Il traverse à mes côtés le grand salon lambrissé où somnolent des portraits à l’huile de gens qui firent leur beurre.
Une fois hors de la succursale bernoise des Établissements Combiencégrand-Combiencébot, Siège Social rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris, le gravos me demande :
— Qu’est-ce que tu comptes faire, Tonio ?
Je lui téléphone un regard à jet rotatif, avec prise d’air par la culasse et double allumage.
— Je compte accomplir un tour de force unique dans les annales policières, Béru. Je compte réussir un exploit qui me vaudra mon nom en lettres d’or dans le marbre de la mémoire nationale.
— Mais quoi ? croasse l’obèse !
— Je vais oser ce que nul être humain avant moi n’avait envisagé. Je vais tenter le plus impossible de tous les impossibles. Je vais te faire prendre un bain, mon brave, mon bon, mon cher, mon ignoble Bérurier, et qui pis est, je vais essayer de te faire porter un habit !
Il y a des êtres qui vous causent un choc. Des êtres qui forcent le respect et l’admiration. Des êtres qui vous donnent une sorte de prolongement humain. Je suppose que lorsqu’on regarde peindre Picasso, toréer El Cordobes ou lorsqu’on entend M. Von Braun démontrer que contrairement à ce qu’on s’imaginait, le carré de l’hypoténuse n’est pas égal à la somme des carrés des deux autres côtés dans le triangle rectangle ; oui, je suppose que devant ces spectacles, notre derme se hérisse de granulations, notre glotte joue au yo-yo et nos stabilisateurs biconvexes se fripent comme la jupe d’une bergère un dimanche après vêpres. Mais ces réactions dermiques ou vaso-vasculaires ne sont que de la gnognote en branche, à côté de celles que vous provoque la vue de Bérurier en habit !
L’un des obstacles majeurs, c’était la question du fripier. Je pensais qu’aucun futal de location ne pouvait recevoir la brioche du Gros. Et puis le miracle s’est accompli. Le loueur de fringues avait dans ses réserves un habit ayant appartenu à l’Aga Khan (un valet de chambre indélicat l’avait fourgué pour une bouchée de pain complet !).
Dire qu’il lui va comme un gant serait mettre en cause toute la ganterie internationale, en tout cas, je suis obligé de reconnaître que cet habit n’a pas trop l’air dépaysé sur les rondeurs du Mahousse.
Devant la glace de son armoire, à la chambre de l’hôtel Lijumot où nous sommes descendus, Béru prend des poses, étudie des mines et met au point un comportement d’homme du monde qui sent son diplomate d’une lieue.
— Tu trouves pas que mon revolver fait un peu négligé ? s’inquiète-t-il en pressant de sa dextre puissante le côté gauche de l’habit.
Il essaie de le carrer dans le pantalon, mais la crosse dépasse et quand il lève les bras, devient apparente.
— Laisse-le au vestiaire, suggéré-je.
Il hausse les épaules. Pas trop cependant, car elles risqueraient de faire craquer les entournures du vêtement.
— Je ressemble à un mylord, assure mon copain, en coulant sa pogne d’assommeur de bétail dans sa poche avec une grâce effectivement très britannique.
Il s’étudie un instant ; fait sauter une croûte de jaune d’œuf qui lui souille la lèvre supérieure et déclare en s’extirpant un poil du nez :
— Je donnerais de l’air au duc d’Édimbourg que ça m’étonnerait pas, non ? L’embonpoint en plus, la taille en moins, la chevelure mise à part et le regard noir au lieu de bleu, c’est même plutôt ça !
— Toi, c’est le duc Dédain-Bourre, souris-je.
Il ne peut évidemment pas comprendre cette saillie, celle-ci n’ayant de sel (comme dirait Cérébos) qu’écrite et encore [5] Note de l’éditeur qui n’était pas dans un bon jour.
.
