Frédéric Dard - De « A » jusqu’à « Z »

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De « A » jusqu’à « Z »: краткое содержание, описание и аннотация

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Mes funérailles étaient prévues pour dix heures, mais dès neuf heures, la maison était déjà pleine de gens. Tout le monde pleurait, ce qui me touchait beaucoup. Sur les faire-part on avait précisé « ni fleurs ni couronnes », histoire de ne pas mettre les copains dans les frais, mais, nonobstant cette recommandation, la plupart des assistants s'annonçaient avec des gerbes, des couronnes, des coussins d'œillets, des croix en roses et autres joyeux présents. Oui, il faut vraiment mourir pour mesurer le degré de sa popularité. J'en étais tout ému. Mais quand j'ai vu radiner le Gros, beau comme une pissotière repeinte, dans un complet noir, avec une chemise vraiment (et très provisoirement) blanche, soutenu par Alfred le coiffeur, mon cœur m'est remonté dans le gosier.

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Il est beau, Béru. Toujours le bitos sur la tête… Ses derniers boutons de pantalon déclarent forfait les uns after les autres. Quand il s’arrête, il fait quelques pas en arrière et s’écroule dans le fauteuil que je lui avance. Les jambes allongées, le buste au dossier, la tête renversée, il laisse ses braves poumons se repaître d’oxygène. De sa poitrine sort un bruit rappelant la chambre des machines du Liberté. La noblesse du maintien nous impressionne. À tel point que nous en oublions de nous pencher sur M. Casati. Car ce tas informe qui gît le long du mur, c’est le ci-devant virtuose du fusil à lunette.

— On pourrait lui foutre un peu d’eau sur la g… ? propose Mathias, à qui sa chevelure couleur d’incendie donne des instincts d’extincteur.

Et d’aller puiser de l’eau fraîche dans les lavabos. On asperge le steak tartare servant de physionomie au tueur. Chose étrange, il n’a plus de boutons sur la frite.

L’eau s’avérant inopérante, quelqu’un lui fait biberonner un coup de rhum. Au bout de cinq minutes, il rouvre ce qu’il peut d’yeux. On attend des réactions de sa part.

— Oh ! la vache, balbutie-t-il. Oh ! la vache !

On le réconforte.

— Il a repris connaissance ? demande Béru d’une voix déjà moins essoufflée.

— Oui.

— Bon, alors je vais le continuer.

— À force de le continuer, tu vas le finir, objecté-je. J’ai besoin de bavarder avec lui auparavant, ne l’oublie pas.

— Dommage, rouscaille le Mastar. Je commençais juste à me roder. T’as tort, San-A. Quand on tient la forme, faut pas se rouiller.

— En fait de rouiller, tu dérouillerais plutôt. Quelle dégelée ! On n’a jamais vu ça, pas vrai, les gars ?

Mes collègues hochent la tête.

— Jamais, affirme Dugommier, le plus ancien, celui qui part à la retraite après ses vacances, jamais… Et pourtant !

— Tu vois, Béru, c’est toi qui as le ruban bleu du passage à tabac.

Cette distinction spécieuse dilate la glande à orgueil de mon brillant camarade.

— J’suis doué, admet-il en jouant les modestes. Ça m’est venu comme ça… Un don, quoi, faut pas chercher à comprendre. Bien vrai, tu ne veux pas que je lui récite mon deuxième couplet ? C’est le plus beau : rien qu’en manchettes roulées que je le travaillerais !

— Auparavant, il faut qu’il chante. Et il a déjà le fa-dièse voûté et du jeu dans le contre-ut.

Je m’agenouille auprès de Casati.

— Écoute, mon mignon, je lui gazouille, t’es cuit comme du charbon de bois, j’espère que tu t’en rends compte ? Seulement, au lieu de te laisser vivre tes derniers jours confortables en taule, on peut continuer les misères pendant des temps infinis. Surtout n’espère pas qu’on te déférera devant le Parquet avant que tu n’aies parlé. Je suis prêt à risquer ma carrière pour te garder au frais et te faire jouir jusqu’à ce que tu l’ouvres. C’est à toi de savoir ce que tu préfères.

Un silence. Il essaie de respirer à peu près normalement.

— Oh ! bon, ça va, je causerai, promet-il.

