Péremptoire, le Magistral se met en position de papa-maman. Et il y va à la décarrade aimable, sans peser, aérien car il sait se servir de ses coudes et de ses genoux.
Carson, abasourdie, demande :
— C’est cela qu’il appelle un interrogatoire, votre rhinocéros ?
Gêné, je m’abstiens de répondre, et c’est « l’informaticien » qui s’en charge. Il vole au secours de son gros pote, Pinuche :
— Laissez-le faire, mademoiselle ; chacun a sa technique. Alexandre-Benoît sait jauger les individus. Il a tout de suite compris que cette personne ne céderait pas à la force et qu’il devait user de moyens plus subtils.
Mais le scepticisme méprisant de Carson n’est pas entamé.
— Vous vous imaginez que ses prouesses amoureuses vont décider cette femme à parler ?
— Attendons…
Mais moi, il me vient brusquement un flot d’angoisse à goût de fiel. Tu sais ce que je me dis, avec ma vaste sagesse ? Que si nous captons la scène de la chambre sur un écran de cette cabine, d’autres correspondants peuvent la visionner également. Et je t’ajoute autre chose, grâce à mon esprit de déduction nettement au-dessus du niveau de la mer : la piaule où fornique Bérurier est équipée d’un système vidéo. Il y a au moins deux caméras (je le constate d’après les plans qui changent sur l’écran), un éclairage ad hoc, des micros… Donc, cette pièce sert aux émissions produites par l’Arabian Company. Si la grosse blondasse y a conduit le Gros, c’est justement parce qu’elle a trouvé ce génial moyen de donner l’alerte. A l’insu de Prosper, elle a déclenché le système d’enregistrement, sinon on ne recevrait pas d’images !
Et depuis dix bonnes minutes, pas inintéressantes d’ailleurs, on contemple le cachalot dans ses œuvres (de chair). On est dingues !
Mais qu’est-ce qui te prend, Sana, mon biquet, mon loulou, ma crotte ? Tu glycérines de la coiffe, mignonnet, ou bien ?…
Pinuche est en train d’expliquer à Carson la haute technicité des méthodes béruréennes.
— Vous allez comprendre, miss. Mon ami, le ministre, est très fortement membré, à tel point que la chose (si je puis dire) est de notoriété publique et lui a valu, passez-moi l’expression, le sobriquet de « Queue d’Ane ». Lorsqu’une personne du sexe accepte de s’abandonner à lui et qu’il la conquiert bibliquement, elle éprouve un plaisir si intense qu’elle ne peut accepter qu’il cesse sa divine gymnastique avant l’aboutissement. Or, mon diabolique ami, quand il veut exercer un chantage sensoriel sur sa partenaire, l’abandonne en pleine volupté, au plus intense de son déferlement sexuel. La malheureuse ne peut supporter d’être sevrée brutalement ; elle implore ce rude mâle d’aller jusqu’au bout de son propos. Dès lors, elle est à merci ; des tractations s’engagent qui, toujours, aboutissent à la soumission totale de la chère femme. Gardez confiance, cette dame est sur la voie des aveux.
Carson va pour ironiser sur la méthode singulière de mon ministre, mais elle aperçoit sur l’écran le corps du délice, le juge si exceptionnel, si volumineux, si incroyable, si confondant que sa nature femelle l’incite au respect et qu’elle se tait pour assister à l’enfourchement de messire Bérurier, seigneur de Saint-Locdu, baron des Madrés, chevalier de la Membrane à grosse veine bleue, abonné à la très réputée Compagnie du Gaz de France, titulaire du permis de pêche N o 64885 délivré par la Société « Le Goujon Matinal » dont le siège se trouve au Café des Marronniers à Fouzydon-dans-l’Oigne (Il est Vilain [9] Distraction de l’auteur qui a voulu parler de « l’Ille-et-Vilaine ». L’Editeur.
).
Je néglige ce spectacle, malgré son indéniable intérêt artistique pour fomenter un plan d’action.
— Je reviens dare-dare, fais-je à mes compagnons.
Et je quitte l’apparte pour retourner à la bagnole où poireautent un mort et un enchaîné.
