— La valise, m’sieur Prince. Juste la valise métallique avec ses quatre bocaux.
Et puis on mutisme à nouveau, lui et moi. Mme Olida en profite pour placer son galop de glotte de fin de course. Le spiquère chevauche l’accord final pour prédire Patrick Sébastien. Qu’en v’là un, je te jure, il mérite le déplacement. Il bat à cœur, le grand blond. On l’a fignolé avec du vrai jus d’homme. Et puis il en a encore trente mètres sur le porte-bagages à nous déballer, espère. Ça viendra en son temps. La matière première, chez lui, est plus riche que le sous-sol du Minas Gerais.
— Je ne sais pas ce que vous voulez dire ! déclare Prince.
— Chut, ta gueule, laisse-moi écouter ! je l’intime.
Le grand Patrick, avec sa frime de Bourbon sauvé des révolutions et des mariages consanguins, je l’imagine tandis qu’il imite Defferre (à souder). En caoutchouc, tu le croirais, plus authentique que son modèle et presque aussi cocasse.
Faut que je rappelle à ceux qui vont me bouquiner dans deux ou trois ans qu’à l’époque où j’écrivis ce book , le ministre de l’Intérieur, chez nous, c’était M. Defferre (à repasser). On l’avait mis à l’Intérieur pour pas qu’il prenne froid. Tous les matins, un mycologue assermenté passait lui enlever ses champignons. C’était le bon temps.
Et le gars Sébastien y va à fond la caisse tandis que l’ami Prince rôtit à feu doux. Tu vas voir ce Négus, au déballage ! La vraie côte de proc au barbecue. Y aura que Maille qui t’aille, mec !
— Bon Dieu, je crève ! il déclare.
— Chuuuut ! Chuuut ! lui rétroque Mister Sana, tout à son plaisir trompe-d’eustachien.
— J’étouffe, je brûle !
Moi aussi, je brûle. On s’achemine vers une issue heureuse, je le sens bien. La trotteuse du compteur travaille for me. Clic, clac, clic, clac, clic, clac…
Après Patrick, on nous virgule un glandeur américo-asniérois dont mes tympans n’ont rien à foutre. Je le néglige en entonnant l’une des chansons favorites de Bérurier dans laquelle on trouve ces strophes sublimes :
Quand je t’ai vu sous l’habit militaire
J’ai deviné que tu étais soldat
J’interromps pile car on toque à la porte.
— Moui ? interrogé-je.
— Il est l’heure, monsieur Prince, on attend la place.
— J’arrive !
Comme quoi, on ne peut jamais rester tranquille. Maintenant, il sent la gagne, le drôlet. Il sait que son martyre va finir et il tient le coup. A preuve, il ne dit plus rien. Deux secondes de gambergeage intense me suffisent. Je défais la sangle, assis sur le couvercle de plus en plus chaud. L’ôte. Puis, frouttt ! Me carapate. Le couloir est vide. En quatre janjambées j’ai regagné le vestiaire. Me ressape en attendant l’arrivée de Prince. Il va bien devoir se refringuer, no ? Dès lors, j’aviserai.
Un gros mecton sort des toilettes. A loilpé sous un peignoir trop juste pour sa brioche. Il est rond, un peu chauve, n’ayant plus de cheveux, avec l’air de se minuter l’existence. Il regarde l’horloge pneumatique dont la trotteuse rouge nous fait des bras d’honneur toutes les secondes.
— Y en a qui en prennent à leur aise, me prend-à-témoin-t-il.
Je lève vers sa personne un œil indéniablement interrogateur (car j’étais assis pour mettre mes tatanes).
— L’heure, c’est l’heure, non ? poursuit le maugréateur.
— C’est un peu mon avis, admets-je, car si l’heure n’était pas l’heure, qu’est-ce qui serait l’heure ?
Il n’entre pas plus avant dans ce langage à la Devos.
— Je vais aller déloger ce butor ! m’avertit le ventru.
Et le voilà parti en roulant du bide jusqu’à la salle de bronzette.
Je l’entends tabasser la lourde et crier :
— Dites donc, vous : ça commence à bien faire !
