— Réponds ! fais-je. Dis que tout va bien et que vous avez découvert l’engin.
Docile, il décroche le tubuffeur préconcentré et s’annonce :
— Voilà, Krutz, dit-il.
Une voix féminine, profonde comme celle de Marlène Dietrich, questionne :
— Vous avez des nouvelles ?
— Oui, tout est o.k. ; les amis ont déniché le prototype et nous le ramenons !
— Parfait.
On coupe.
Laconique, hein ? Mais l’essentiel est dit, alors à quoi bon conférencer ?
La chignole, une Audi break grise et noire, arrive à la hauteur de mon auberge…
— Arrêtez ! enjoins-je.
Le gros Noir pile devant les bacs de géraniums décorant la terrasse. Une colle : comment prévenir mes potes sans quitter les deux malfrats ?
Je mate la façade pimpante, bavaroise en plein, et la bonne idée me vient. J’ai toujours sur moi le pistolet de Virginia Salski équipé d’un silencieux. Je repère la chambre de Carson et je défouraille dans sa fenêtre. Bris de verre, mais pas vacarmeux le moindre. J’attends. Elle va bien finir par s’informer, la môme, non ? Pour me mettre en évidence, j’entrebâille ma portière afin d’allumer le plafonnier et me mettre en évidence. Des minutes s’écoulent et une silhouette apparaît à l’angle du balcon. Prudente, Carson a quitté sa chambre et contourné l’auberge avant de risquer un œil.
— Carson ! hélé-je, c’est moi, réveillez mes potes et pointez-vous tous les trois, j’ai du neuf.
Elle se retire.
Les deux vilains soupirent sur leurs sièges. Ils commencent à trouver l’expédition saumâtre. Etant hommes d’action, l’inertie à laquelle je les contrains leur cigogne le mental. Graine de terroristes, ces messieurs. Ils sont entraînés à agir, pas à poireauter comme deux cons dans une tire sous la menace d’une arme.
Je décèle un léger frémissement dans l’épaule gauche du chauffeur. Et suis près à te parier un régime totalitaire contre un régime de bananes qu’il a un feu ou autre chose placardé quelque part sous son siège ou dans le vide-poches de sa portière. Mine de nothing , j’avance le tire-prunes de Virginia au niveau de sa nuque. Une flopée de secondes passent, suffisantes pour tricoter une minute. Et puis la chose se produit. Le gros lève son bras gauche armé par-dessus son épaule, sans se retourner, avec une promptitude stupéfiante et caramélise à tout-va. Quatre bastos se plantent dans le dossier de mon siège, vu que, me gaffant du coup, et rivalisant de vitesse avec cézigue, je me suis déplacé sur ma droite.
Une cinquième détonation, très faible, ridicule comparée au badaboum tonitruant des premières, retentit. Mister Driver déguste un petit cône d’acier dans la boîte à idées et s’écroule en avant.
— Ce ne sont pas des manières, fais-je à son pote, lequel est un chouïa livide. Si vous ne respectez pas nos conventions on va droit à un nouveau Stalingrad.
Là-dessus, une sixième détonation, plus importante que ses devancières, déchire le silence de l’aube. Mais cette fois, il s’agit d’un pet béruréen. Vingt autres lui succèdent. La façon du Gros de saluer la naissance du jour.
Le trio s’approche à pas vifs. Sa Majesté est en train d’ajuster son bénoche. Elle est en corps de chemise et maugrée que merde, c’est pas une heure catholique pour s’arracher des toiles. Pinuche est en calbute, mais il a passé son veston et mis son cher vénérable bitos. Seule Carson est habillée comme pour se rendre à un thé dansant. Elle a même pris le temps de se maquiller.
Les trois membres de mon corps franc s’arrêtent devant l’Audi. Bérurier en balance un de plus et une odeur d’abattoirs en grève passe comme un zéphyr avarié par ma vitre baissée.
— Où qu’t’as trouvé c’t’équipe ? demanda l’Excellence.
— Sur le porche de l’église, alors je l’ai recueillie. Ça t’ennuierait d’évacuer mon chauffeur qui a eu un malaise ? Flanque-le dans un coin où il n’attirera pas trop l’attention.
— Dans le coffre de vot’ tire, ça te plairait ?