TROISIEME PARTIE
LA MAISONNETTE NOIRE
Pour une fois, il se ramasse un bide mémorable, le Mastar. Malgré sa chopine phénoménale et son coup de reins champêtre, il la circonvient pas sa Belle Utérus. Qu’il l’embroque à la forçat, elle veut bien, Ninette. C’est une matrone qui n’est pas à un coup de zob près, une méchante vachasse que la vie n’impressionne plus, et encore moins les hommes. Elle les mène à la baguette, cette sous-maîtresse du terrorisme. N’importe les situations, elle fait front, cul ou le coup de poing. Là, comme nous l’avons terrassée d’entrée de jeu, alors, bon, elle subit, tout en déclenchant, mine de rien, le dispositif d’alerte. Elle a confiance, le temps marne pour elle. Il peut brosser comme un cireur de parquets, le Mastar, elle lui laisse passer son tempérament en attendant des heures meilleures.
Alors, tu parles, quand, en pleine tringlée héroïque, M. Gradube disjoncte sciemment, se dresse sur les coudes et lui déclare que, bon, c’est pas tout ça, mais que si elle veut le reste, faut qu’elle en croque, sinon elle restera en rideau de fade, ça la fait plutôt poirer, la mère. Son sensoriel, y a lulure qu’il lui a dit bye-bye. Elle s’est convertie à d’autres plaisirs. La blonde, la mouillance lui vient d’ailleurs. Cheftaine dans l’âme, éprise d’aventures et de coups tordus bien noirâtres, elle t’en fait cadeau du beau paf à Alexandre-Benoît. Il peut y mettre un ruban de pâtissier et courir l’offrir à la reine Fabiola s’il le veut.
Heureusement pour sa vanité masculine, Béru ne se sait pas télévisé. Son prestige n’est en cause que vis-à-vis de sa partenaire. Alors, il s’énerve, fait sautiller l’objet sur sa main.
— Hé ! dis poupée, tu vas pas laisser perdre ce morcif de roi, j’espère ? Y a des dévergondées qui s’massacreraient pour s’offrir un bijou pareil. C’est du calibre, non ? T’en as déjà récolté des manches à gigot pareils, Trognon ? Soye franche ? La pointure au-dessus, t’éclates !
Mais la dame lui répond qu’elle en a vu d’autres, des plus habiles, des que leur heureux propriétaire manœuvrait comme Paganini son archet. Et que s’il ne sait plus quoi en foutre, de son trognon de chou, le gros sac à merde, il a qu’à l’utiliser comme pilon pour se confectionner un ailloli (car elle connaît la cuisine provençale pour avoir fait le tapin à Marseille, jadis).
C’est sur cette réplique que je décide d’intervenir.
Quand un remède reste inefficace, faut jamais se décourager et vite tâter d’un autre. La femme au peignoir bleu, je vais la récupérer sur le terrain de leurs exploits inaboutis et lui enjoins de me filocher dans une autre pièce, en l’occurrence un bureau sans histoire et de faibles dimensions.
J’ai avec moi deux éléments matériels : le fusil mystérieux et la mallette aux explosifs que je suis descendu prendre dans l’auto.
— Je ne vais pas vous faire perdre davantage de temps, madame. Voici l’arme que vous recherchiez. Vous, vous détenez ses plans. Ce qui revient à dire que nous avons tous les deux une moitié de l’orange. Je pourrais vous menacer d’utiliser ce drôle de tromblon contre vous, mais l’ayant expérimenté sur l’un de vos sbires, je puis vous affirmer que ses effets sont tels que je préfère user d’autres arguments. Vous reconnaissez cette mallette : elle sort d’ici. Les explosifs qu’elle renferme sont d’une efficacité exemplaire. Si vous ne me dites pas où se trouvent les plans, je fais sauter votre installation si sophistiquée. Quelle perte pour votre organisation, n’est-ce pas ! Sans parler des ennuis qui en découleraient. Je ne vous donne même pas trois secondes pour réfléchir, j’exige une réponse immédiate. Vous êtes, j’en suis convaincu, suffisamment psychologue pour comprendre que je ne plaisante pas. Cela dit, je vous écoute.
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