Ainsi apostrophés, les trois personnages en quête de hauteur se défriment.
— Je vous en prie, emphase le chef, vous nous prenez pour qui ?
Le Gros lui allonge une mornifle.
— C’est pas la bonne réponse, mec, t’as perdu ; essaie de faire mieux la prochaine fois !
L’autre veut rameuter la garde. Mal lui en prend : un coup de genou dans sa panoplie trois-pièces lui cloue le bec à cause du principe des vases communicants. Les deux autres, terrorisés, se mettent à glaglater mochement. Inquiet, je prends du champ, me demandant si ma fameuse brigade spéciale ne le serait pas un peu trop sur les bords.
Je monte tubophoner au rez. Je sonne la rédaction de France-Soir . Dans les cas difficiles, ils répondent toujours présent, mes potes de la rue Réaumur (nés à Sébastopol). J’obtiens le rédacteur en chef des faits divers. Et alors, bon, très bien, mon histoire lui plaît et il promet de faire vite et bien, à la une et sur au moins deux colonnes.
Ensuite de quoi, j’appelle notre local des Champs-Zé. Mathias vient d’y apporter ses pénates. Il écoute mon boniment et promet de confectionner dardarement un panneau au nom des Laboratoires Pill or Face et de le placarder sur notre lourde. Qu’ensuite, il ne bronchera plus de notre pécé afin d’y attendre l’appel que j’escompte.
Conscient d’avoir fait progresser le chmilblick, je retourne à la salle des coffres. Un spectacle navrant s’offre à mon regard enjôleur. La jeune femme moustachue est en pleine crise de nerfs. Elle se roule par terre, nous découvrant copieusement ses bas fumés, son porte-jarretelles noir, sa culotte rose à fleurettes parme. Une friponne. Ses collègues en sont ébaubis et regrettent chacun de son côté de n’avoir pas subodoré la chose plus tôt.
— Elle est pas laubé, mais elle possède un bioutifoule dargif, souligne le Gros, auteur de ce « craquage ».
— Que lui arrive-t-il ? m’enquiers-je.
— Les fuites vient d’c’te pécore, Grand. Mam’zelle s’est affalée au bout d’trois quat’ beignes, comme quoi elle a été vergée d’première par un julot qui, ensute, y a d’mandé des esplicances su’ les systèmes d’alarme d’la banque. J’m’en gaffais. C’est l’pourquoi j’ai commencé par s’couer un peu ces messieurs, prélavablement, ce dont à propos d’quoi ils voudront bien m’escuser. Fallait qu’j’branlasse les nerfes à la môme ; bien l’inconditionner. Qu’à peine je m’eusse t’adressé à elle, elle a flanché, n’est-ce pas, messieurs ?
Les deux autres qui ont, soit un œil poché, soit une lèvre éclatée, hochent leurs tronches tuméfiées.
Oui, oui, ils admettent. Ils comprennent.
— C’est là qu’est l’pernicieux, déclare doctement le Mammouth. Les nanas pas belles, dès qu’un rigolo les passe à l’égoïne, elles n’se sentent plus et lu racontent la bataille d’Mazagran en long et en large. J’attends qu’sa crise soye passée pour lu d’mander des détails su’ son Casanova.
* * *
Il est tard, la cabane est bien close.
On vide une boutanche de scotch terrier en se résumant la situasse. Chacun dépose dans la corbeille de mariage sa provende de l’après-midi. Lurette est sur un bout de piste. Au Bar des Morues , dans le dix-huitième, il a accroché un brin de quelque chose. Cela concerne Bout-de-Zan, un ancien jockey qui glande dans le Mitan depuis plusieurs années. Il décolle pas du Bar des Morues , où le patron lui consent des ardoises. Récemment, des gens, deux messieurs, cherchaient après lui. L’un d’eux a demandé à M. Auguste, le taulier, si Bout-de-Zan n’avait pas « grossi depuis le temps ». Lurette, brillant fouille-poubelles, a tout de suite sursauté. C’était la minceur de l’ex-jockey qui paraissait donc intéresser les deux hommes. Ma nouvelle recrue ramène un signalement précis des types en question, ainsi que la photo de Bout-de-Zan prise à l’époque où il massacrait ses bourrins à coups de cravache sur la pelouse de Longchamp ou d’Auteuil.
