Il s’est mis à la chambrer sur son boulot. Il a dit comme quoi les coffres de la banque lui paraissaient mal protégés car il n’avait décelé aucun système d’alarme.
Alors la môme, tout en continuant de blutionner mister Frifri et ses belles moustaches, s’est fichue de lui. Qu’est-ce y l’imaginait, Lucien ? Super-sophistiqué, au contraire, le dispositif. Incorporé dans des rainures larges d’à peine un millimètre. Tu passes devant, et vraoum ! ça zinzibule tous azimuts. Tu peux pas parcourir plus de trois mètres sans rameuter les troupes poulardières, et ce dans n’importe quel sens. Voilà ce qu’elle lui a lâché. Imprudente ? Sans doute. Mais elle avait pas prêté serment sur la Bible de ne rien moufter à ce sujet, merde ! On flanque pas les honnêtes filles au trou à cause d’une réplique destinée à exalter le prestige de la banque. Si ? Qu’on la tracasse et elle se plaindra à la C.G.T., promis. D’abord elle va s’inscrire au chômedu, bien fait ! Et qu’est-ce y casquera ? Le contribuable une fois de plus !
Je bouffe ses protestations à pleines dents. Un mignon concerto pour la main droite, interprète en soliste sur sa chaglatte, et le beau fixe lui revient. Chez les natures sensuelles, c’est kif avec les Légo ; tu défais et tu remontes, c’est interchangeable.
Je lui demande si elle a revu son tombeur depuis leur tournée des archiducs.
Oui : une fois. Il est revenu à la banque le surlendemain pour visiter son coffre, et il y est resté très longtemps. Quand il a sonné Francine pour la fermeture conjointe du C.-F., elle lui a taillé une petite pipe expresse entre les coffres. Lucien a annoncé qu’il partait une huitaine aux Zuhessa pour affaires. Il a promis une monstre partie de régalade à son retour. Il allait te lui barguigner le flamant rose jusqu’à ce qu’elle en oublie sa date de naissance, juré !
J’écluse le café.
La gosse redevient pressante des miches. Elle réclame un petit rabe de paf, juste pour dire ; la triquée du départ, par politesse.
Mais bibi obnubile un peu sur le labeur, maintenant que son sensoriel fait de la chaise longue.
— Un instant, ma Suprême, soupiré-je. Je veux que tu te concentres à outrance. Fouille à bloc ta jeune mémoire, revis par la pensée chacune des secondes que tu as consacrées à ce brave garçon et trouve-moi, à travers tes souvenirs, des détails qui permettraient de mieux le situer. Pense à ce qu’il t’a dit, t’a fait, t’a montré, ou à ce que, fine mouche, tu as surpris de lui. Oublie boniments et coups de bite pour passer en revue le personnage. Tu n’as pas partagé des heures d’intimité avec lui sans qu’il ait laissé échapper des mots, des gestes, voire sans te découvrir des papiers ou autres objets particuliers. Il faut que nous le retrouvions, lui et sa bande, dans les heures qui viennent. Ton intérêt l’exige.
Faut lui reconnaître une chose, Francine : la bonne volonté. Et paix sur la Terre aux gens de son espèce ! La voilà qui s’écarte de moi, se love sur ses coussins délicats dont l’un représente un pierrot à larme, et l’autre un coucher de soleil sur un lagon. A petits gestes, elle se caresse la motte et les roberts, sa main gauche ignorant ce que perpètre la droite. Elle réfléchit en grande conscience, yeux fermés. Le carillon Westminster de Mme Musardier y va d’une demie bien tassée. La demie de quelle heure ?
— Je ne sais pas si ça peut t’intéresser, dit vivement Francine, mais je crois que je tiens quelque chose.
— Je suis un esprit curieux, ma gosse. Tout m’intéresse. Aboule et tu auras droit à ta rincelette.
Elle ne se le fait pas répéter, comme tous les bons entendeurs.
Salut !
CHAPITRE XI
ÇA SENT LE BRÛLÉ
Ils arrivèrent par le vol de dix heures.
