L’éminent noble nous laisse pour aller prendre une douche réparatrice. Au passage, il se permet une privauté avec Laura en promenant sa main décharnée dans ses plis intimes pour, ensuite, lui adresser de fougueux baisers de celle-ci.
— Exquis bonhomme, assuré-je à la dussèche humide.
— Un amour ! amplifie-t-elle.
Elle soupire, heureuse :
— Vous m’avez comblée !
— C’est extrêmement réciproque, ma chérie. Vous appartenez à cette sublime espèce de femmes dont la vue m’excite et la peau m’embrase. Vous avez la faculté de rendre mes performances sexuelles inépuisables. Maintenant, puisque, décidément, vous n’êtes pas seulement ma maîtresse, mais, de surcroît ma collaboratrice, accepteriez-vous de téléphoner à l’hôtel Nasi Briani de Kuala Lumpur afin de savoir quid du couple Trembleur ?
— Avec plaisir. Vous pouvez tout me demander.
— Vous m’avez déjà tout donné, je n’attends plus de vous que le superflu.
Pendant qu’elle accède à ma requête, comme on dit puis à Bourgoin-Jallieu, à Four, à Saint-Chef-en-Dauphiné et même jusqu’à La Tour-du-Pin, crois-je savoir, je mate le parking où la tire décapotable des deux infortunées Danoises est sagement remisée. Il me pousse alors une remémorance dont j’entends tirer profit.
Attends un peu, ça va viendre.
Le clic ! du téléphone raccroché, Laura m’apprend qu’après quarante-huit heures de séjour à l’hôtel Nasi Briani , la frangine d’Annie Versère et son tringleur ont disparu sans laisser de trace. Ils n’ont pas payé leur note et ont abandonné leurs bagages, vêtement, bijoux et passeports. La direction du palace a alerté la police malaise, mais cela n’a donné aucun résultat. Ce qui revient à dire que mon inquiétude à propos de ces deux touristes français s’est seulement transférée de Thaïlande en Malaisie.
Drôle de micmac, indeed !
— Vous avez tout de même progressé dans vos recherches, me fait valoir l’exquise Laura.
Elle caresse mon entresol trois-pièces.
— Je sens que vous avez encore des choses à me réclamer, mon beau San-Antonio.
— En effet, et je pense que ce sera la dernière, obligeante amie.
Je l’entraîne vers la fenêtre et lui désigne le parking.
— Apercevez-vous cette voiture décapotable blanche, à l’ombre de la haie de bambous ?
— Eh bien ?
— Dans le dossier du siège passager, se trouve une poche à soufflet ; dans cette poche il y a un pistolet. Prendriez-vous le risque d’aller le récupérer ?
— Il est à vous ?
— Il appartenait à un vilain bonhomme qui entendait me trucider et je m’en suis emparé. J’en possédais un autre, mais il est resté dans la chambre des deux filles. Or, par les temps qui courent, être armé constitue une sécurité.
Elle ne dit rien mais prend son sac de plage et quitte la suite.
Que de chance ai-je dans mon infortune ! Comme il est bon de trouver des êtres secourables lorsque l’adversité vous cerne. Cette petite Laura et son vieux duc moisi me réchauffent le cœur. Ils m’accordent si spontanément le couvert et le gîte que j’en suis ému plein partout.
Je suis du regard le déplacement de Laura à l’extérieur. Elle marche en direction du parking, son sac à l’épaule, avec nonchalance ; feint d’admirer la voiture, se penche dessus. Comme elle se tient de dos, ses gestes m’échappent, mais je devine leur prestesse. Le sac, d’une épaulée, passe devant elle. Et hop ! l’arme est engourdie.
Laura se met à admirer une Bentley, proche du cabriolet ; puis une Mercedes 600 identique à la mienne. La reverrai-je un jour, ma somptueuse tire acier métallisé, aux coussins de cuir noir ? Si je suis buté en cours d’opération, ma Félicie la revendra plus tard, et comme elle n’est pas douée pour les affaires, se fera empailler de première. Mais qu’importe les objets qui nous survivent ? Ils dérivent au fil du temps, comme des arbres arrachés par une crue dérivent au fil du courant.
