Je cueille, sur la table basse, une brochure consacrée à Phuket, éditée par le tourisme thaï. Elle nomenclate les hôtels du pays. Ça me déclenche une chouette idée.
— Laura, que je fais, vous allez me trouver odieux, mais je voudrais solliciter de vous une aide nouvelle.
— Avec plaisir, répond-elle sans hésiter.
Je lui tends l’opuscule dei.
— J’aimerais que vous téléphoniez à la réception de chacun des hôtels de Phuket en demandant si M. Trembleur et Mme Déprez y sont descendus.
— Facile ! dit-elle.
La voilà qui s’installe devant l’appareil bigophonique, ma brochure en main. Elle commence par appeler le premier de la liste et continue en cochant au fur et à mesure le nom de l’établissement contacté. J’écoute en mordillant les petites peaux mortes cernant mes ongles, ce qui est, chez moi, un signe de forte nervouze.
Laura déballe à chaque interlocuteur le même baratin. Sachant que des amis à elle devaient passer quelques jours à Phuket, elle aimerait les retrouver, etc.
Partout, la réponse est négative.
Lorsqu’elle a terminé son tour de piste, elle m’adresse une mimique désolée. Nada !
— Tant pis, la consolé-je.
Et je viens prendre place auprès d’elle sur le divan. Elle porte un short very short qui révèle ses cuisses brunes recouvertes d’un fin duvet blond, surprenant, non ?
Tu penses que je devrais me retenir d’y poser ma main ? Oui, n’est-ce pas ? Moi aussi. Alors pourquoi la posé-je tout de même ? Pourquoi mes doigts entreprennent-ils un massage caressant ? Quel diable les pousse à s’insinuer entre l’arbre et l’écorce ? Entre le short et la cuisse ? Progressivement, jusqu’à effleurer sa chatte aux rivages frisés ? Hein, dis, pourquoi ? Suis-je donc goret jusqu’à ce point de non-retour ? Quelque part, deux admirables filles que j’ai fait jouir commencent à se minéraliser dans les roideurs de la mort, et ma nature dégueulasse m’entraîne à séduire l’épouse d’un Anglais d’élite (ce qui est tellement rare !) dans la pièce contiguë à celle du drame ! Abjection, Votre Honneur ! Ce forfait me rend malheureux. Je me comporte en renégat de la dignité humaine. Ah ! triste salaud, voyou lubrique, comment rachèteras-tu tant de vilenies, et à quel prix, homme insalubre, chacal insane ?
— Je vous demande pardon, balbutié-je, éperdu de confusion, mais je ne peux m’en empêcher.
— Je vois, répond Laura en dégrafant son short.
Comme je lui suis reconnaissant de partager ma honte ! Quelle femme remarquable ! Et quelle baiseuse ! Une causeuse ! Qui narre sa vie sexuelle en prenant du chibre. Qui laisse se dévider ses souvenirs. S’en grise, s’en dope !
— Oui, vas-y ! Fourre ! J’ai connu un camionneur deux fois plus membré que toi, sans te vexer ! Je faisais du stop. Il m’a fait grimper près de lui et m’a prise dans son camion. Un pinardier ! Il puait comme un bouc ! C’était super ! J’ai cru, quand il m’a sodomisée, qu’il allait me faire éclater la bagouze ! Je suis restée deux jours sans pouvoir m’asseoir. Et la fois où ils étaient quinze ! Des rugbymen ! Toute l’équipe ! J’adore le rugby : c’est un jeu si viril ! J’avais seize ans et j’étais venue dans les vestiaires leur demander des autographes. Les salauds ! Tu parles d’un début ! Oui, plus vite, Santantonio, fais-moi fumer les miches. Griffe-moi les fesses ! Plante tes ongles, n’aie pas peur ! Quoi, le duc ? Il me fait sabrer par son maître d’hôtel quand on va en Ecosse. Un voyeur, le vieux. Un pourlécheur ! Chaque âge a ses plaisirs ! Oh ! dis, tu as de drôles d’initiatives ! Tu mérites ta réputation, grand tringleur. C’est chouette de se faire miser avec un doigt dans le fion et une langue sur les mamelons. Continue comme ça, je vais démarrer. Ah ! Y a que les Français pour vous enfiler aussi somptueusement. C’est aux petits détails qu’on les reconnaît. Le doigt dans le cul, c’est la classe ! J’ai comme envie d’entonner la Marseillaise !