J’ai du mal à enfiler ma tartine droite. Tu as remarqué qu’on a toujours une couille ou un pied plus fort que l’autre. Les marchands de grolles devraient tenir compte du phénomène et faire des chaussures gauches et des chaussures droites légèrement plus grandes. Ainsi tu demanderais du 42 avec soulier droit plus. Soit dit en passant, je sème les idées ; vous n’avez qu’à les ramasser et les mettre en application, les gars. Je suis gratuit.
Comme j’élabore mon nœud de cravate, le gros chauve radine au vestiaire. Il a des yeux comme un vélo, avec les sourcils pour faire la selle et le guidon.
— Vous ne savez pas ? il me blablute. Vous ne savez pas ?
— Pas encore, certifié-je, mais disez-moi et je saurai.
— Le type d’avant moi…
— Eh bien ?
— Il est mort. Enfin, je crois, il me semble, on jurerait… Oh merde, si c’est ça, les UV, je renonce…
Et il pisse de saisissement sur la moquette du vestiaire.
CHAPITRE XV
À N’Y PAS CROIRE !
Le talkie-walkie grésille.
Mathias se branche. C’est Lefangeux.
— L’éleveur d’escarguinches a quitté son domicile. Il roule sur Paris au volant d’une Golf GTI blanche à capote noire. Je le suis.
Je me penche sur l’appareil et presse le contacteur d’émission par-dessus le pouce du Rouquin.
— Tu es seul ?
— Non, l’O.P. Bérurier est à mon côté.
— Pinaud ?
— Il est resté sur place.
— Dès que le gars arrivera à destination, préviens-moi, on va le sauter ce matin.
— Entendu.
Mathias repose l’engin peint en vert, d’apparence très « grandes manœuvres d’automne ».
— Ça n’a pas l’air de carburer, monsieur le commissaire ? remarque ce perspicace.
— J’ai fait une blague à un type, elle a mal tourné.
Je lui narre ma mésaventure avec Prince et lui remets la carte d’identité de ce dernier.
— Il était fatalement cardiaque, diagnostique mon collaborateur, les UV, en si peu de temps, n’ont pu le tuer.
Il examine la photo de Prince et hoche la torche olympique qui lui tient lieu de tête.
— Il ne s’appelle pas Prince, mais Printzer ; c’est un truand d’origine allemande. Il a déjà commis deux attaques de fourgons blindés, l’une à Strasbourg, il y a une dizaine d’années, l’autre il y a deux ans, à Lyon. On le soupçonne en outre d’avoir organisé plusieurs coups fumants restés impunis. Un cerveau, quoi !
Je siffle d’admiration.
— T’en sais des choses, Van Gogh ! Selon toi, il serait l’organisateur du casse de la G.D.B. ?
— Ça paraît évident.
Sur la brèmouze bidon, y a écrit qu’il crèche 440, rue de Passy. Cette adresse doit être de fantaisie, mais il conviendra de s’en assurer.
— C’est rare, les truands qui claquent d’embolie, réfléchis-je comme un miroir solaire.
Pour me refaire un cerveau, je procède à une inspection générale des données. C’est dispersé comme un jeu de cartes jeté d’avion. Tu trouves de tout : des Ricains baisés par une équipe de terroristes internationaux, un futé à qui je repique leur valdingue sans avoir l’air d’y toucher et qui s’enfuit de l’hosto, des truands qui pillent une partie des coffres grâce à la participation de gars maigrichons, style jockeys. Une employée de banque sensible au braque des messieurs. Un chef de bande qui claque du cœur parce qu’on le sarcophage un quart d’heure dans un appareil à bronzer. Tout ça me fait une curieuse impression. Me paraît à la fois simpliste et impénétrable, aussi dur à déchiffrer que le verbe surseoir est dur à conjuguer au passé composé (que le Gravos appelle le passé composté).
Va pourtant bien falloir faire progresser la locomotive. En fait mon nouvel agencement professionnel me déroute, voilà l’histoire. Je n’ai pas eu le temps de me faire à ces nouvelles méthodes que j’ai voulues pourtant dans un grand moment de chambardement existentiel.
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