Fort de cette soumission, je fais évacuer la salle, à l’exception de Bérurier toutefois. Mon brave pote a fini la boutanche de rhum afin de se donner du cœur. Joyeux, il entonne une chanson très ancienne d’une voix qui fait penser à Armand Mestral en train de se gargariser :

Tout a une fin, même les tendresses
Mon père, un matin, s’en vint à Paris.
Comment, me dit-il, tu as une maîtresse !
Tu vas rentrer chez nous, déguerpir d’ici.
Puis, ajouta-t-il, c’est une ouvrière.
Ce n’est qu’un trottin, toi, futur docteur !
J’allais répliquer que j’écoutais mon cœur.
Dans la vie, me dit-il, le cœur n’a rien à faire…

Comme chaque fois, en parvenant à cette période de la chanson, l’émouvant Béru éclate en sanglots. Les larmes coulent, abondantes, sur ses bonnes joues bouffies. Je me marre, mais il chiale de plus belle.

— Ce que c’est dégueulasse, hoquette-t-il, ce vieux qui vient faire ch… ces amoureux because il est bourré aux as et que la gamine n’a pas d’auber. Et la pauv’ gosse, tu connais ses rédactions ? Tu les connais pas, dis ?

Et il essaie de chanter à travers ses sanglots :

Elle lui dit, faut partir,
Je n’veux pas t’retenir,
La fête est fini-i-i-e.

Je l’abandonne à ses larmes. Casati est maintenant adossé au mur, tout sanguinolent. On dirait qu’il vient de passer ses vacances dans une bétonneuse.

Je m’accroupis près de lui, lui repasse les menottes pour achever de le démoraliser et je pointe mon index impitoyable sur sa très pitoyable personne.

— À table, mec ! Je veux la vérité, de A jusqu’à Z. Et il faut me la servir entière !

CHAPITE XIV

Il la sert entière, mais par versements échelonnés. Ce pauvre monsieur vient de se faire effeuiller une bonne dizaine de crocs ; il a la langue aussi enflée qu’un gazomètre et ses lèvres sont plus fendues que les pieds d’une vache. Quand il jacte, on dirait le bruit que produit un monsieur marchant dans de la purée avec des bottes. Des chailles qui se tenaient encore piquées dans son socle à râtelier partent à la faveur d’une consonne sifflante. Son naze ressemble à un bel hortensia. Bref, l’homme est diminué et peu apte à donner une conférence de presse. Mais le Béru qui a dégagé son sentimentalisme exacerbé de sa chanson reste debout devant lui, menaçant comme un building qu’on aurait bâti sur de la guimauve.

— Vas-y doucement, l’invité-je, avec cette vaste mansuétude qui m’a valu le premier prix au concours de mansuétude in door et si tu sens qu’une bielle grince, Lesieur est là pour te redonner des moyens.

Il commence à se vider tout doucettement.

— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Le passé, assuré-je (j’ai eu un cousin dans les assurances), seulement le passé ; le présent et même l’avenir, je m’en charge. Tu vois que je ne suis pas exigeant. Pour commencer, dis-moi pour le compte de qui tu travailles.

— Si je le savais, seulement.

— Commence pas à te foutre de moi ou mon ami que voici se repenche sur ton cas et alors aucune force au monde ne pourra l’empêcher de te déguiser en pâte d’anchois.

— Mais je me fous pas de vous. J’ai été contacté par un type que je connais pas et qui m’a proposé une belle prime pour vous descendre.

— Voyez-vous ! Et pourquoi voulait-il me faire démolir, ce gentleman ?

— Ah ! ça, c’est ses oignons.

Lui, il n’était que la baguette magique destinée à réaliser l’étrange vœu du monsieur.

— Il t’a offert combien ?

— Dix briques.

Je fais une moue flattée.

— Je suis très honoré.

— Dame, fait-il, un commissaire » c’est du boulot super-délicat !

Il ricane entre ses grosses lèvres boudinées par les coups :

— Surtout que des coriaces comme vous, y en a pas lerche.

— Je suis un zig dans le genre de Raspoutine, expliqué-je. Bon, raconte encore…

— J’ai marché. Dix briques, juste à une période où je mégotais, faut être juste !

— Je compte sur toi. Comment as-tu découvert que je n’étais pas mort ?

C’est pas moi, c’est le gars dont je vous cause. Et il me l’a appris seulement hier.

— Quand ?

— En fin de journée. Il m’a téléphoné au café que je fréquente. Il voulait que je nettoie un autre zig. Un certain…

— Carlier ?

— Oui, c’est ça. Il m’a dit : « J’aimerais que son corps disparaisse un certain temps, vous devriez le cacher dans le caveau de famille du commissaire San-Antonio car j’ai l’impression que Lazare a fait école. »

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