Ils étaient deux : Boris et un autre qui ressemblait à un joueur de banjo sud-américain, ou bien à Groucho Marx basané…
Ils avaient retenu une auto chez Avis par l’intermédiaire de leur agence de Vienne et les formalités furent brèves. Le préposé demanda une estimation quant au temps de location du véhicule et Boris répondit que c’était pour la journée. Ils n’avaient pas de bagages. A dix heures quarante ils quittaient le parking de Roissy 1 après avoir appelé Kalel d’une cabine publique afin de lui confirmer l’heure du rendez-vous.
Le temps était gris, en ce début de novembre ; une bise mordante bousculait les feuilles mortes. Boris remonta le col de son élégant pardessus en vigogne, si léger. Il laissait piloter Stevena, lequel connaissait mieux Paris et sa banlieue que lui.
La circulation plutôt fluide permettait de rouler à une honnête moyenne. Stevena prit le périphérique Ouest. Il paraissait songeur.
— N’oublie pas de passer prendre le cadeau, lui rappela Boris.
— Evidemment, grommela le conducteur.
Une demi-heure plus tard, il roulait sur l’autoroute de l’Ouest. Une Renault 5, Le Car, stationnait sur la bretelle de Saint-Germain-en-Laye. Ses feux de détresse clignotaient. Stevena emprunta la rampe et alla se placer devant l’auto à l’arrêt.
Un homme descendit alors de celle-ci. Il était ventripotent et portait un manteau de cuir trop serré à la taille, ce qui le faisait ressembler à un « 8 » mal fagoté. Il tenait un sac en plastique à la main et s’approcha des deux hommes.
Stevena baissa sa vitre.
— Salut, fit l’homme, j’attends que le ciel me tombe sur la tête.
— Les rues s’ouvriront avant ! répliqua Stevena.
Le type au manteau de cuir lui tendit alors son sac et regagna son auto après un hochement de tête indifférent. Stevena passa le sac à Boris. Boris l’entrouvrit, regarda à l’intérieur, puis, négligemment, le déposa entre ses pieds. Stevena repartit, franchit la route et prit la rampe descendante pour regagner l’autoroute.
Il roula jusqu’à l’embranchement suivant, attendit à un feu rouge et continua en direction de Versailles. Il allait lentement. La route longeait des pépinières. Au bout d’un kilomètre environ, le conducteur obliqua dans une voie étroite menant à une vaste demeure qui paraissait inhabitée. Il stoppa devant le perron et attendit. Tout était tranquille. Des corbeaux croassaient dans les ramures d’un gros arbre à demi effeuillé. L’ambiance n’était pas folichonne.
— Eh bien, allons-y ! décida Boris.
Sa tête ressemblait au poing d’un charretier irlandais : elle était grossière, rousse, et exprimait la force brutale.
Suivi de son compagnon, il escalada les quatre marches du perron et toqua au volet de bois tiré sur la porte-fenêtre. Aussitôt, celui-ci frémit, puis s’ouvrit à moitié. Kalel les attendait dans une pénombre vénéneuse fleurant le moisi.
Ils se saluèrent de la tête mais ne se donnèrent pas la main. Kalel avait l’air d’un oiseau de nuit meurtri par le jour.
— Venez par ici, dit-il, j’ai ôté les housses de trois fauteuils et apporté un flacon de cognac.
Il poussa une porte à double battant dont les carreaux étaient taillés dans du miroir. Un vaste salon apparut aux visiteurs. Désert et froid. Les sièges revêtus de housses grises avaient l’air de fantômes, à l’exception de trois fauteuils crapauds disposés en triangle autour d’une table basse. La bouteille annoncée par Kalel trônait au centre de cette dernière ; on eût dit le moyeu d’une roue sarrasine.
Ils s’assirent au gré de leur impulsion.
— Je n’ai pas de verres, déplora Kalel en montrant la bouteille.
— Nous n’avons pas envie d’alcool pour le moment, fit Boris. Bon, je vous écoute.
Kalel battit des paupières devant le dur regard d’acier qui le sondait. Il promena sa langue sèche sur ses lèvres plus sèches encore et entreprit le récit de ses mésaventures. Il raconta le faux incendie de l’hôtel, l’intervention des pompiers, son transfert à l’hôpital. Il s’exprimait par phrases brèves et d’une voix un peu morne de vaincu. Boris l’écoutait en balançant une jambe. Stevena mordillait les peaux mortes de ses doigts, s’interrompant pour les crachoter à petits pets idiots.
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