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Frédéric Dard: De « A » jusqu’à « Z »

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Frédéric Dard De « A » jusqu’à « Z »

De « A » jusqu’à « Z »: краткое содержание, описание и аннотация

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Mes funérailles étaient prévues pour dix heures, mais dès neuf heures, la maison était déjà pleine de gens. Tout le monde pleurait, ce qui me touchait beaucoup. Sur les faire-part on avait précisé « ni fleurs ni couronnes », histoire de ne pas mettre les copains dans les frais, mais, nonobstant cette recommandation, la plupart des assistants s'annonçaient avec des gerbes, des couronnes, des coussins d'œillets, des croix en roses et autres joyeux présents. Oui, il faut vraiment mourir pour mesurer le degré de sa popularité. J'en étais tout ému. Mais quand j'ai vu radiner le Gros, beau comme une pissotière repeinte, dans un complet noir, avec une chemise vraiment (et très provisoirement) blanche, soutenu par Alfred le coiffeur, mon cœur m'est remonté dans le gosier.

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San-Antonio

De « A » jusqu’à « Z »

Les personnages de ce récit… toute ressemblance…, etc.

(Air connu.)

À mes amis Ange DEFENDINI et Paul VALLIERE,

dont j’aime l’humour et la faconde,

cette prose peu académique.

San-A.

CHAPITRE PREMIER

Mes funérailles étaient prévues pour 10 heures, mais dès 9 heures, la maison était déjà pleine de gens. Tout le monde pleurait, ce qui me touchait beaucoup. Sur les faire-part on avait précisé « ni fleurs ni couronnes » histoire de ne pas mettre les copains dans les frais, mais, nonobstant cette recommandation, la plupart des assistants s’annonçaient avec des gerbes, des couronnes, des coussins d’œillets, des croix en roses et autres joyeux présents.

Oui, il faut vraiment mourir pour mesurer le degré de sa popularité. J’en étais tout ému. Mais quand j’ai vu radiner le Gros, beau comme une pissotière repeinte dans un complet noir, avec une chemise vraiment (et très provisoirement) blanche, soutenu par Alfred le coiffeur, mon cœur m’est remonté dans le gosier et j’ai senti naître au coin de ma rétine quelque chose qui devait plus ressembler à une larme qu’à une perle de culture. Effondré, qu’il était, Béru. La statue copieuse, graisseuse et sanglotante de la douleur. Il y avait de quoi fendre l’âme d’un marchand immobilier. Il s’est abattu dans les bras de Félicie, ma pauvre femme de mère, comme un avion de transport qui a perdu son hélice.

— Mon San-A. ! Mon San-A. ! trépignait-il avec de gros hoquets pareils aux borborygmes d’une ménagerie nourrie de Soissons.

« Mon San-A. ! Oh ! Misère, c’est râpé pour ma pomme, le boulot. Je démissionne. Tout ce qu’on a vécu ensemble, moi et lui !

M’man était digne. Son chagrin dégageait une certaine noblesse. Dans ses vêtements noirs, on eût dit une Bretonne de l’île de Sein.

— Cher monsieur Bérurier, faisait-elle en pleurant. Il avait tant d’affection pour vous…

À l’arrivée de Pinaud, escorté de sa bergère, les grandes eaux ont eu un nouveau coup de pression. Il avait vieilli de dix ans, Pinuche. Il semblait marcher dans un cauchemar pas éclairé.

Tout le monde s’est embrassé en pleurant, tout le monde a pleuré en s’embrassant. On disait quel homme extraordinaire j’avais été ; quel homme surprenant je serais devenu si une fâcheuse et mystérieuse grenade n’avait explosé dans ma jolie salle de bains au moment où je me rasais.

Oui, franchement, ça payait. À cet instant, j’ai compris que j’étais quelqu’un. Il y avait là tous mes collègues, tous mes subordonnés et tous mes chefs. On pouvait en toute tranquillité cloquer du plastic dans les gogues du Palais-Bourbon où siègent tant de c… notoires, ou dans le portefeuille vide du ministre des Finances. Toute la matucherie française se trouvait à Saint-Cloud, dans le pavillon du feu commissaire San-Antonio. On y trouvait des inspecteurs, des inspecteurs-chefs, des inspecteurs principaux, des commissaires divisionnaires, des commissaires de police, des commissaires-priseurs, des commissaires du peuple, des vice-sous-préfets, des en noir, des en couleur, des en civil et des en uniforme, des galonnés, des mégalomanes et des gars mélomanes : bref, la maison était devenue une étable où les plus nobles vaches de France s’étaient donné rendez-vous afin de porter en terre l’un de ses plus beaux fleurons.

