Il a quinze ans, Victor, des boutons de puceau plein la figure et, dans son pull, sous le bras gauche, un pistolet à amorces pour jouer à San-Antonio.
Il ouvre de grands yeux…
— Vous êtes blessé, m’sieur ?
— Des égratignures, lui dis-je. Ne va pas affoler Félicie…
— Je ne lui parlerai de rien, m’sieur…
— J’ai ta parole ?
— C’est juré.
Je me déloque dans le vestiaire, et je lui rends la valise, lestée de mes fringues…
— Tiens, ne la rapporte pas à la maison, laisse-la chez toi jusqu’à ce que je sois rentré…
— Oui, m’sieur.
Il sort à reculons et trouve le moyen de se flanquer dans les longues jambes du brigadier Pochard. Pochard réprime sa série de jurons personnels à cause du patron, mais ses yeux lancent des points d’exclamation comme on lance des confettis au carnaval de Nice.
— Qu’est-ce que c’est ? questionne le patron.
— Un rapport téléphoné de la P.J., concernant un certain Lord Said.
Le patron lui arrache le papier des mains. Il lit tout haut :
— Scotland Yard, à Police Judiciaire, Paris… Lord Said, expert joaillerie, collectionneur lui-même… Personnalité dans les milieux diamantaires européens… Se rendrait en France pour assister à la remise musée Louvre collection de pierres, léguées à la France par Lady Percy Vool, de naissance française… Lord Said, grand ami des Vool. Prière nous tenir au courant enquête.
Au fur et à mesure que le patron lisait, une clarté s’infiltrait dans ma rotonde.
Juste au moment où il jette le message sur son bureau, je me catapulte hors du fauteuil.
— L’heure ? je m’écrie.
— Sept heures vingt, dit Pochard. Quand vous déciderez-vous à vous acheter une montre ?
Une montre ! Avec l’existence que je mène !
— Dites aux artificiers de venir me rejoindre au Louvre. Le musée est fermé, mais téléphonez au conservateur, pour qu’il me reçoive immédiatement…
Je prends le bras du chef.
— Comprenez, patron… C’est une coïncidence si la statue de Montesquieu se trouve aussi dans le grand salon des Affaires étrangères. Nous nous sommes mis le doigt dans l’œil : c’est celle du Louvre qui est truquée !
CHAPITRE XXII
DRÔLE DE STATUE
L’artificier se retourne vers moi.
— Hé ! commissaire ! fait-il.
— Oui ?
— Jamais vu un truc pareil…
— Il y a un engin infernal dans cette statue ?
— Non…
— Alors ?
Il secoue la tête.
— Elle ne contient pas d’explosif… Elle est faite en explosif.
— Vous dites ?
Ça c’est le conservateur qui ramène sa fraise. Il en est baba…
— La vérité… Cette statue a été modelée dans du plastic… Ensuite, on l’a ripolinée en lui donnant l’aspect du marbre… C’est du beau travail d’imitation…
L’artificier se promet de raconter l’anecdote à ses arrière-petits-enfants…
— Comme combine, c’est soi-soi ! affirme-t-il.
« Vous vous rendez compte… Il suffit qu’un passant introduise dans cette statue un crayon détonateur, et toute la partie du bâtiment qui est là s’en va dans les nuages… »
— Mais c’est inimaginable ! s’écrie le conservateur. C’est là l’œuvre d’un fou !
— Pas tellement ! je murmure.
Non, Angelino n’est pas déplafonné, c’est même tout le contraire d’un jobré.
— Qu’y a-t-il au-dessus de cette salle ? je demande.
Le conservateur ferme les yeux pour se repérer dans la topo de son bazar…
— La salle des collections de pierres ! décide-t-il.
Je m’en doutais plus que fortement.
— Je parie, lui dis-je, que c’est dans cette pièce que se trouve le don de Lady Vool ?
— Oui, sursaute-t-il. Pourquoi ?