Ne nous attachons pas aux choses matérielles. Elles ne constituent que des hochets dont elles possèdent la précarité.
* * *
Elle dépose fièrement le feu sur la table. Pour elle, il s’agit d’un trophée. Elle a eu peur d’effectuer ce larcin car elle est pâle sous son hâle et ses mains tremblent un peu.
Je retire le chargeur. Il contient quatre bastos. Pas de quoi attaquer la diligence d’Oklahoma City ! Enfin, c’est toujours ça !
Le duc réapparaît, superbissime dans une espèce de kimono dragonnesque. Les veines bleues qui escaladent ses vieilles jambes dans un mouvement hélicoïdal, ressemblent aux minces troncs de lierre qui dégradent une maison. Ce vieux gus est intemporel et risque d’être enterré par inadvertance, un jour qu’il fera une sieste trop prolongée.
Il se sert un doigt de son pur-malt-trente-ans-d’âge, m’en propose. Je refuse, alléguant que je dois rester sobre pour jouir pleinement de mes facultés en cas de coup dur. J’ajoute que je ne veux pas abuser de leur hospitalité et que demain, peut-être cette nuit, je partirai.
— Très dangereux ! objecte le bonhomme.
— Certes, mais je ne vais pas m’incruster dans vos vacances ; et puis l’immobilisme n’a jamais fait progresser une enquête.
— Où comptez-vous vous rendre, my dear ?
— En Malaisie, my duke .
— Hum, dangerous ; on dit que la frontière est très surveillée.
— Il faut bien que je la franchisse, cependant. Mon propre salut est à ce prix.
— A votre place, intervient Laura, j’attendrais quelques jours pour que les choses se tassent.
Coquine ! Elle parle avec les lèvres de sa chatte, tu penses. Pas pour me vanter, mais si elle est ma belle aubaine, je suis pareillement la sienne ! Maintenant qu’elle a tâté de ma bonne bitoune, elle n’a pas envie de retrouver son ramadan habituel.
— Je vais voir, éludé-je.
Son regard de femelle en manque me balance de pressants S.O.S.
— Je pense que, pour commencer, je dois me procurer des vêtements féminins, dis-je. Si je parviens à bien me travestir, je pourrai sortir sans trop de danger.
— Well ! well ! well ! well ! fait par quatre fois Sa Seigneurie. Que voilà donc une excellente idée. Vous permettez ?
M’ayant saisi le coude, il m’entraîne jusqu’au dressinge et contemple notre double image dans la glace en pied.
— Exactement la même taille ! jubile le cher homme. Par contre vous êtes plus fort que moi. L’âge m’a desséché.
— Pourquoi dites-vous cela, monseigneur ?
— Parce que c’est moi qui irai acheter les vêtements féminins, en tenant compte de notre différence de corpulence. Pour ne pas donner l’éveil, je dirai aux marchands que je vais assister à un bal travesti organisé par l’hôtel ; et d’ailleurs, ces gens s’en moquent. Pour eux, l’essentiel est de vendre.
— C’est trop de bonté, monseigneur !
— Appelez-moi Adrian !
— Je ne me permettrais pas.
Il hausse les épaules, l’air de signifier qu’une telle réserve est passée de mode.
— Et attendez, mon garçon ! s’exclame-t-il, rayonnant comme une roue de vélo au soleil. Attendez. Il me vient une idée qui justifie la vôtre. Pour voyager, vous prendrez le passeport de ma douce Laura.
— Grand Dieu, et que fera-t-elle ?
— Vous le lui renverrez, une fois la frontière franchie !
— Et si je me fais prendre ?
— Elle ne sera pas la première touriste à qui l’on a dérobé ses papiers. Nous porterons plainte. Mon plus jeune frère dirige le Foreign Office, c’est un coup de téléphone à lui passer !
— Mais je ne ressemble pas à Mme la dussèche !
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