— Ça consiste en quoi, le rôle du renard ?
— A explorer les terriers. Voyez-vous, mes chérubins, plus je m’enfonce dans mes gamberges, plus je pense que cette baraque a joué un rôle important dans l’aventure de la môme Fouzitout. La petite investigation à laquelle nous nous sommes livrés ici ne me satisfait pas, j’aimerais que tu reprennes cette perquise en faisant jouer à fond ta jugeote de vieux madré.
Et Baderne-Baderne de répondre :
— Je vais me concentrer.
Il s’assied dans un fauteuil du séjour et croise ses vieilles mains sur sa vieille bite.
Un grand psychologue, Bérurier Alexandre-Benoît. Dans son genre.
Il me dit, une fois la porte fermée :
— Faut qu’j’vas les tester avant d’commencer.
Il quitte sa veste, l’installe sur un dossier de chaise, roule ses manches, rejette son bitos sur l’arrière de son crâne de bovidé et frotte doucement ses phalanges contre son pantalon.
— Voilions voir qu’j’ voye ! annonce-t-il en s’approchant du couple. Bien l’ bonjour, mes p’tits gars.
Avec une promptitude dont on ne l’estime pas capable à première vue, il lance ses deux pognes à la fois sur les braguettes des types, comme un matou papelard sur deux souris endormies. Et il serre.
Moi, assis à deux mètres, je m’efforce de m’abstraire. Néanmoins, je perçois des plaintes à travers les bâillons.
Le Gros se redresse, l’air flippeur.
— J’ent’prends çu-là, décide-t-il en montrant le Mexicano. Quand on y écrase les noix, il est plus porté qu’l’aut’ su’ l’vague à l’âme.
D’un geste doux, il arrache le bâillon du mec qui en profite pour gueuler putois dans le texte.
Le Gros place son poing à l’horizontale et, comme un postier donne un coup de tampon sur un timbre, il assène ses deux livres avec os sur la denture du gueulard. Quelques canines et autant d’incisives lâchent la rampe et se mettent à macérer dans du sang à l’intérieur de sa bouche.
— Tais-toi, et parle ! gronde Béru. Aboule tes questions, grand !
Je m’approche du lit.
Et tu vas voir mon diabolisme. Au lieu de l’interroger sur ce qui m’intéresse, je fais le grand tour, histoire de déconcerter ces messieurs, leur donner à croire des tas de choses :
— Qui a buté Benjamin Stockfield, agent du F.B.I., matricule 6018 ?
Là, il dérape de la matière grise, le petit brun. S’il s’attendait ! Voilà qu’il échafaude des hypothèses à mon sujet. Serais-je-t-il un mec affilié au F.B.I., moi aussi ?
— Je ne sais pas ! éructe le « patient » du Mastard.
— Qu’est-ce y dit ? demande ce dernier.
— Qu’il ne sait pas.
— Ben faut qu’y susse ! assure le Dodu.
Porté décidément sur les génitoires du Mexicain, il sort son vieil Opinel à manche de bois, l’ouvre, fait tourner la virole qui bloque la lame et l’enfonce dans les braies de sa victime. Son ya, c’est une partie de sa vie, à mon pote. Il passe ses loisirs à l’affûter sur une pierre, et tu trouveras pas un seul Arbi à Pigalle disposant d’un rasif mieux aiguisé que ce brave Opinel de nature pourtant rurale.
Le zig pousse un nouveau cri, car la pointe du lingue l’a piqué. Béru la retire légèrement et découpe slip et pantalon en remontant jusqu’à la ceinture. Les parties sont dégagées, offertes au sadisme de mon valeureux assistant.
— N’v’là à pied d’œuv’, déclare Alexandre-Benoît. Tu vas espliquer à c’ pas-beau qu’j’va y peler l’gland. Son paf, c’est pas Bizerte, mais il est valab’, av’c un’ bonn’ tronche. J’ pourrais lu sélectionner tout d’sute le nœud au ras des moustaches, mais j’lu donne une chance : la der. Si y s’décidera quand l’ galure du champignon s’ra parti, un’ fois cicatrisesé, y pourra encore grimper sa polka av’c la tige.