— Oh ! une idée, comme ça… On peut la voir ?
— Si vous voulez.
Nous grimpons au premier étage, et le gardien-chef nous ouvre la porte d’une salle nettement plus petite que les autres, entourée de vitrines grillagées.
— Voici la collection Vool, dit le conservateur en me désignant les joyaux, dans une vitrine. Une petite cérémonie était prévue pour demain, le ministre des Beaux-Arts devait les remettre solennellement au Louvre. En réalité, ils sont là depuis huit jours…
— Comment sont-ils venus d’Angleterre ?
— Une délégation des Beaux-Arts est allée en prendre livraison à Londres… Un de vos collègues l’accompagnait, du reste…
— Vous connaissez le nom de ce collègue ?
Il fouille sa mémoire… Mais déjà je sais de qui il retourne… Je me souviens que Wolf est allé en mission à Londres, il y a peu de temps…
Toute la combine Angelino m’apparaît en plein soleil…
Les experts sont allés récupérer les diams sous la protection d’un type des services secrets… Ils ont estimé, palpé, admiré la bimbeloterie. Puis, quand leur examen a été fini, Wolf a substitué à la collection, ou du moins à certaines pièces importantes, les verroteries taillées sur mesure que lui avait remis Angelino… Superbe combine !
Une fois au Louvre, la supercherie ne risquait pas d’être éventée… Seulement, le fameux Lord Said a été convié à la petite cérémonie… Il connaissait trop les bijoux pour se laisser abuser par les gobilles… Il fallait éviter à tout prix qu’il arrive devant ces vitrines.
Je me tiens à l’écart et, la tronche dans mes mains, je m’ouvre à la vérité. D’accord, ça c’est un point… Un point éclairci… On devait buter l’Angliche avant qu’il ne gueule aux petits pois. Mais alors, pourquoi ce buste-explosif ? Si Angelino avait l’intention de faire sauter la moitié du Louvre, il n’avait qu’à le faire avant l’arrivée du savant, cela lui aurait évité bien des complications…
— Enfin, si je puis dire…
— Vous avez l’heure ? je demande au conservateur.
Il me regarde.
— L’heure ?
Il réagit et colle son nez sur son verre de montre.
— Huit heures moins cinq.
— Merci… Excusez-moi, je dois filer à un rendez-vous terriblement important…
Il m’arrête…
— Qu’est-ce que je dois faire ?
— Rien. L’artificier va évacuer le buste… Pour le rapport, je m’en charge… Ah ! si… Faites expertiser les cailloux, vous aurez sûrement une petite surprise.
CHAPITRE XXIII
A MOI, ANGELINO : DEUX MOTS
Dans la bagnole mise par le boss à ma disposition, je tâche de coordonner les éléments que je possède. C’est un petit exercice assez délicat.
Je me rends compte que, dès le départ, nous avons pris une fausse piste. Cela vient de ce que j’ai cru comprendre le mot Orsay alors qu’il s’agissait de Lord Said… Comme il y avait une conférence internationale, on s’est illico orienté — le boss et moi — vers un attentat… Ce qui a couronné le tout, c’est l’histoire du buste de Montesquieu qui figurait aussi au ministère…
Angelino devait faire surveiller Wolf, puisque celui-ci avait pris à l’opération une part aussi capitale. Il a dû comprendre que la mort de mon collègue n’était pas normale. Alors il m’a fait suivre… Lorsqu’il s’est rendu compte que j’allais à Versailles, il a dû dire à un Mallox quelconque que si jamais je me rendais chez la petite Rynx, il faudrait à tout prix empêcher celle-ci de parler.
J’y vais et on dérouille la pauvrette.
On continue à m’avoir à l’œil… Angelino est curieux de savoir où j’en suis. La rapidité de mes recherches ne lui dit rien qui vaille. Suis-je au courant de l’histoire des bijoux ou non ?
Il est résolu à stopper mon activité, du moins à la contrôler.
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