Moktar est en train de m’attacher ses gueuses aux pinceaux, le gueux, à l’aide de fil de fer, à cause que des cordes pourraient se détendre.
Le barlu file bon train, si tu me permets cette image plus hardie que Laurel. Il bondit sur le flot qu’aurait besoin d’être écumé et dans lequel je m’en vas courbouillonner d’ici quelques minutes.
Quelques mignons nuages filent dans l’azur dont se goinfre le soleil. Adieu beau ciel, adieu M’man, Zoé, Toinet, amis, vaux [12] Car je sais plus d’un val.
, lâches, torchons, cuvées. Adieu, volage coche enc… ! Adieu, vos larges cruchons trouvés. Adieu !
— Prends-le par les pieds, Moktar !
Tu penses : pas folle la guêpe. Le plus pesant c’est toujours pour le manar. Tu te figures, toi, que M. Obrecht assemble la guillotine ? Des clous : il appuie sur le bouton, un point c’est tout. C’est un homme qui s’est mis à l’index par vocation.
Me voici soulevé. Moktar s’adosse au plat-bord, comme ils disent dans la marine. S’arc-boute. Il geint sous l’effort. Et puis une détonation retentit et il pousse un cri. Bascule out, tandis que je m’écroule in.
— Z’avez assez suffisamment joués z’aux cons comme ça ! tonitrue une voix aimée, aussi tonique que truante. Les pattes en l’air, toi, le blondinet. Et tézigue qu’est au gouvernement, coupe la sauce qu’on s’écoute causer !
Je tourne la tête vers le noble organe.
J’avise le gros marin barbu, une pétoire monumentale en main. Elle fumasse encore comme un colombin fraîchement lâché dans la rosée du matin. De sa paluche libre, il arrache sa barbouze. Béru !
Tu l’as reconnu à sa voix, à sa voie expresse.
Il a un bide de neuf mois, le Mastar, sous son maillot rayé qui le fait ressembler à un tonneau. Il a une tête d’hilare. Content de lui. Et moi donc !
— Fais gaffe, lui crié-je.
Car faut te dire qu’il occupe une fausse position. Se trouvant entre le pilote et Schuppen, il lui est impossible de les « couvrir » l’un et l’autre simultanément. Il donne la préférence à mon tortionnaire. Et mal lui en prend car je vois le grand basané qui extirpe un revolver à barillet de sa fouille, en loucedé, tout en amorçant un brutal changement de cap pour essayer de déséquilibrer mon pote.
J’ai tout vu, tout pigé dans un éclair.
C’est une grave erreur de croire que les gros sont empotés. Regarde Jean Constantin, par exemple. Sur scène, une vraie gazelle. Il est tellement aérien, qu’en comparaison, Yvette Chauviré a l’air, quand elle danse, de jouer la grande scène du Salaire de la Peur, dans la boue.
Eh ben, le Gravos, c’est le Jean Constantin de l’action.
Pile comme le barlu embarde, il virgule sa purée au grand dur, lequel lâche tout : sa pétoire et le gouvernail et s’écroule. Manque de bol (pour nous) il tombe sur la manette des gaz. La vedette se paie une ruée affolante et commence à tourner en rond.
Un hurlement. Bérurier a basculé. Non ! Il se redresse. Il recule vers le gouvernail en braquant toujours le copain Von Monzob. Du pied, il refoule le cadavre de l’autre mataf, repousse le levier commandant l’admission du jus. Le barlu se calme. Son moteur râle un grand coup, lâche trois ou quatre pets et s’arrête. L’embarcation se met alors à tanguer sur l’eau bleue. Les vagues floquent contre ses flancs. On prendrait vite mal au cœur à ce tarif-là.
Malgré le bruit de la mer et l’impact du flot sur la coque, j’ai l’impression de baigner dans un bienfaisant silence.
— Vous ici, baron ! lancé-je au Gravos, par quel miraculeux hasard ?
— L’hasard de mes dons de poulet, hé, saucisse.
La démarche mal assurée, il s’approche.
— Mets tes mains dans ton dos, Von Soupe ! enjoint-il à mon presque assassin, et n’essaie pas de jouer les Tarzan, qu’autrement, moi, je te jouerais les artilleurs de Metz.
Ayant compris que le Gravos n’est pas un plaisantin, le ci-devant secrétaire obéit. Béru lui passe prestement les cadènes, puis l’étend sur la banquette d’une baffe qui écornerait un bison.