— S’il peut y tenir…
— On l’tassera. Tu m’donnes un coup de main, César ?
Mes deux potes s’activent et en un instant, le chauffeur est devenu bagage.
— Prends le volant ! ordonné-je au survivant. Et surtout pense que la moindre bêtise te ferait rater cette journée ainsi que les quarante années qui suivront.
« Vous autres, fais-je à Carson, vous allez me filer à distance et vous tenir prêts à intervenir en cas de problèmes graves. »
— Où allons-nous ?
— Je l’ignore, mais nous y allons !
Munich !
Tu vois la grande Maison de la bière, pas loin du bureau de tabac ?
Eh bien, c’est à deux cents mètres de là, dans une rue qui jouxte l’usine à pisse. Un bel immeuble neuf : verre et béton. Douze étages, vue sur la mer. Comment ? Y a pas la mer à Munich ? Ah ! bon. Je croyais… T’es certain ? Pas de Caspienne, de mer d’Azov, de Baltique ? Non, j’insiste pas. Y a pas la mer, y a pas la mer. On ne va pas péter une pendule pour ça. Disons qu’il y a les Alpes, au moins ? En tout cas, elles ne sont pas loin. Donc, l’immeuble dont à propos duquel je te cause a vue sur les Alpes. Chouette, non ? Surtout dans le soleil levant, là que va notre pays…
Mon assassin par défaut ralentit et demande :
— Qu’est-ce que je dois faire ? C’est ici.
— Où remisez-vous la bagnole habituellement ?
— Au parking du sous-sol.
— Alors vas-y.
— La carte magnétique commandant l’entrée est dans la boîte à gants.
— Prends-la, mais s’il s’y trouve un flingue, abstiens-toi d’y toucher, sinon tes chers parents seraient d’enterrement après-demain.
Il se penche. Moi, sur le qui-vive à bloc !
Je l’observe. Il cramponne le petit rectangle clé. On pique dans la rampe d’accès. Barrière jaune et noire, très chleuh. Elle se soulève docilement. Mon chauffeur roule jusqu’au troisième niveau et va se ranger dans un box portant le numéro 341. Je te donne cette précision pour si des fois, passant par Munich pour t’acheter une choucroute, t’aurais besoin de placarder ta pompe.
Gaz coupés. Silence. La chignole émet ces légers craquements de la ferraille chauffée lorsqu’elle se met à refroidir.
— On va à quel étage ?
— Septième.
— Chez qui ?
— Arabian Company.
— Ce sont des bureaux ?
— Oui. Mais quelqu’un y habite.
— Les babioles que vous avez récupérées dans l’église de Bärbach s’y trouvent ?
— Je suppose ; mais ce n’est pas mon affaire.
— Qu’est-ce que c’est que ce truc brillant, sous le tableau de bord ?
— Quoi donc ?
Il se penche pour regarder. Je lui bassine la nuque avec la crosse du pétard de Virginia Salski. Il poursuit sa plongée et s’affale sur la banquette passager.
Moi, tournemain, je le muselle et le ligote avec les deux ceintures de sécurité.
Qu’ensuite de, je remonte à l’air libre, lesté de mon barda joli.
Je renouche la guinde à Béru. M. le ministre est au volant ; congestionné, l’air rogue. Il se tient en double file. Carson est descendue et examine le grand immeuble neuf. Pinuche dort à l’arrière de la tire.
— Je pars en visite, leur annoncé-je. Septième étage : Arabian Company. Si dans un an et un jour je n’ai pas reparu, mon cadavre sera à vous !
Et sans plus en casser, j’engouffre dans la vaste entrée marmoréenne et verreuse, avec une bioutifoule sculpture de bronze sur un socle qui représente je ne sais quoi, mais sur trois mètres de haut.
Il y a trois locataires par étage. L’Arabian Company se situe pile en face de l’ascenseur. Une fois devant la forte lourde bardée de serrures, j’hésite. Vais-je essayer de la bricoler afin d’entrer par surprise ? Je dénombre quatre verrous, made in Germany , avec d’étroits orifices qui en disent long sur leur inexpugnabilité. Pas le temps de m’attaquer à ce puzzle. Alors, je sonne. On verra bien.
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