-ils aperçus et emboîté le pneu.
Maintenant ils sont au parfum. S’ils me balancent aux matuches bernois, c’en est fait de moi, de ma liberté et de mon standinge.
Le croque-mort pour toutous fournira le plus accablant des témoignages et on me cloquera le meurtre de l’ambassadeur sur les endosses !
Misère et putréfaction !
— Ça ne va pas ? demande ingénument Félicie.
J’avale ma trouille.
— Très bien, m’man, puisque t’es là.
Là-dessus, entrée de Bérurier. Il tient le journal de midi à la main.
Il avise Félicie et, distraitement, lance un jovial :
— Tiens ! Mâme Félicie. Comment allez-vous ?
Puis il réalise, comme dans un film de Laurel et Hardy, et s’écroule sur la carpette en bredouillant.
— Ah ! ben ça ! Ah ! ben nom d’une crotte arabe, si je pige quelque chose !
Et enfin, béant d’admiration pour son chef bien-aimé, le célèbre San-Antonio :
— Tu l’as retrouvée, gars !
— Tu vois, mens-je, manière de consolider mon prestige.
Je lui chope le baveux des pognes et je lis la manchette :
« Mystérieuse disparition de l’ambassadeur de Pleurésie. »
L’article est long, circonstancié et antidérapant.
Il y est dit qu’après la fiesta à l’ambassade, Son Excellence est rentrée dans ses appartements et s’est mise en tenue d’intérieur. Puis elle est allée faire une virouze dans le parc. Sa secrétaire qui se trouvait (tu parles, Charles) dans sa chambre, l’a vu disparaître en direction du petit pavillon situé à l’autre bout de la propriété ; pavillon où, affirme le reporter, Tulacomak aimait à se recueillir parfois.
Il appelait ça se recueillir, l’ambassadeur. Moi je veux bien. Pour bibi alors, c’est plus du recueillement, c’est de la méditation, de la contemplation !
« Au bout d’un instant, nous a déclaré la secrétaire, j’ai entendu un grand cri. J’ai aussitôt donné l’alarme… »
On a retrouvé la porte du jardin mal fermée. On pense que quelqu’un aurait séjourné dans le petit pavillon. Un verre avec de l’alcool s’y trouvait, etc.
Je jette le baveux.
— Ces gens me tiennent. Mon astuce pour faire disparaître à tout jamais le cadavre de Tulacomak se retourne diaboliquement contre moi. Avec ça, ils n’ont plus besoin d’otage !
— Et si qu’on allait bouffer ? suggère Béru qui voit pas d’autres moyens pour fêter le retour de ma mère.
— Allons-y.
Car, effectivement, il vaut mieux avoir le garde-manger garni lorsqu’on a de grosses difficultés à affronter !
— J’sus t’allé faire un tour z’en ville, déclare Béru. Et j’ai repéré une chouette restau sous les arcanes. Au menu, j’ai vu « fondue bourguignonne », moi que je connais la Bourgogne du côté de ma femme, j’sais pas ce que c’est. Tu le sais, toi ?
Et de se pourlécher les limaces.
Les habitants de Liège ne savent pas ce que c’est qu’un café liégeois, ceux de Londres ignorent ce qu’est une capote, les Suisses ne savent pas ce que nous entendons par boire en Suisse, philosophé-je.
Je chope Félicie par une aile.
J’ai quatre-vingt-dix minutes de répit. Quatre-vingt-dix minutes de bonheur, ça compte, non ?
C’est en sortant du restaurant pour me rendre au rancard de la fosse aux ours que me vient l’IDEE. Et si elle me vient, cette fameuse idée, c’est grâce au magasin qui se jouxte le restaurant. Dans la vitrine dudit commerce est exposé quelque chose dont je me hâte de faire l’emplette.
Tout ce mystère pour vous faire languir, bande de déplumés ! Vous ne voudriez pas que je vous mette au parfum de mes moindres gestes et décisions, tout de même !
Ma parole, ils trouveraient cela normal, ces amoindris ! Des clous !
Je prends la voiture après avoir recommandé à un Bérurier lesté de deux bouteilles de Fandan de prendre soin de ma Félicie.
La distance n’est pas longue jusqu’à la fosse aux ours. Je traverse l’Aar, après avoir longé la merveilleuse rue aux Fontaines, puis je remonte la route jusqu’à ce terre-plein où se trouve la fosse.
Au fond du trou, deux braves ours bruns mangent des carottes lancées par des touristes. Parfois ils cessent de grignoter leurs végétaux pour se faire des blagues ou pour se distraire un brin en regardant les touristes. C’est de la bonne occupation. Il y a des jours où j’aimerais bien être ours brun ou blanc, éléphant, zèbre, girafe ou ouistiti pour pouvoir contempler les hommes à travers des barreaux. Quel spectacle édifiant ! Quelle multiplicité !
Ces gros, ces longs, ces petits, ces maigres, ces chevelus, ces chauves, ces variqueux, ces bedonnants, ces redondants, ces avantageux, ces hypertrophiés, ces mal-foutus, ces rougeauds, ces pâlots, ces ballots, ces falots, ces badauds ! Quelle ménagerie inouïe ! Comme ils doivent vous consoler de n’être qu’un frère inférieur ; de n’avoir droit ni aux bulletins de vote ni à la vie éternelle ; de vivre à poils, ou à plumes, de calcer sa bergère quand l’envie vous en prend, sans avoir à fermer les volets et à se mettre aux abonnés absents.
Je m’accoude à la barrière de fer, entre un pasteur et une petite fille blonde. Et j’attends.
Deux coups espacés annoncent quatorze heures à une horloge paresseuse. Une main se pose délicatement sur mon épaule. Je me retourne.
Nathalia est encore plus sensass que cette nuit dans son tailleur bleu marine. Elle a des bas clairs, des souliers fauves avec un sac à main assorti et un clip en forme de cœur sur la poitrine. Ses cheveux d’or brillent au soleil. Son rouge à lèvres est mauve, son sourire aussi par la même occasion.
— J’en étais sûr, lui dis-je.
Elle gazouille :
— Bonjour, monsieur le commissaire.
D’un commun accord, nous quittons les plantigrades pour nous isoler.
Elle sent la violette, Nathalia, comme Marie-Antoinette. Seulement elle, elle ne perd pas la tête !
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