— Bon Dieu, bien sûr ! s’écrie-t-elle.
J’attends.
Elle déclare :
— J’oubliais ce nègre qu’elle a tué, il y a deux ans !
Je deuxrondeflante.
— Martine a tué un Noir ?
— Oh ! en état de légitime défense, je vous rassure. Le gars avait forcé sa porte pour cambrioler. Elle est entrée pendant qu’il faisait main basse sur ses putains de tableaux. Alors il s’est jeté sur elle et l’a violée. C’était un vrai fauve, elle s’est laissé faire. Quand il a eu fini, il lui a dit qu’il allait lui couper la gorge et a sorti un couteau de sa poche. Heureusement, Martine gardait toujours un pistolet sous son oreiller. Elle a réussi à le saisir, pendant que le Noir ouvrait sa lame et lui a vidé le chargeur dans le ventre. L’homme est mort pendant qu’on le transportait à l’hôpital.
— Et vous oubliiez de me raconter cette affaire, Cathy ?
Elle est penaude.
— Vous savez, Français, le temps passe, les jours apportent leur poids de nouvelles emmerdes…
Et puis, à son âge, hein ? Mais ça, par coquetterie, elle s’abstient de l’invoquer.
— Quelles suites a eues cette histoire ?
— Aucune. Je vous le redis : la légitime défense a été rapidement établie et le gars avait un casier judiciaire long comme un tapis d’église. De plus, outre le viol, la gosse avait des contusions partout.
— Je sentais que vous saviez plus de choses que le Los Angeles Chronicle , Cathy.
Je dépose un baiser chaste sur son front aux rides mastiquées et vais rejoindre mes deux apôtres, pile comme ils commencent à redonner signes de conscience.
* * *
Leurs papiers doivent être bidons, je suis un trop vieux routier pour ne pas m’en rendre compte. Quand tu examines les fafs de gens douteux, tu as une réaction typiquement flicarde ; tel un joaillier, tu reconnais le vrai du faux.
Pendant qu’ils ébrouent du cervelet, je retourne chez Cathy pour téléphoner à Malibu. J’obtiens Bruce, qui me passe Angela, à laquelle j’explique que tout va bien et qu’elle serait gentille de m’expédier Bérurier et Pinaud le plus rapidement possible à Venice. Elle m’assure qu’elle va s’en charger personnellement, mais je l’en dissuade car je ne veux pas qu’elle se fasse remarquer dans ce quartier pourri. Alors, bon, elle va mobiliser le chauffeur. J’ajoute qu’il devra repartir dès que mes larrons seront sortis de son carrosse.
L’un des mecs prétend se nommer Mortimer, l’autre Wilson, ce qui dénoterait un manque d’imagination caractérisé de leur part.
Ayant décidé de ne pas démarrer la séance sans mes assistants de choc, je prends place à leur côté dans un fauteuil et me mets à rêvasser, comme j’en ai la manie dans les cas graves, en contemplant l’intérieur de ce modeste logis qui est hors du commun de par les œuvres qui le tapissent.
Elle arrivait de Paris, la Martine, toute jeunette, mais déjà sans illuses. Y avait eu du rebecca avec son dabe que je pressens pas « blanc-bleu ». Curieuse, elle s’était fait chopiner par le monstrueux braque de M. Félix. Une téméraire que rien ne devait arrêter ! Aventurière, probablement. Quel fut son parcours avant d’échouer à Venice ? Là, se situe un hiatus dans son curriculum.
Mon instinct me chuchote qu’elle a été mêlée à du pas banal qui avoisinait l’étrange. Une chose d’envergure qu’elle a manigancée avec le cow-boy. Tu sais ce qui me frappe ? C’est que la môme Fouzitout, dans sa cage à rats de Venice, et le Suissaga dans son ranch perdu et pourri de Morbac City, obéissaient à un motif identique : la peur. Ils se cachaient ! Quelles autres raisons auraient eues ces deux Européens exilés, de vivre pendant des années dans des endroits pareils ? Oui ! Oui ! Oui ! Adopté ! C’est sûr que l’un et l’autre se planquaient. Mais ils avaient la nécessité de se rencontrer une fois le mois.