— Bravo, Lulure, c’est du beau travail, le complimenté-je.
Il s’arrête pendant trois secondes de mâcher son chouing, rougit un peu sous sa tignasse hirsute et réprime un sourire.
Lefangeux, moins heureux, n’apporte rien de neuf, sinon les promesses de plusieurs gredins, receleurs plus ou moins notoires, de le prévenir au cas où on leur proposerait de la marchandise foireuse. Mathias déclare n’avoir reçu aucun appel téléphonique. Le Vieux part en palabres pour dire combien le fondé de pouvoir de la G.D.B. est contrit de ce qui s’est passé, ce qui nous fait une belle jambe.
Je ramasse le jeu afin de redistribuer les brèmes.
— Nous disposons de quatre signalements, mes chers amis : celui de Bout-de-Zan, ceux des deux hommes qui le cherchaient, celui du garçon qui a culbuté la préposée aux coffres. En outre, la dernière édition de France-Soir mentionnait qu’une valise appartenant aux Laboratoires Pill or Face et contenant des matières terriblement nocives figure sur la liste des objets volés. Dans l’article, il est dit que les laboratoires sont disposés à traiter avec les perceurs de coffres pour leur racheter la valtoche. C’est une ligne de fond qui peut nous valoir du poisson, vous vous en doutez. Je pense qu’on devrait se lancer aux trousses des quatre hommes dont nous possédons le signalement. Chacun fonce à sa guise dans la direction qui lui plaît. Mathias reste à la maison pour attendre un éventuel appel. En attendant, Rouillé, tire-nous six exemplaires des descriptions. Je propose que Lurette soit affecté spécialement à Bout-de-Zan, puisqu’il est introduit au Bar des Morues . Le jockey va probablement renouer avec ses habitudes. Toutes les deux plombes environ nous téléphonerons ici de manière à pouvoir concentrer nos forces en cas de besoin si quelque chose se produisait. O.K. ?
Le Vieux prend sa mine de supérieur avisé.
— Vous me permettez une objection, mon cher ? demande-t-il d’un ton un poil sardonique.
— Non, Achille, lui répond son cher. Tout ce que je vous permets, c’est d’aller vous coucher si vous avez sommeil. Ici, l’autorité, c’est moi !
CHAPITRE X
LES VERTIGES DE LA NUIT
Dix plombes viennent de gaufrer au carillon Westminster de Mme Musardier, retraitée de l’enseignement public (on enseigne jusqu’à ce qu’on en saigne), laquelle habite sur le même palier que Mlle Francine Chocote, employée de banque, lorsque j’ajoute un onzième coup, soit dix pour cent, en sonnant à la porte d’icelle.
Francine Chocote est la donzelle pileuse et imprudente, aux dessous troublants, qui a eu la langue trop longue avec un farceur fort en bite.
Elle est en kimono de soie noire avec des fleurs de lotus rouges et jaunes, les pieds nus, le cheveu dénoué à la Pasionaria, l’œil en feu ; elle esquisse un mouvement de recul en me découvrant, cithare, sur son paillasson en poils de Noah de coco.
— Encore ! balbutie-t-elle ; exclamation qui implique un sentiment de reproche, et en tout état de cause, de déplorance.
— Je vous prie de m’excuser, fais-je à ton de velours, ce n’est pas pour ce que vous craignez. Puis-je entrer ?
Elle s’efface au moyen d’une grosse gomme et je pénètre dans son logis dont la coquette banalité flanquerait le vertige à Roger Peyrefitte pour qui le superflu a toujours été une nécessité, le chéri, et c’est cela, l’art de vivre.
— Etes-vous seule ? m’enquiers-je.
— Pour le moment, oui, répond-elle en pagayant de la menteuse, tant tellement est grand son trouble. Mon ami est en déplacement au Sénégal.
— Comme il a raison, soupiré-je.
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