— J’ai un trou après-demain matin. Ça irait, pour les funérailles ? Quoi ? Ah ! ça ne dépend pas de vous, mais des siens ?…
Et, dans le parlophone :
— Frivolet : entrez en contact avec sa femme : funérailles après demain-matin dix heures ! Vous vous occupez des fleurs s’il en veut. Quoiqu’un suicidé, hein ? Quel con ! A son âge. Mais qu’est-ce qui lui a pris ?
L’interphone est de nouveau bouclarès. C’est à moi qu’il s’adresse.
— Précisément, cher monsieur, je comptais un peu sur vous pour éclaircir ce point obscur : qu’est-ce qui lui a pris ?
Mon interlocuteur lève ses manchettes au ciel.
— Qu’en saurais-je ? Déjà sa bonne femme qui m’a demandé si son travail marchait… Elle était inquiète. Bien sûr que son travail marchait, sauf ces derniers jours où il n’avait pas l’air dans son assiette. Si son travail n’avait pas marché, je l’aurais gardé, dites ? Cette connerie !
— Il n’était pas dans son assiette, dites-vous ?
— Et alors ? Ça pouvait être d’origine virale, non ?
— Savez-vous s’il avait des ennuis d’argent ?
— Des ennuis d’argent ? Quelle idée ! Il travaillait, non ? Gagnait confortablement son bœuf, non ? Il menait une vie pépère, non ? Sa bonne femme enseignait, non ? Et vous les connaissez, dans l’enseignement, avec leurs grèves, non ?
— Bref, vous ne soupçonnez rien qui eût pu motiver son geste ?
— Rien de rien. C’était le dernier type que je voyais se foutre en l’air, moi. A moins… Oui, ce doit être ça…
— Quoi donc ?
— La santé. Un mal pernicieux, vous imaginez ce que je veux dire ? Genre cancer des couilles, quoi, en plus grave.
— Son physique pouvait laisser prévoir une telle chose ?
— Non, mais les terriers de lapin ne se voient pas dans une plaine ; vous devriez consulter son médecin, mon cher monsieur.
— Merci du conseil.
Bon, tout ça, bien joli. Mais je m’en branle de sa converse, au pédégé de mes chères deux mignonnes. Cézigue, il jacte avec des échasses, le pis c’est qu’il ne s’écoute même pas débloquer. Les phrases lui partent comme l’échappement d’une moto. C’est rien d’autre que des scories de pensées inabouties. Ce qui me turlupe, c’est autre chose.
— Je ne voudrais pas abuser plus longuement de vos instants, monsieur le directeur. Si vous voulez bien me désigner le bureau de ce pauvre Mudas, j’aimerais y jeter un œil.
— Quelle idée !
— Peut-être trouverai-je quelque note ou correspondance susceptible de nous éclairer…
— Allons donc, ici c’était son lieu de travail, mon cher monsieur. Son bureau a un caractère uniquement commercial.
— Mon cher directeur, elle est bien perméable la frontière entre notre vie privée et notre vie professionnelle… Vous me disiez que son bureau se trouve ?
De mauvais gré il grapouille :
— Box 8, son nom est encore sur la porte.
Mais plus pour longtemps avec un homme aussi réaliste. Demain au plus tard, le blaze du dénommé Arnaudy aura remplacé celui de Mudas.
* * *
En explorant les deux tiroirs du bureau de verre, mon idée, je t’en préviens nettement, est de mettre la main sur ces papiers en provenance de Suisse que recevait Mudas en cachette de son épouse. Papiers de banque, prétend sa concierge. Voire… S’il se les faisait dissocier du courrier courant, c’était parce qu’il voulait les tenir secrets à sa femme. S’il les lui tenait secrets, fatalement, il les planquait ailleurs que chez lui. Certes, il eût pu se les faire adresser directement à son bureau du garage, mais sous la coupe d’un dirlo comme celui que je viens de quitter, des documents aussi privés n’auraient pas été en sécurité. Restait qu’il pouvait peut-être jouir d’une planque plus ou moins astucieuse. En un regard circulaire et dix palpades expertes, je me persuade du contraire. Non, si Aldebert Mudas a conservé les fafs en question, il les détenait autre part. Alors, quoi ? Un coffre de banque ?
Je considère le vaste hall où le travail vient de cesser et qui est vide à présent. Les voitures qu’il héberge ressemblent à des jouets. Ce sont des jouets. Des jouets d’homme. Mudas a vécu plusieurs années dans ce milieu de big bazar. Il devait être heureux. Il aimait sa femme, dit-on, rentrait chez lui dès qu’il le pouvait. Et puis il s’est passé un je ne sais quoi qui l’a conduit à se foudroyer le cigare au pied de mon immeuble.