Un jour, un grain de sable s’est glissé dans l’existence de Martine. A la suite de quoi ? De ses relations avec le père Machicoule ? Parce qu’elle a abattu un violeur noir ? Pour une autre raison encore invisible ? Sa maladie, peut-être ? Curieuses relations que celles qui la liaient au cow-boy suisse. Elle allait le voir par devoir ou nécessité, Grace, la servante noire du prêtre, n’a-t-elle pas rapporté que c’était pour elle un pensum, ce voyage mensuel en terre brûlante et désertique ? Que lui portait-t-elle, ou qu’allait-elle chercher ? En tout cas il s’opérait un échange entre eux. De l’amour ? Ça m’étonnerait.
Les deux compères, entravés et muselés en travers du lit de la défunte, me coulent des regards furibonds où l’on sent la haine et l’inquiétude. Ils doivent se demander pourquoi je reste inactif après les avoir neutralisés. C’est bon pour préparer des gens aux confidences, l’indifférence passive. Que ça bouillonne sous leur chignon ! Et que leur couvercle saute au plafond !
Quarante minutes passent. Mes idées prennent des développements inattendus, puis se rembobinent comme la bande magnétique d’un enregistreur.
L’un des deux prisonniers : le Mexicano, se met à émettre des sons inarticulés pour attirer mon attention. Il espère que je vais ôter son bâillon afin de le rendre audible. Au lieu de cela, très calmement, je me penche sur lui et lui colle au bouc un petit crochet sec, de ceux qui te mettent du flou artistique dans la moulinette sans te foutre k.-o. Après quoi, je me rassieds et reprends le cours de mes déductions.
Une tire ralentit devant la maisonnette. Je me rends sur le seuil. La grosse limousine de Harold J.B. Chesterton-Levy stoppe, obstruant la ruelle. Lord Bérurier et le comte de Monte-Cristo en descendent avec dignité.
Cette vieille pie de Cathy les aperçoit et m’interpelle :
— Dites donc, Frenchie : vous recevez du beau monde !
Elle l’a regardé sommaire, le Gravos.
— Mes hommes d’affaires français, lui dis-je.
Les frères Lumière s’inclinent en la direction de la châtelaine et me rejoignent.
— Beau brin de fille ! note le Mastard.
— Tu peux l’avoir pour dix dollars avec un verre de gnôle en supplément pour te remettre de la partie de jambes.
Je les conduis jusqu’à la chambre, leur montre mes deux salamis et les ramène dans l’entrée.
— Les chiens sont lâchés, expliqué-je. C’est la première fois qu’on a des cartes en main. Jusque-là, on a été baladés, assaillis ; on nous a buté nos témoins. Je veux que ça cesse, je ne peux pas rester indéfiniment loin de la maison Pébroque. J’ai décidé que je rentrerai dans les vingt-quatre heures après avoir entièrement solutionné ce problème de mots croisés. Je reconstitue mon trio de choc : César, Alexandre-Benoît, Antoine. Un pour tous, tous pour un !
Grandiloquent ?
Toujours, un chef, avant l’assaut.
Qu’on le veuille ou non, le courage prend sa source dans les mots et on ne se fait jamais tuer en silence ; trompettes ou blabla, le héros a besoin de sons pour aller à la mort, comme l’âne pour porter sa charge.
Emus, mes deux chéris me pressent la main.
— Voici les rôles, poursuis-je. Toi, Pinaud, tu joues le renard ; et toi, Béru, le loup.
— Et toi ? demandent-ils avec un ensemble gênant.
— Moi ? fais-je. Moi je jouerai le perroquet. Je poserai des questions aux deux olibrius et Alexandre-Benoît fera LE NÉCESSAIRE pour qu’ils y répondent. Ils sont l’unique passerelle qui peut nous conduire à la vérité [23] Ah ! la splendeur des métaphores chez San-Antonio ! Jérôme Garcin
.
Pinaud tâte son mégot éteint pour s’assurer qu’il a encore « du corps », puis le rallume en se grillant les poils des narines.
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