C’était l’État qui douillait mes obsèques et j’avais eu droit à de la cérémonie de qualité ; si ce n’était pas la super first classe avec cabine de luxe, c’était en tout cas celle qui vient tout de suite après. Des tentures noires, avec mes initiales, garnissaient l’entrée tandis qu’au salon trônait un cercueil de luxe : chêne véritable, poignées imitation argent, crucifix ciselé main, capiton de soie, freins à tambour, chauffage au mazout, purgatoire conditionné ; si je puis m’autoriser ce jeu de mots, dont vous apprécierez la hardiesse, ça n’était pas de la petite bière. Un pullman pour paradis, quoi ! Le train bleu de l’au-delà !

Lorsqu’on avait réglé le cérémonial de mon enterrement, une question plus épineuse qu’un cactus pas rasé s’était posée : celle de la religion. Devait-on, ou ne devait-on pas, faire transiter ma dépouille par l’église ? J’étais baptisé, j’avais fait ma première communion, Félicie donnait au denier du culte et notre cousine Adèle faisait le ménage d’un chanoine, autant d’arguments qui paraissaient péremptoires. Mais m’man s’était farouchement opposée à cet aspect religieux de mes obsèques. Elle avait trop le sens du sacrilège pour laisser un prêtre donner l’absoute à un cercueil contenant un sac de sable.

À ceux qui s’étonnaient de cet enterrement civil, elle affirmait tout aussi civilement que je l’avais souhaité dans mes dernières volontés… Ça n’empêchait pas les âmes pieuses de virguler de l’eau bénite à tout berzingue.

Vous ne pouvez pas savoir, vu l’exiguïté de votre cervelet, combien il est jouissif d’assister à son propre enterrement. Car j’y assistais, pas en client, heureusement, mais en qualité d’observateur. Le général en retraite aux cheveux gris taillés en brosse, à la moustache façon Macmillan, au binocle sévère et suranné. Oui, ce général qui portait un complet noir, plus strict que le slip d’une femme de pasteur anglais, un col dur, une cravate noire dans laquelle était piquée une perlouze ; ce général avec des guêtres de feutre, des gants de fil, une canne à pommeau d’argent et la rosette (de Lyon), ce général qui ressemblait de loin au régisseur Albert et de près à feu le commissaire San-Antonio, eh bien ! ce général, mes amis, c’était San-Antonio soi-même, aussi vivant que vous pouvez le souhaiter, du moins je l’espère, l’œil vif derrière ses verres bidons, et le muscle vigilant.

En arrivant, Mme Pinaud s’était approchée de moi, dolente comme une vierge qui vient de cesser de l’être [1] La phrase est tortueuse, mais tellement explicite ! et m’avait dit :

— Vous êtes un parent de ce malheureux Antoine ?

— Oui, madame, avais-je répondu non sans raideur. Le cousin germain de son pauvre père très exactement.

— Je l’aurais parié : vous avez un air de famille.

Un air de famille d’en avoir deux ! Heureusement que j’avais pris la précaution de me coller des plaquettes de chewing-gum entre les gencives et les lèvres, ça transformait le modelé de ma bouche ainsi que mon élocution. Je faisais un peu Michel Simon, ce qui n’est pas incompatible avec la qualité d’ex-général.

Une seule ombre à ce tableau noir : le cousin Hector. Il faisait du zèle, ce tordu. Il chiquait au chef de famille.

D’emblée, il avait pris les choses en main et cloqué une pièce d’un nouveau franc au maître de cérémonie, manière d’établir son autorité. La mouche à miel du coche ! Il était partout à la fois, serrant la paluche des gens qu’il ne connaissait pas, consultant sa montre avec l’air soucieux d’un capitaine de bateau attendant l’arrivée d’un typhon, écartant les enfants, tournant autour de mon catafalque comme s’il se fût agi d’une bagnole qu’il venait d’acquérir et dont il entendait montrer les avantages à des visiteurs admiratifs. Une vraie pommade, ce zig. J’avais tellement envie de lui vaporiser une mandale sur le pif que j’avais mal aux doigts à force de les contracter.

Enfin, l’heure de partir pour le cimetière est arrivée. Les porteurs sont venus prendre livraison de ma bière et l’ont coltinée dans le fourgon. Naturlich, c’est Hector qui a conduit le deuil, m’man demeurant at home because sa grande douleur. On s’est mis sur quatre rangs et on a filé le train aux boy-scouts de la maison Borniol.

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