Pourquoi, mais pourquoi, grand Dieu, tenait-il absolument à ce que je le regarde opérer ?
Pour se donner du courage ? Pour que quelqu’un « du métier » puisse témoigner ensuite qu’il y a indiscutablement eu suicide ?
Non, franchement, t’as pas une idée ?
UNE CERTAINE FAÇON DE FAIRE LA BOMBE
A la fin, c’est ras-le-bol, les frangines. Du moins celles que je m’allonge. Elles sont généralement de deux sortes : il y a les dames mariées polissonnes qui doublent leur gagneur pour se donner des raisons de le supporter, et puis les bioutifoules nanas, style « Elles » de Lui , faites pour sortir et pour rentrer, et encore plus pour sortir que pour rentrer, délicates, pasteurisées, la chattoune bien peignée et d’une propreté quasiment asexuelle. Elles sont en couleur mais leur personnalité est fadasse : elles sont éclatantes comme des fleurs tropicales mais ne sentent rien ; elles sont follement appétissantes, mais elles n’ont aucun goût ; elles sont lascives mais, la plupart du temps, elles baisent comme des chaisières. Chaque fois, je me laisse prendre à leur miroitement, telle une alouette qui serait pigeon. Au bout d’un moment, tiens, généralement pendant qu’on fait le menu au restau, je commence à les déplorer en secret. Mon âme se met à bâiller plus grand que leur frifri. Notre soirée clochepatte, malgré la perspective de la belle embroque finale. La chiasserie, c’est cette converse creuse, ces riens à débiter, cette tapisserie morne que les minutes tissent et dont j’ai vite honte. Je m’insulte la bouche pleine, en clapant le ris de veau Clamart, je me dis : « Perdre ainsi ton temps avec une hyper-conne, juste pour un coup de bibite en fin de parcours, merde, t’as pas honte, espèce de pauvre zozo ! ». Et bien d’autres trucs mille fois plus pires, parole ! Que, tiens, ma Félicie par exemple… La laisser mijoter dans notre pavillon de meulière à écouter le tic-tac de l’horloge… Pendant que Duglandin fait son numéro de Forticheman à une donzelle blasée.
C’est triste, la vie, quand on n’y met pas du sien, qu’on se laisse emporter par les facilités. C’est ce que je me récite présentement, tandis que le sommelier me fait goûter le chablis, dans ce distingué établissement feutré plein d’acajou et de pomponnades. Je louche sur la môme Juliana, si blonde, si turpide, peinte comme une tasse japonaise. Bon, après la briffe, un coup de danse quelque part, et puis la grimpette. Chez elle, sûrement, le bath studio à Passy. Elle va mettre des heures à se fourbir la chaglounette, Juliana ; ces gonzesses, quand elles pénètrent dans leur salle de bains pour les préparatifs du soir, tu ne peux pas prévoir à quelle heure elles en sortiront. C’est pire que le coucher du Roi-Soleil. Loulou, au moins, il s’ablutionnait pas la zézette pendant des plombes. Un coup de tisonnier dans la perruque pour s’évacuer la pouillance, puis la gentille licebroque dans le pot de chambre en or massif que lui brandissait un super-duc, et poum ! : à la dorme ! Tandis que ces morues de luxe, avec toutes leurs crèmes, onguents, lotions et spray dont elles se lotionnent, oignent, malaxent la viandasse, tous ces machins fluides ou gluants, en ampoules, en pots, en pulvérisateurs, c’est damnant d’attendre qu’elles eussent fini d’en user et abuser, les gueuses-garces ! De quoi se pogner d’impatience ! S’endormir, tiens, si je te disais. M’est déjà arrivé de me filer dans les bras de Morphée en attendant les leurs. Et qu’après, elles te viennent protester contre, te traiter de butor, de mal triquant, nom de foutre ! Vachasses éhonteuses, salopes sans salinguerie, la pire espèce ! Tu les fourres pour établir une royale performance ! Te livres à une toute grande prestation, pas qu’ensuite elles aillent faire galoper des mauvais bruits sur tes capacités queutardes. Ça se détricote si vite, une réputation. Les nouvelles, de bouches à braguettes, vont à pas de géant. On te transmute en bande-mou pour un oui et surtout pour un non. Et après que t’es réputé fané du kangourou, monte en ligne, mon lapin ! monte-z’y, pour voir ! File à la ramasse de miches ! Tiens, fume ! Elles ont tellement la hantise de se désliper pour rien, les nénettes. De s’aérer le dargeot en pure perte qu’elles t’attendent inlassablement au virage. Perds jamais le contrôle de ton bolide, fiston. La moindre embardée et on t’accusera de déliquescer. Ta renommée, on l’assoira sur une fourmilière, parole !
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