Je lui jette le regard ami qui convient, car tu n’as pas le droit d’éviter celui d’une petite chatte rose de confusion.
Le frifri de la dame me reçoit cinq sur cinq et, dès lors, m’envoie un baiser humide. Message reçu ! Mais je ne vais pas encorner mon cher Pinaud, l’être le plus merveilleux qui eût jamais longé ma route ! Faire du contre-carre au Vieux, dit le Dirluche, dit Achille, si dindonnesque, est une sorte de sport. Tromper César serait une infamie !
J’abandonne l’affriolant spectacle pour me consacrer à son bénéficiaire.
La Pine parle avec son beau râtelier en chlorure de vinyle expansé. Il déclare :
— La magouille est certaine, Antoine. Il existe une connivence entre la femme Turpousse et le petit Bruno.
— Pas avec son père ? m’étonné-je.
Il déguste son glass à papilles feutrées.
— Je ne le sens pas. Ton art consommé de la description qui, soit dit en passant, est celui d’un grand écrivain, me donne l’image d’une sorte de Foccart abîmé dans ses chimères et qui est abusé par son gamin. Ce fou croit avoir enfanté un prodige, alors qu’il ne s’agit que d’un petit truqueur. Je devine quelque collusion entre la tante de votre Toinet et ce gamin.
— A ce point ?
— Veux-tu que j’enquête à ce propos ?
— J’allais t’en prier, car il me faut un homme d’une grande discrétion.
Il retrouve son sourire de mouton venant de se faire la plus choucarde brebis du troupeau.
— Laisse-moi les coordonnées de ces gens, je m’y attellerai dès demain. Leur quartier est pauvre ?
— Disons ouvrier.
— En ce cas je ne prendrai pas ma Rolls, mais mon ancienne 2 chevaux que je conserve par fétichisme.
PLANTON,
C’EST PAS UNE SINÉCURE…
Planton, c’est pas une sinécure (Béru dit un ciné de curé) chez nous, à la Grande Volière. Because le Vieux qui a en sainte haine les mecs dévolus à ces modestes fonctions. On l’appelle Tyrano de Bergerac, Pépère, tant tellement il égosille après ces malheureux arpenteurs de couloirs, gravisseurs de marches, porteurs de plis. Un bouton pas boutonné ou qui pendouille, un kébour trop désinvoltement sur le côté, des lattes imbriquées, et c’est la crise chez Chilou-le-tondu. Des vociférations quasi douanières, des tirades flagelleuses, des remontrances mortifiantes, des sanctions implacables. Un autre surnom qu’il se trimballe aussi, le Mondain : Bombard. Parce qu’il bouffe du planton. C’est l’inspecteur Manivel qui a trouvé ça ; moi je dis que pour un flic c’est plutôt bien venu, non ?
Donc, le garde Sifoine, planton de service, montre son pif de carnaval par mon entrebâillage de porte. Son tarin, tu parles d’un plantoir, messire cognedur ! On dirait ces nez de carton affublés de lunettes que ma Jeannine vend au 45 passage de l’Argue, à Lyon, de mère en fille. Une tradition familiale. Pas qu’on soit portés sur la gaudriole, mais rien de ce qui concerne le verre baveur et la boule puante ne nous est étranger. Une dynastie, on forme. La merde en carton, le bonbon au poivre, le soulève-plat, on est experts près les tribunaux. Testeurs diplômés pour tout ce qui concerne les farces et attrapes. Une nouvelle vessie pétomane est créée ? Aussi sec (aussi pète-sec) on nous la fait expérimenter. Elle vit dangereusement, Jeannine.
Pilote d’essai, c’est comme brodeuse en chambre à comparer ! Un jour je te la raconterai toute, fond en comble, cette chère chérie. Son calme, son sang-froid, quand elle se met aux commandes d’un paquet de gauloises tapette. Sa farouche dignité devant la flaque de dégueulis artificiel. Et comme monitrice en fausses araignées, l’efficacité qu’elle fait preuve, ma Jeannette. Ce sourire distingué pour raconter la boutonnière lance-eau, la boîte à capotes à ressort, le pif qui s’allume, le cafard de plastique, les sucres farce ! Je t’en casserai des chiées sur elle, un jour, Jeannine. Tout entière, comme il faut ! Un être exquis, pas recommençable ! Un amour éperdu de ma vie.
