Derrière, c’est le mur, terriblement dense et uni.
Y a pas de fenêtre, les rideaux ont été fixés contre une cloison, simplement pour créer une illusion de fenêtre.
Soufflant, comme impression ! Je me pince, je m’arquepince, je doute de moi, moi qui pourtant ai la réputation de ne douter de rien.
Est-ce que je rêverais pas, malgré tout ?
Il m’est arrivé de faire un cauchemar à l’intérieur duquel je me disais : « Ça ressemble à un cauchemar, mais ce n’en est pas un ! » Je me débattais contre des fantasmes, des sensations confuses, écloses dans je ne sais quels limbes de ma pensée… L’intensité du cauchemar provenait de mon incertitude.
Je palpe le mur blanchi à la chaux. Pas de fenêtre. C’est plein de briques cimentées, ce machin-là.
Je me palpe… Aucune souffrance. Rien de cassé. Je considère mes carcasses plâtreuses, à terre. D’ac, je rêve sûrement. On m’a filé des doses pour travailleur de force. La réalité s’estompe. J’ai le délire. Je rêve que j’ai recraché mes pilules, que j’ai cisaillé mes plâtres, que j’ai ouvert les rideaux de la croisée et qu’il n’existe pas de croisée.
Tout à l’heure je retrouverai des maux, des fenêtres vitrées avec du jour et un paysage derrière…
Pourtant… Mon regard retourne à l’imposte. Il y a une toile d’araignée dans l’angle. Dans les songes aussi il y a parfois des toiles d’araignée, des clartés bleuâtres…
Non, je suis lucide. Sonné, épuisé, hébété, mais lucide. J’essaie de soulever ma jambe dite cassée, j’y parviens mal. Elle devenait déjà poids mort. Le corps s’abandonne vite. Il faut jamais le perdre de vue, celui-là. Toujours lui surveiller le manomètre, la pression, la tension, la coagulation, la copulation, la combustion, la constitution, l’intersection, la flore, l’aphone, le reste. Vous avez une guitare plâtrée trois jours, et la voici devenue surcharge, presque étrangère à vous ; vous êtes obligé de lui rapprendre sa fonction, de la rééduquer, car elle a déjà oublié ce qu’elle fait pendant des lustres ! Ceux qui ne croient pas à la précarité de l’espèce n’ont qu’à réfléchir à la question. Je veux pas toujours chiquer les rabat-joie, au contraire, je souligne l’incohérence, l’inimportance de tout ça pour vous inciter à profiter de votre provisoire, à le faire durer au maxi, les mecs.
Je touche ma pauvre guibole. Mes doigts sont tout rouges de sang. Quoi ! merde ! C’est pas un rêve. Je le connais, mon raisin vermillon !
Je me dirige en sautillant comme un kangourou (sauf que cette bestiole se sert de sa queue pour se détendre, ce en quoi elle a raison, la queue étant un bon moyen de détente). Je vais appeler, demander des explicances… J’empoigne le loquet, mais il n’obéit pas à ma sollicitation. Caisse à dire ? On aurait verrouillé le San-A. dans sa chambre ? Non, mais des foies (blancs), je suis pas à Sing-Sing ! Je secoue la porte, je la tambourine, en vain. Nobody ! Cette fois, je me convoque d’urgence pour un conseil de guerre. Je me dis textuellement ceci : « Mon colonel (et pourquoi pas ?), ou malgré votre conviction intime, profonde et bien établie vous rêvez, auquel cas il va falloir vous réveiller en vitesse ; ou vous ne rêvez pas, et alors il va falloir sortir d’ici non moins en vitesse. » Voilà qui est clair, net, énergique, énergétique et précis ? Vous voyez que j’ai bien fait de m’exhorter militairement ! D’ailleurs je me suis balancé ça sur un ton qui n’admet pas de réplique. Cassant, pour tout dire ! Je ne m’obéirais pas subito presto que je serais chiche de me traduire (moi qui le suis déjà en tant de langues) devant un conseil de guerre, de me condamner à la peine de mort et de me fusiller personnellement (le hic, en l’occurrence, restant le coup de grâce).