Je traduis fidèlement.
Une expression horrifiée convulse la face du mec.
— Ecoutez, vieux, lui fais-je, conciliant, vous devriez vous mettre à table ; ce gros type va faire ce qu’il dit et bien plus encore si vous vous obstinez. Attila était un bricoleur, en comparaison !
— Je ne peux rien dire, je ne sais pas de quoi vous parlez, vous entendez ? Je ne sais pas, je le jure sur ma mère !
— Qu’est-ce y cause ? demande mon robot de service.
— Il jure sur sa mère ne rien savoir.
— Oh ! que j’aime pas ça ! Une moman, ça s’respèque !
Délibéré, il saisit la chopine du gars et, avec l’indifférence d’un boucher préparant une pièce de viande, se met à entailler la tête du nœud.
L’autre brame si fort que Béru lui flanque un oreiller sur la frime avant de poursuivre.
Et voilà que le second, le Ricain, commence à s’agiter de la tronche et à émettre des inarticulations. Je pige qu’il veut communiquer, aussi le débâillonné-je.
— Laissez-le, il ne sait rien ! me dit-il.
Je stoppe Béru d’un geste.
— Si vous savez qu’il ne sait rien, c’est que vous vous savez ! objecté-je.
Il a un signe soumis.
— En effet.
— En ce cas, mon cher ami, je vous écoute.
— Le gars dont vous parlez a été démoli par un nommé Witley Stiburne.
Ouf, cette fois on paraît démarrer du bon pied.
— Chez lequel vous avez perquisitionné tout à l’heure ?
Nouveau point marqué par l’éminent, le surdoué Sanantonio. L’homme comprend qu’il n’a pas affaire à une pelure mais à un homme supérieurement informé.
— Exact.
— Vous travaillez pour quelle maison ?
— Si je le disais, je serais mort.
— Vous le serez aussi si vous le dites pas ! assuré-je en désignant Béru. C’est un choix, comme toujours dans la vie. Le vôtre se résume à mourir soit « sûrement tout de suite », soit « peut-être plus tard ».
— On en est où cela ? s’inquiète le Mastard que l’inaction dévalorise.
— Statu quo, réponds-je distraitement.
— T’vas voir les estatues qu’j’vais t’fabriquer av’c ces deux zozos !
Le Mexicano saigne de son gland fendu qu’il s’efforce d’apercevoir malgré ses entraves.
— Tu croives qu’on pourra y faire un point de soudure ? demande Sa Majesté, sans compassion, mais curieuse.
Je me penche sur le Ricain :
— Appuie l’oreiller sur la gueule de l’autre ! enjoins-je.
— Vous ne voulez pas parler devant votre acolyte, chuchoté-je. Maintenant je vous pose une question à l’oreille ; si j’ai deviné, battez des paupières. Vous appartenez au Syndicat du crime, n’est-ce pas ?
Il me regarde fixement et acquiesce.
Exprime-t-il la vérité ou me mène-t-il en bateau-mouche ? Peut-être lui tends-je une perche qui fait son affaire ? Nous allons bien voir.
Je passe à son compère.
Il étouffait sous l’oreiller solidement plaqué et suffoque. Je le laisse reprendre souffle.
— Traîne son copain dans l’autre pièce, Gros, César le surveillera, et reviens.
Sans requérir un mot d’explication, Bérurier m’obéit.
A son retour, il murmure :
— T’avais peur « qu’ils se gênent » de parler l’un devant l’autre ?
Pas si con que ça, Gradube.
— On reprend, annoncé-je, fin de la récré. C’est à présent qu’on va savoir si tu finiras tes jours en pissant avec un brise-jet de caoutchouc ou avec celui que ta mère t’a donné !
Le Mastard fait miroiter la lame de couteau qui, au fil des aiguisages, a perdu la moitié de sa largeur.
— Pour le compte de qui travaillez-vous, votre camarade et vous ?
Il marque un temps, mais réalisant que son tortionnaire vient de saisir sa queue à pleines mains, il s’empresse.
— Le Syndicat, chuchote-t-il, comme s’il était moins grave de trahir à voix basse.
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