Qu’or donc, et trêve de digressions, le planton Sifoine amène ses dix-huit centimètres de tarbouif dans mon espace vital, en ce pâle matin d’hiver débutant. Tout scrogneugneu, l’artiste. Avec un reste de café crème (arrosé crime, que disait Prévert) dans les poils de ses bacchantes de poisson-chat. Que si le dirluche te le biche avec encore la balayette trempée, ça deviendra la kermesse héroïque dans la Grande Taule.
— Qu’arrive-t-il, Sifoine ? je l’accouche. A voir votre mine défaite, il semblerait qu’il vous soit arrivé quelque chose de grave, comme si vous aviez perdu au loto ou que votre belle-mère eût guéri de son cancer ?
— C’est rapport à un vieux dégueulasse qu’insiste pour vous parler, m’sieur le commissaire.
— Qu’appelez-vous un vieux dégueulasse ? rembrunis-je.
— Un mec cradingue, puant et qui trimballe un kil de rouge dans la poche de son pardingue, informe Sifoine.
— Et il tient à me rencontrer personnellement ?
— Il prétend avoir quelque chose à vous remettre en main propre ! pouffe le planton. En main propre ! Lui ! Il repouffe ! Et patapouffe !
— Pas d’autres précisions ?
— Au cul nôtre, m’sieur l’commissaire.
— Eh bien, faites-le monter.
— C’est une vraie poubelle, je vous préviens, m’sieur l’commissaire.
— Les poubelles sont un peu nos enfants, Sifoine, puisqu’elles contiennent nos résidus. Il faut être bon avec elles, ne pas les houspiller sinon on leur colle des complexes. Il n’est déjà pas drôle de faire le trottoir, s’il faut, de surcroît servir de souffre-douleur, c’est à désespérer, vous me comprenez, Sifoine ?
Le préposé ouvre grand ses fenêtres à meneau, puis sa bouche d’égout et finit par balbutier :
— Tout à fait, m’sieur l’commissaire.
— En ce cas, allez chercher cet homme et me l’accompagnez jusqu’ici en le prévenant que certaines marches de pierre de l’escalier sont glissantes.
Il obéit, parce qu’il est payé pour ça, et non pour laisser libre cours à ses préjugés à la con.
Qui vois-je entrer dans mon bureau ? Le clodo de cette nuit. Celui qui bivouaquait près du domicile des Malvut et m’a révélé par qui fut crevé mon merveilleux pneu.
Dans la lumière journelle, il est presque beau. Hirsute, sale, vineux, barbu mais beau. Beau à cause de son regard clair et intelligent qui continue d’émettre bien que bordé de maigre de jambon.
— Salut, mon petit gars ! me lance-t-il depuis le seuil critique de la pièce, tu me remets ?
— Plein cadre ! fais-je en lui allant au-devant dextre tendue, ce qui révulse Sifoine.
Je presse la paluche luisante du clochard et fais signe au plancton de retourner vers ses abysses d’origine.
— Alors, comme ça, c’est toi San-Antonio, fiston ? reprend mon visiteur.
— Vous me connaissez ?
— Je lis tes bouquins après les avoir piqués aux libraires et avant de les revendre aux bouquinistes.
— Cela me flatte.
— Tu peux, car depuis que j’ai moulé ma chaire au Collège de France, je ne lis plus grand-chose : l’ Essai sur les données immédiates de la conscience de Bergson, le Traité théologico-politique de Spinoza, les Thesmophories d’Aristophane, mais jamais de romans en dehors des tiens, petit gars. Le roman, c’est de la soupe de pain perdu, des radis sans leurs fanes. Le radis, sans sa fane, c’est juste du néant qui fait roter, tu as dû le constater. Bon, c’est pas le tout : en m’attriquant tes petits talbins mignons, cette nuit, tu as fait tomber ça de ta fouille, garnement !
Il me tend ma carte de police.
— Pour un poulet, c’est pas marle de paumer sa brème ! Elle aurait été trouvée par un zozo, il risquait de faire joujou avec elle.
Читать дальше