Moi, vous me connaissez. Quand je trouve sur ma route une porte fermée, aussitôt je pense à mon sésame.
Mes fringues ! Vite !
Il existe un placard de bois peint qui, lui, s’ouvre parfaitement, mais inutilement vu qu’il est aussi vide que le bagage scientifique d’un gardien de la paix. Donc, si vous me permettez de résumer mon cas : je suis enfermé dans une pièce inconnue, avec pour tout vêtement une veste de pyjama trop grande pour moi. On a voulu me faire croire que j’étais grièvement blessé alors que je ne le suis pas. Et on me médicamente à tout va pour me faire tenir peinard.
À perte de vue, des points d’interrogation s’étalent devant moi ; il en existe autant que d’épis de blé dans la plaine de Beauce. Je vais, plus hagard que Saint-Lazare [13] Devant ces piètres à-peu-près, on en vient à se demander si San-Antonio ne pratique pas avec volupté l’automutilation ! Sainte-Beuve.
, d’un mystère à une énigme ; d’une stupéfaction à une incrédulité. Jusqu’où ces ricochets vont-ils me faire rebondir ? Répondez pas tous à la fois !
La qualité majeure de votre merveilleux San-Antonio, mes gentilles demoiselles et chères mesdames, c’est que l’adversité lui donne toujours le ressort nécessaire pour qu’il combatte et la vainque. Je pense que vous l’avez déjà remarqué et apprécié. Un zig de mon acabit doit pouvoir supermaner quand l’occasion se présente. Partez d’une chose pour dominer votre foutu scepticisme fondamental : tout ce qu’un homme invente peut être réalisé. L’homme est précédé de sa pensée, mais il la rejoint immanquablement. Il lui suffit de le vouloir. Il lui suffit de témérairer le moment venu. Le corps, faut lui enlever sa laisse, à ce molosse. Lui crier : « Vas-y, mords-le ! » Et il fonce, dépasse votre intelligence pour accomplir ce qu’elle a conçu et même le parachever d’instinct. Brave bête, va ! Bon petit corps ! Il aura droit à sa récompense : un chateaubriand-béarnaise et séance de cirque pour Popaul. Faut lui donner son susucre, au corps, comme aux chiens savants, et surtout si l’on est diabétique.
Dépourvu de tout, une flûte fanée, vaguement anémié par trois jours de plumard et une monstre quantité de sédatifs impétueux, je suis bon à nibe. Pas mèche d’enfoncer cette lourde qui me paraît majuscule. Impossible non plus de faire des papouilles à la serrure, car c’est un verrou qui, à l’extérieur, la bloque. Donc : patience, ruse et jugeote.
Je rassemble mes gravats et les cloque sous les couvrantes. C’est l’A.B.C. du métier, comme disait l’abbé Saidumétié. Tous les pensionnaires en rupture de dortoir ont pratiqué cette astuce. Le volume du corps pour faire croire qu’on est là, au dodo et qu’on roupille à poings fermés tandis qu’on court le Billetdoux (je parle des amateurs de théâtre). Avant de terminer la mise en scène, je récupère un drap du lit, à toutes fins utiles. Après quoi je me livre à un savant exercice de culture physique destiné à redonner à ma jambe tout son brio. Au début, ça renâcle vilain, mes articulations sont déjà rouillées et mes muscles font le caoutchouc mousse, mais progressivement, une certaine souplesse me revient. Je me masse, me malaxe, me relaxe, me pétris, me dépétrifie. Au bout d’une plombe de traitement, je me sens à peu près nickel, sauf que j’ai une faim de fakir. Je serais capable de remplacer mon remplaçant, en l’occurrence le gargantuesque Bérurier. Je peux pas m’empêcher d’évoquer les lasagnes du Boccalino, non plus que ses pieds de porc sauce madère ! Je pense à des panneaux-réclame d’Olida aperçus dans le métro. De fumantes choucroutes, plus saisissantes qu’une toile de Braque, des jambons veinés comme du marbre rose, des saucisses qu’un coup d’ongle ferait exploser…
J’attends, à côté de la porte, parfaite sentinelle qui vigile pour son propre salut.
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