— C’est pas la première fois que je t’arrive à temps dans le destin, hein ? exulte mon ami.
— Je reconnais, Alexandre-Benoît. Je reconnais… Comment donc as-tu appliqué tes dons inestimables pour te trouver là, mon vaillant camarade ? Là où il fallait, à l’instant qu’il le fallait ?
Tout en se mettant en devoir de me déligoter, il bonnit :
— Tu sais ce que furent ma première impression, hier matin, à la grande volière, quand t’est-ce tu m’as raconté l’histoire du cadavre disparu de ta chignole ?
— Tu estimais que mes adversaires avaient dû me suivre, depuis Lipp, et opérer dans le parking de l’hôpital.
Il se racle la gargante.
— T’as pas beaucoup de chou, mais t’as au moins de la mémoire, mec. Fectivement, voilà ce qu’ont été mon sentiment espontané. Aussi, t’ayant quitté, j’sus été à l’hosto. Une fois au pied de l’œuvre, je m’ai mis à entreprendre les zigotos du coin : concierge, ambulanciers, jardiniers, et t’essaieras, et t’essaieras. Un vrai acharneux, Mistère Béru, quand il s’y colle. Je m’ai tellement décarcassé le tempérament, que je sus arrivé à découvrir que mon pressentiment ils étaient justes. Une pompe américaine noire est venue estationner derrière ta tire juste immédiatement aussitôt après que tu l’eusses quittée. Et elle a manœuvré de manière à se placer cul à cul avec la tienne, tu piges ?
— Bravo.
— C’est le jardinier qui m’a affranchi. Le bol, le tout grand bol, c’est qu’il se souvient de s’être rappelé le numéro métallurgique de la voiture en question. Sais-tu pourquoi ? Tu me croiras à peine. Sans ce grand hasard, jamais le vieux jardinoche aurait pris garde à l’auto.
— Son numéro de tiercé ? suggéré-je.
— Non, primo, l’âge de sa femme : 72 ; puis ses initiales Y L (il s’appelle Yves Le Troupassec) ; enfin son âge à lui : 75. Un vrai véritable miracle, hein ?
— Et comment ! réponds-je assez piètrement, mais quoi, on ne peut pas toujours s’exprimer en alexandrins de douze pieds, il faut bien, de temps à autre, puiser dans le mobilier national.
— Moi, du coup, je recherche à la Préfecture à quoi correspond ce numéro. Illico je frétille en apprenant que la pompe est une bagnole de location appartenant à la Société Avis. Je fonce au siège sociable de ladite Agence où on m’dit que la voiture en question a été louée seulement pour la journée, à la succursale d’Orly par un dénommé Von Schuppen. T’es content, gars ?
— Le pied, mon Béru. Le super-panard. Ensuite ?
— Immédiatement, je lance à toutes les agences Avis de France l’avis suivant. Dès que la personne ayant loué la voiture 72 YL 75 la ramènera, prévenir l’O.P. Bérurier, et retenir ladite personne avec un prétesque de vérification du véhicule jusqu’à tant que l’O.P. Bérurier arrive. Ce qui fut fait. Sur les burnes de seize plombes, hier, l’agence Avis du quartier Saint-Lazare m’informait que la pompe louée à Orly venait de leur être ramenée. J’ai bondi. Cette crapule s’impatientait dans le bureau, comme quoi il avait un train à prendre. Et il l’a pris du reste, moi dans le compartiment voisin. Destination Dieppe. Je l’ai filé dans les rues du port, une fois arrivé. Il avait rencard dans un bar avec le pilote dont voici la carcasse ici présente. Je m’ai installé à une table voisine. Le pilote disait qu’il s’était arrangé pour se faire prêter une vedette par un pote à lui et qu’on devait, au crépuscule, lui envoyer un mataf, au bout du môle, pour le seconder. Un barbu, lui avait-on précisé. Le reste tu le devines ? J’ai mis à profit du lapsus de temps qui restait pour me munir une barbe et une tenue de loup de mer. Assisté par des inspecteurs du commissariat de Dieppe, j’ai guetté l’arrivée du marin de secours attendu. Mes collègues l’ont embarqué gentiment tandis que Bibi prenait sa place. J’étais loin de me gaffer qu’on allait se cogner de l’haute mer toute la noye. Et plus encore, mon grand chéri, que je devais te trouver ici et te sauver la mise…
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