Ce que j’estime assez exceptionnel dans mon cas, c’est que, plus ma position est critique, plus je trouve des occasions de me vider les burnes, à croire que le désespoir de ma situation est générateur de coups de bite. Ce qui t’indique à quel point la Providence m’a à la chouette pour m’approfusionner ainsi en compensations charnelles.
J’entends la môme Laura qui opère un petit canter sur son bidet. Chouette gosse, aussi peu apte à devenir une duchesse britannique que moi à remplacer au pied levé ce grand glandeur de prince Charles ; encore que si tu me confiais la mère Diana, j’en ferais un meilleur usage que sa pomme ! Huit jours avec moi et elle largue ses langueurs, la pauvrette, son teint d’endive, son anorexie et ses grands chapeaux à la con. Leur orgueilleuse royauté, aux Rosbifs, va périr par le divorce.
Jadis, les princes, on les mariait quand ils étaient encore sur le pot et la dynastie suivait son petit monarque de chemin. Maintenant qu’on les laisse contracter des mariages d’amour, c’est la Berezina. Regarde ces pauvres Windsor, depuis la Margaret, toutes ces faillites matrimoniales ! Qu’un de ces quatre, la Couine Elisabête (et méchante)) elle-même va quitter son duc d’Edimbourg qui finit par se momifier, à toujours marcher à un pas d’elle, les mains dans le dos pour pouvoir flatter les couilles du mec qui le suit de trop près. Edouard VIII qui a cassé la cabane en abdiquant pour la Simpson. Il a donné le fâcheux exemple à ses nièces, petits-neveux et à toute la sainte family . Dorénavant, ça bordélise à Buckingham, les palais crament, les princesses taillent des pipes en public. Où ça va, ça ? que demandait toujours Francisque.
Laura revient en essorant ses moustaches australes. Toute joyce de la belle troussée réconfortante.
— Des mois que je ne me suis pas envoyée en l’air comme ça, m’assure-t-elle en m’offrant ses vraies lèvres pour le baiser au vainqueur.
Tout en dégustant sa menteuse, je réfléchis, car le soleil brille toujours sur mes méninges, comme sur les Etats de Charles Quint, autrefois.
— Chérie, dans votre tournée des hôtels, avez-vous appelé le vôtre ?
Elle reprend sa menteuse vivement pour déclarer :
— Il fallait ?
— C’est un hôtel de Phuket, non ?
— Bien sûr, quelle linotte !
Et illico de sonner la réception pour placer son compliment au préposé.
Eblouissement total ! Féerie thaïe ! Feu d’artifice. Au bout de trois minutes, l’employé répond par l’affirmative.
En effet, M. et Mme Trembleur ont passé quatre jours et cinq nuits dans l’établissement. Ils venaient de Bangkok à bord d’une limousine de louage avec chauffeur et sont repartis par avion pour Kuala Lumpur.
Il est même en mesure de préciser qu’ils ont fait retenir une chambre à l’hôtel Nasi Briani . En apprenant cela, ma joie éclate comme un pétard du 14 Juillet et, pour témoigner ma gratitude à mon hôtesse, je lui fais minette, ce qui n’a rien de désobligeant.
Une paire de cuisses en guise d’écouteurs atténue ta perception auditive, c’est pourquoi je n’entends pas s’ouvrir la porte de l’appartement, si bien que je suis confus de découvrir le duc en sueur, s’épongeant le torse avec un linge-éponge sans perdre une miette de ma prestation.
— Very well ! me lance-t-il joyeusement, voilà du joli travail, my dear . J’adorais cette pratique avant mon asthme, mais il en résultait des crises d’étouffement fort pénibles car les poils pubiens me provoquent de l’allergie. Le grand âge est une plaie hélas inguérissable. Désormais, je dois me contenter de faire l’amour à ma jeune épouse avec les doigts. L’homme trouve toujours une forme de compensation à ses misères.
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