Je profite de la glace pour m’octroyer un petit coup de périscope, vite fait, au percolateur. Je ne sais pas si Béru a l’air d’un mylord, en tout cas, ma modestie mise soigneusement de côté afin que je puisse la récupérer en cas de besoin, je peux vous garantir que votre San-Antonio chéri, lui, n’a pas l’air d’un pot de saindoux, loqué de cette façon. L’habit qui fait le moine fait aussi le diplomate, à condition natürlich qu’il ne s’agisse pas du même !
Avec le mien, je représente la France comme pas un commis-voyageur n’a su représenter les aspirateurs Machin. Y aura du dégât dans la volière, section perruches, dans un instant.
— Tu y es, Sac-à-lard ?
Le Gros se verse un grand coup de rouge (du Bordeaux, pour le soir c’est moins lourd), se torche les lèvres au moyen de sa manchette amidonnée et dit en vérifiant l’étanchéité de sa braguette :
— Paré, mec ! On peut se présenter dans le monde !
Franchement, le beau linge ne manque pas à l’ambassade de Pleurésie. Les chignoles qui s’arrêtent devant le perron éclairé à Jean Giono sont toutes plus chromées les unes que les autres. Certaines comportent une salle de bains et la télévision, d’autres un jardin d’hiver et d’autres encore une piste de danse rétractable avec éclairage au néon. C’est vous dire !
Nous descendons, le Gros et moi, d’une voiture de louage pilotée par un chauffeur en tenue.
— Et si je te disais que j’su t’ému ? me bredouille l’Enflure au moment où nous atteignons le hall décoré de plantes vertes.
Un larbin saisit mon carton. Il ligote le texte et clame d’une voix de grand store :
— Messieurs les représentants de Son Excellence l’Ambassadeur de France.
Petit ballet des représentants effectuant leur entrée dans un salon grand comme l’aéroport d’Orly. En ce moment, un orchestre de chambre (fourvoyé au salon) joue une chanson de Sinatra ravissante : « Tu seras dans mes bras mardi prochain à dix heures précises à condition que nos montres n’aient pas de retard ». It is le titre. C’est langoureux, beau, suave et ça vous parcourt la viande comme du poil à gratter.
Un petit homme blond, au visage rosé, au regard plus pointu que la pointe d’un pyrograveur, l’habit barré du grand cordon ombilical de la République pleurésienne [6] Ordre fondé par Ombilici 1 er en 1657 (à cette époque la Pleurésie était une royauté) pour récompenser Fari Nedelin qui inventa le cataplasme.
s’avance vers nous. C’est Tulacomak, l’ambassadeur. Il nous tend la main, s’incline. Un pète-sec-pas-commode, le frangin.
Il nous dit qu’il est ravi, ce que sa bouille de constipé à vie dément formellement et, en pressant les francforts du Gros, il marque un temps de surprise.
Je lui susurre que Son Excellence est navrée, mais qu’une crise d’entérite libidineuse l’oblige de garder la chambre comme s’il était factionnaire devant le Palais Bourbon.
Ayant sacrifié aux usages, le Gros et moi-même plongeons dans la populace. Des robes décolletées jusqu’au bassin aquitain, des perlouzes, des diams, des clips qui éclipsent la lumière des lustres… Vous mordez le topo ?
Le Gros n’en revient pas.
— C’est plus bath qu’au banquet des anciens de la police, me dit-il. À l’époque z’ancienne où j’étais en uniforme, je me souviens avoir été de service au bal des « Fabricants de cochons en pain d’épice » où ce que frayait toute la haute société, mais je dois admettre que ça n’avait pas c’t’allure, mon pote !
Il repère le buffet et, à partir de cet instant, je ne puis le retenir.
Je le laisse devant la mangeaille et, mine de rien, je décide de repérer les lieux.
Dans ces cas-là, la meilleure façon de tout reluquer sans attirer l’attention, c’est de danser. Je repère les nanas alignées devant la tapisserie d’Aubusson et je m’approche d’une jeune frangine belle à faire décéder miss Univers, blonde comme les blés de Pologne et tellement angélique qu’à côté d’elle la Supérieure du couvent voisin aurait l’air d’une Marie-couche-toi-là !
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